D'où lui venait le pressentiment que cette journée s'annonçait capitale?...
La rencontre d'aujourd'hui, pour laquelle elle s'était très largement qualifiée, se déroulait sur un site nouveau pour elle et la diversité de l'endroit était surprenante; malgré sa concentration son œil était constamment attiré par les valons, la lumière, les contrastes, les arbres....Depuis quelques temps elle avait choisi d'effectuer ses exercices d'échauffement loin de l'agitation, loin des regards insolents des autres athlètes, loin de la pression trop dense que la haute compétition ne cessait de quémander. Elle aimait s'isoler, se retirer pour choisir ses mouvements préparatoires selon son inspiration. Ce jour-là ces gestes pourtant maintes fois répétés s'harmonisaient avec le rythme des bruits et le souffle du vent. Ses oreilles se gavaient de mélodies légères et gazouillantes, ses muscles répondaient avec justesse à sa commande, ses articulations se jouaient des tensions; il lui semblait qu'une conversation inédite s'engageait avec ce qu'elle avait toujours appelé son anatomie.
Elle n'était pas ce que l'on peut appeler une jolie jeune fille, aux traits fins et symétriques mais à force d'exercer son corps, de l'éprouver, de l'expérimenter, elle se déplaçait avec une étonnante élégance, faite à la fois d'énergie et de maîtrise ce qui donnait l'impression qu'elle savait tout le temps où elle allait.
Tout en poursuivant ses exercices, elle remonta dans les archives de son histoire comme à une échelle de corde, balancée entre les scènes d'un quotidien morose et les conversations familiales souvent douloureuses, qui avaient finalement noué son destin; elle réalisa que dans son idée de pratiquer la haute compétition, il y avait eu quelque chose de l'ordre de la contrainte. Très douée physiquement et présentant de grandes capacités physiologiques, elle avait répondu à la demande paternelle en engrangeant les résultats, les records, les contrats comme on en aurait fait de bottes de foin pour les hivers froids. Elle avait, dans sa quête de performance courue après le regard de son père absent et cela avait fait office de balisage pour elle. Elle avait pensé qu'infliger à son corps une discipline soutenue servirait à donner un peu de consistance à son existence.
Mais, était apparu peu à peu un essoufflement, une oppression qui l'avait de plus en plus éloignée de la "boite". Que lui arrivait-il? Pourtant acharnée, elle avait redoublé de volonté, avait continué à faire bonne figure en enfilant un costume de battante qui se transformait en vieilles hardes trop encombrantes...Elle s'était arque bouté à ses rituels auparavant si rassurants mais tout l'avait aspirée malgré elle, dans une atroce répétition d'échecs qui la desséchait.
C'est à ce moment-là que cet homme avait fait irruption dans son cauchemar sportif.
Lui, allait enfin pouvoir répondre à ses nombreux questionnements; enfin, il allait lui dire comment faire pour retrouver son chemin, lui semeur de petits cailloux blancs!
Mais jamais cela ne se produisit! Jamais il ne prononça un mot d'ordre, un impératif ou une injonction....Jamais un conseil, jamais une recommandation....Ce fut une période de grand désarroi: elle qui montait à l'assaut, qui s'était mis en chasse, qui traquait le compliment, la reconnaissance, elle ne rencontrait que bienveillance, modeste repas pour une affamée....
De colères en renoncements, de reproches vindicatifs en larmes molles, de haine éternelle en regards implorants...; rien n'y fit. Il ne bougea pas...on aurait dit un entraineur empaillé!
Totalement immergée dans ce qui se dépliait dans ses pensées, elle ne s'était pas rendu compte de son arrivée...Il était là, lui faisant face....mais comment était-ce possible! Il avait disparu il y a 2 ans, la laissant tomber au profit d'autres athlètes d'un grand pays de l'Est....Ce qu'elle avait vécu comme la répétition d'un abandon l'avait laissée au bord du vide. La bascule l'avait tenté....
.
De le voir là, sans y être préparée, déclencha instantanément des bulles de souvenirs comme des cachets effervescents....certaines mourraient en route ne laissant qu'un affect sans mots, d'autres réactualisaient la singularité de leur lien passé et elle réalisa que la violence de son départ se teintait aujourd'hui d'une nouvelle couleur.
Il tenta un "Bonjour"
- Bonjour, répondit-elle, espérant qu'une intonation plate suffirait. Mais sa voix lui paru en conflit avec sa pensée alors elle poursuivi. " je suis contente de te voir".
- Moi aussi. Répondit-il. J'ai deux athlètes sélectionnés, pas encore très autonomes alors on se verra plus tard?
Elle le vit rejoindre à pas lents mais assurés deux jeunes garçons qui attendaient fébrilement ses consignes et se dit que le " pas encore" résonnait étrangement; A quoi renvoyait-il pour elle ce " pas encore"?
Ce qu'elle comprit en le revoyant c'est qu'en faisant le mort il avait interrogé, douloureusement certes, ce qu'il en était de son désir à elle dans son rapport à la compétition. Il avait pris le risque de la voir renoncer, il avait "parié" sur elle.
Elle qui attendait une réponse à " comment réaliser l'exploit", il avait, à son insu reformulé la question en " pourquoi obtenir l'exploit". Bien sûr, elle seule avait la réponse....
Elle saisit soudainement qu'elle venait d'allumer la mèche de sa vie. Comme une évidence, elle savait que tous les lieux où elle pratiquerait deviendraient son territoire et qu'elle y était à sa place.
