Beyrouth

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Le temps s'est figé, les passagers se sont cloués sur place. La toile est tombée, ses couleurs autrefois vives et radieuses ont disparu. 
     Quelques fractions de secondes... La toile se transforma en une vieille dame qui s'étouffait de la poussière. Confusion, peur, choc s'imprimaient sur le visage de Thomas. Les aiguilles de sa montre ne bougèrent plus. Est-ce un rêve ? Hallucine-t-il ? Qui était cette vieille dame et d'où venait-elle ? Et comme si elle pouvait entendre des pensées, elle répondit : "Ah bon, bonsoir Thomas, je me présente : je m'appelle Beyrouth." Ce nom lui coupa le souffle. Est-ce vraiment Beyrouth, sa bien-aimée, vieille et fragile, qui lui parlait ? Mais pourquoi sa voix portait-elle aussi du chagrin et de déception ?
   Elle lui répondit : "Que fais-tu dans l'aéroport ? Tes pas lourds, ton visage sombre et tes pensées brouillardes m'ont fait énormément de peine. Est-il aussi facile de voir ta bien-aimée s'écrouler ainsi? » . Thomas n'en pouvait plus des accusations, il lui répondit les larmes aux yeux : "Crois-tu que c'est ce que je souhaite ? Abandonner ma famille, mes amis ? Laisser tomber mes rêves ? C'est ce qui nous a été imposé, nous avons tout perdu..." Beyrouth le prit dans ses bras et le conduisit vers un portail. Une fois ce portail franchi  , tous les deux se trouvèrent face à un berceau. Thomas se retourna stupéfait vers Beyrouth : "Mais qui est cet enfant ? Et pourquoi te ressemble-t-elle autant ?". Beyrouth sourit tristement : "C'est ma fille Thomas, c'est Douce Beirut." Elle posa sa main sur le front de sa fille, une étoile apparut et Beyrouth poursuivit : "Regarde à quoi s'attend ma Douce, Thomas..."
    La première chose qu'il remarqua, ce furent les milliers de lustres suspendus au plafond qui éclairaient la pièce et l'eau potable qui sortait d'un puits. Puis ils se retrouvèrent devant une station de métro. "Aurons-nous des transports communs ?" demanda Thomas. "On dirait que oui," répondit Beyrouth. Ils sautèrent dans le métro. Tout était organisé et le chauffeur conduisait de manière responsable. De temps à autre, l'un des gardes s'assurait que tout allait bien. 
  Le métro les conduisit à un hôpital. "Que faisons-nous ici ?" murmura-t-il à Beyrouth. Elle ne répondit pas mais le conduisit à l'intérieur, vers une famille qui semblait avoir des difficultés financières. Thomas surgit et leur demanda : "Avez-vous les capacités de payer les frais de      traitement ?" . Les parents sourirent fièrement et répondirent : "Nous avons des soins de santé gratuits à présent. L'époque où on suppliait l'administration de nous laisser entrer est enfin achevée. Tout le monde mérite d'être traité de la même manière, quelle que soit sa classe sociale." Thomas prit la famille dans ses bras en déversant tout son amour et son soutien.
   Ils continuèrent leur chemin, et cette fois, ils se trouvèrent devant une école dont le directeur les accueillit déjà. "Enfin ! J'attendais votre arrivée impatiemment. Je connais déjà vos questions, suivez-moi . Le système éducatif a pris une tournure positive intéressante. L'éducation est désormais gratuite et obligatoire pour tous les habitants. Nous avons également changé le programme d'études, en nous concentrant davantage sur la personnalité des étudiants et leurs compétences de vie telles que l'investissement et les impôts, en prêtant attention à leurs talents cachés tout en les aidant à libérer leur potentiel absolu. Nous organisons également des programmes d'échange tous les trois ans afin qu'ils puissent apprendre davantage sur les différentes cultures d'autres pays, tout en partageant la leur. Les écoles publiques sont meilleures que jamais, permettant aux enfants de différentes nationalités d'apprendre. À la suite de ces changements, les opportunités d'emploi se sont également étendues, et personne n'est plus obligé de quitter ses proches pour gagner sa vie. 
   Quant aux enseignants, ils font désormais partie des personnes les mieux payées du pays. Leurs difficultés, leur dévouement et leur engagement sont enfin récompensés comme il se doit.
   Thomas sourit, montrant sa gratitude. Lui et tous les Libanais se battent sans arrêt depuis des décennies pour un quart de ces réalisations, mais le fait qu'elles se produisent, même si ce n'est qu'une vue lointaine, lui réchauffe le cœur. Ils le remercient chaleureusement et ouvrent la porte d'à côté. 
   Maintenant, ils se trouvent devant le palais gouvernemental. C'est là que tout a commencé, et c'est là que ça prendra fin. Accueillis par les gardes, ils les suivent à l'intérieur afin de rencontrer le président. Ils sont accueillis amicalement et prennent place en attendant les nouvelles à venir (bonnes ou mauvaises) ; ils sont sur le point de le découvrir.
   Le président commence : « Je vais commencer par ce que je crois être l'apogée des changements passés. Nous sommes officiellement un pays laïc. Le problème principal de notre pays était le mélange entre la religion et l'état. La plupart des lois ont également été rectifiées pour rendre ce pays plus sûr et meilleur pour ses habitants. Tout le monde, quel que soit son sexe, sa religion, sa race, suit désormais une et une seule loi. La criminalité a chuté et les gens sont plus calmes, plus patients, aimants, ouverts d'esprit et se soutiennent les uns les autres. Ils sont plus unis que jamais. 
   Quant à notre économie, elle s'améliore aussi de façon impressionnante. Nous avons commencé à dépendre davantage sur la production libanaise, exportant bien plus qu'emportant. Nous avons développé les secteurs agricoles et industriels, et nous remboursons nos dettes. Cela prendra du temps et des efforts constants, mais les résultats en valent la peine.
   Sur ce, il se lève et leur serre la main : « Je sais qu'il est difficile de croire que nous avons réalisé tout cela, surtout après la crise constante et les luttes que nous avons traversées, mais il y a une lumière au bout de chaque tunnel. Ne perdez pas espoir car c'est le seul motif qui nous fait avancer. 
   L'étoile s'éteignit soudainement. Thomas s'effondre alors en pleurant. Beyrouth le prend dans ses bras, elle lui dit alors : "Je sais que je suis vieille et impuissante, les guerres m'ont abattue, la haine envahissant notre peuple m'a épuisée, la pollution a détruit mes poumons et enfin ton désespoir et ton abandon ont été la goutte qui a fait déborder le vase.
   Thomas soupire, submergé à la fois de bonheur et de tristesse. Beyrouth le regarde, ses yeux pleins d'espoir : "La vie de ma fille repose entre tes mains et celles de ta génération, son futur est l'ensemble de ces changements. Vous devez vous battre pour votre pays, pour Douce Beirut, pour moi. Changer la situation actuelle paraît impossible, et laisse-moi te dire que ce ne sera pas facile. Mais avec le bon état d'esprit, la volonté et le travail acharné, tout est possible. Il suffit de croire en soi et en ce pays, car c'est une partie de vous, votre identité, votre patrimoine et le sera pour toujours. 
   Mon temps ici est terminé, mais je te protège toujours. Promets-moi de te battre pour ma fille, et je suis sûre et certaine que tu y arriveras," poursuit Beirut. Elle serre Thomas fort contre elle, et il la serre encore plus fort.
   Le temps reprend, Thomas recollecte ses valises et ramasse sa toile qui reprend ses couleurs, sa direction : Beyrouth.
                                                                                                                                 Nour Faour
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