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En cette matinée estivale de l'an 1692, le Dark Bird avait largué les amarres au large de l'île de la Tortue. Sur le pont du navire, le quartier-maître avait réuni l'équipage afin d'annoncer la dernière décision du capitaine. Il demanda le silence puis prit la parole :
« Messieurs, cette année, nous en sommes à la troisième vigie qui tombe raide morte de son poste de surveillance. La semaine dernière, durant l'assaut sur le Neptune, Henry a embroché ce pauvre Mark par erreur. En conséquence, le capitaine a décidé qu'à partir de ce jour, le rhum serait interdit pendant la journée de travail. »
Un long murmure collectif parcourut l'assistance.
James, un des gabiers du navire, fut le premier à réagir : « Cette fois-ci, c'en est trop ! Nous ne pouvons plus exercer notre métier dans ces conditions. Le mois dernier, on nous a déjà retiré le droit de torturer les marchands espagnols alors que c'était notre distraction favorite. Quelle va être la prochaine étape ? Épargner les rescapés des combats ? »
Philip, le canonnier, poursuivit : « L'heure est grave. Nous sommes devenus la risée de la piraterie des Caraïbes. L'autre soir, alors que je vidais quelques tonneaux de rhum à Port-Royal, j'ai dû subir pendant des heures les railleries et les rires gras de ces bois-sans-soif du Fortune. »
James reprit de plus belle : « Mes amis, nous y avons cru au début, mais maintenant nous devons nous rendre à l'évidence : une femme capitaine du Dark Bird, ce n'est pas dans l'ordre naturel des choses. Nous sommes en train de mettre à mal un héritage issu de deux siècles de banditisme marin. La piraterie, ce n'est pas seulement amasser des trésors, c'est aussi un état d'esprit : de la virilité, du rhum et de la sauvagerie. Peut-on vraiment croire qu'un capitaine criant à l'abordage avec une petite voix si aiguë puisse être à la hauteur de nos glorieuses valeurs ? »
Qui aurait pu penser au moment de son arrivée à bord qu'un petit bout de femme comme Mary Pills allait mettre le Dark Bird sens dessus dessous ? Lorsque, au début de l'an 1690, elle avait embarqué sur le navire en tant que compagne du capitaine John Davis, certains membres d'équipage avaient émis des doutes à l'idée de voir une femme sur un vaisseau de pirates. Mais son attitude lors des combats, à la fois élégante et cruelle, avait rapidement fait l'unanimité parmi les matelots. Il fallait la voir décapiter un soldat espagnol, quelle classe ! Cela lui avait même valu un surnom de choix : Bloody Mary.
Bloody Mary était devenue capitaine du Dark Bird lorsque John Davis, juste avant de rendre son dernier souffle, l'avait désignée pour lui succéder au poste de commandement. Si l'équipage avait accueilli cette nouvelle avec une certaine perplexité, l'ultime ordre d'un capitaine de la trempe de Davis ne pouvait être discuté. Depuis, malgré les nombreux assauts victorieux qu'elle avait menés avec un sang-froid rarement vu dans l'histoire de la piraterie, Bloody Mary était sous le feu des critiques. Ses décisions radicales concernant la vie à bord passaient de plus en plus mal auprès de l'équipage. Cette fois-ci, en osant restreindre la consommation de rhum des matelots, elle touchait à un point extrêmement sensible.
Sur le pont, James terminait son réquisitoire. L'auditoire était conquis et la révolte grondait. Les heures de Bloody Mary en tant que capitaine du Dark Bird semblaient comptées.
Mary fit alors son apparition sur le pont muni d'un grand sac en toile. « Que faites-vous tous là réunis ? » demanda-t-elle. William, un jeune matelot remonté comme une pendule par les propos de James, s'avança courageusement : « Nous voulons que la situation change. Nous revendiquons notre droit à être des pirates, des vrais. »
Interloquée, Bloody Mary regarda de longues secondes le jeune William puis... lui sourit délicatement : « Tu as tout à fait raison William. J'ai manqué à mes devoirs de capitaine ces derniers temps. Ce matin, je viens donc vous distribuer ce qui vous est dû. » Elle sortit alors de son grand sac un tas de petites boîtes. Sur chacune d'elles était gravé le nom d'un membre de l'équipage. Du simple matelot aux différents chefs de bord, personne n'était oublié. Bloody Mary commença la distribution.
Les marins, incrédules au départ, furent envahis par le bonheur enfantin de découvrir ce qui se cachait à l'intérieur de leur boîte. Ils y trouvèrent deux belles pièces d'or accompagnées d'une part du butin accumulé lors des derniers combats : boutons de manchette, foulard ou bijou. Une fois la distribution terminée, Bloody Mary ajouta : « Et ce soir, vous aurez le droit au meilleur rhum des Caraïbes ! » Elle demanda alors avec une voix conciliante mais ferme que chacun regagne son poste. Les marins se regardèrent, hésitèrent un peu puis finirent par s'exécuter.
Il ne resta plus que James sur le pont du bateau. Le visage de Mary changea alors brusquement. Ses traits se durcirent et ses yeux devinrent noirs. Elle sortit son poignard et posa la lame sur la gorge de James : « James Salter, je sais que c'est toi le meneur de troupe. Ne t'avise plus jamais de monter mes hommes contre moi ou bien tu finiras au fond de l'eau à nourrir les requins. C'est bien compris ? » On ne rigolait pas avec Bloody Mary. C'était une femme mais avant toute chose c'était un pirate, un des plus coriaces qui n'ait jamais existé.
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Pourquoi on a aimé ?
Ah les conditions de travail pour les pirates… vaste question... ici traitée avec beaucoup d'humour ! Et puis une femme capitaine d'un navire
Pourquoi on a aimé ?
Ah les conditions de travail pour les pirates… vaste question... ici traitée avec beaucoup d'humour ! Et puis une femme capitaine d'un navire