La rencontre d'aujourd'hui, pour laquelle elle s'était très largement qualifiée, se déroulait sur un site nouveau pour elle et la diversité de l'endroit était surprenante; malgré sa concentration son œil était constamment attiré par les valons, la lumière, les contrastes, les arbres....Depuis quelques temps elle avait choisi d'effectuer ses exercices d'échauffement loin de l'agitation, loin des regards insolents des autres athlètes, loin de la pression trop dense que la haute compétition ne cessait de quémander. Elle aimait s'isoler, se retirer pour choisir ses mouvements préparatoires selon son inspiration. Ce jour-là ces gestes pourtant maintes fois répétés s'harmonisaient avec le rythme des bruits et le souffle du vent. Ses oreilles se gavaient de mélodies légères et gazouillantes, ses muscles répondaient avec justesse à sa commande, ses articulations se jouaient des tensions; il lui semblait qu'une conversation inédite s'engageait avec ce qu'elle avait toujours appelé son anatomie.
Elle n'était pas ce que l'on peut appeler une jolie jeune fille, aux traits fins et symétriques mais à force d'exercer son corps, de l'éprouver, de l'expérimenter, elle se déplaçait avec une étonnante élégance, faite à la fois d'énergie et de maîtrise ce qui donnait l'impression qu'elle savait tout le temps où elle allait.
Tout en poursuivant ses exercices, elle remonta dans les archives de son histoire comme à une échelle de corde, balancée entre les scènes d'un quotidien morose et les conversations familiales souvent douloureuses, qui avaient finalement noué son destin; elle réalisa que dans son idée de pratiquer la haute compétition, il y avait eu quelque chose de l'ordre de la contrainte. Très douée physiquement et présentant de grandes capacités physiologiques, elle avait répondu à la demande paternelle en engrangeant les résultats, les records, les contrats comme on en aurait fait de bottes de foin pour les hivers froids. Elle avait, dans sa quête de performance courue après le regard de son père absent et cela avait fait office de balisage pour elle. Elle avait pensé qu'infliger à son corps une discipline soutenue servirait à donner un peu de consistance à son existence.
Mais, était apparu peu à peu un essoufflement, une oppression qui l'avait de plus en plus éloignée de la "boite". Que lui arrivait-il? Pourtant acharnée, elle avait redoublé de volonté, avait continué à faire bonne figure en enfilant un costume de battante qui se transformait en vieilles hardes trop encombrantes...Elle s'était arque bouté à ses rituels auparavant si rassurants mais tout l'avait aspirée malgré elle, dans une atroce répétition d'échecs qui la desséchait.
C'est à ce moment-là que cet homme avait fait irruption dans son cauchemar sportif.
Lui, allait enfin pouvoir répondre à ses nombreux questionnements; enfin, il allait lui dire comment faire pour retrouver son chemin, lui semeur de petits cailloux blancs!
Mais jamais cela ne se produisit! Jamais il ne prononça un mot d'ordre, un impératif ou une injonction....Jamais un conseil, jamais une recommandation....Ce fut une période de grand désarroi: elle qui montait à l'assaut, qui s'était mis en chasse, qui traquait le compliment, la reconnaissance, elle ne rencontrait que bienveillance, modeste repas pour une affamée....
De colères en renoncements, de reproches vindicatifs en larmes molles, de haine éternelle en regards implorants...; rien n'y fit. Il ne bougea pas...on aurait dit un entraineur empaillé!
Totalement immergée dans ce qui se dépliait dans ses pensées, elle ne s'était pas rendu compte de son arrivée...Il était là, lui faisant face....mais comment était-ce possible! Il avait disparu il y a 2 ans, la laissant tomber au profit d'autres athlètes d'un grand pays de l'Est....Ce qu'elle avait vécu comme la répétition d'un abandon l'avait laissée au bord du vide. La bascule l'avait tenté....
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De le voir là, sans y être préparée, déclencha instantanément des bulles de souvenirs comme des cachets effervescents....certaines mourraient en route ne laissant qu'un affect sans mots, d'autres réactualisaient la singularité de leur lien passé et elle réalisa que la violence de son départ se teintait aujourd'hui d'une nouvelle couleur.
Il tenta un "Bonjour"
- Bonjour, répondit-elle, espérant qu'une intonation plate suffirait. Mais sa voix lui paru en conflit avec sa pensée alors elle poursuivi. " je suis contente de te voir".
- Moi aussi. Répondit-il. J'ai deux athlètes sélectionnés, pas encore très autonomes alors on se verra plus tard?
Elle le vit rejoindre à pas lents mais assurés deux jeunes garçons qui attendaient fébrilement ses consignes et se dit que le " pas encore" résonnait étrangement; A quoi renvoyait-il pour elle ce " pas encore"?
Ce qu'elle comprit en le revoyant c'est qu'en faisant le mort il avait interrogé, douloureusement certes, ce qu'il en était de son désir à elle dans son rapport à la compétition. Il avait pris le risque de la voir renoncer, il avait "parié" sur elle.
Elle qui attendait une réponse à " comment réaliser l'exploit", il avait, à son insu reformulé la question en " pourquoi obtenir l'exploit". Bien sûr, elle seule avait la réponse....
Elle saisit soudainement qu'elle venait d'allumer la mèche de sa vie. Comme une évidence, elle savait que tous les lieux où elle pratiquerait deviendraient son territoire et qu'elle y était à sa place.