Par la fenêtre, je contemple l'aube naissante. Un mince filet de lumière zèbre l'horizon, le ciel bleuit, un nouveau jour se lève. C'est un spectacle à couper le souffle que je ne partage avec personne. Je me laisse submerger par l'émotion, depuis mon lit. Ma vie a basculé cette nuit, je me sens à l'image de cette journée, gonflée d'espoir. J'aimerais bouger un peu mais mon corps, endolori par l'intervention et alourdi par l'anesthésie, résiste. Mes pensées vagabondent. Sans raison apparente un mot émerge de ce chaos : battante. Etonnant, car je l'utilise rarement, que signifie-t-il exactement ?
Le fil de mes pensées me ramène quelques heures plus tôt, au moment où les événements suivaient encore leur cours normal et prévisible. La journée de travail s'était déroulée sans heurts et je rentrais chez moi tranquillement à pied. L'air doux fleurait bon le printemps, le soleil de la fin de journée glissait sur ma peau et je me prenais à imaginer ce que serait cet été. Un cycliste se rapprochait rapidement alors que je commençais à traverser la rue. J'étais certaine qu'il s'arrêterait ou ralentirait en m'apercevant. Il a dû penser de même, n'a pas ralenti... puis, le choc.
Déséquilibrée, je tombe. Le cycliste pose à peine un pied à terre et repart en m'injuriant. Je reste seule au milieu de la rue. Je tente de me relever doucement, j'essaie de marcher mais une violente douleur me lacère le bas du dos et me cloue au sol. J'aspire profondément quelques goulées d'air. Petit à petit, j'arrive à me déplacer en prenant appui sur mes mains afin d'atteindre le trottoir. Personne aux alentours et le soir commence à tomber. J'appelle mon homme et lui raconte l'accident. « J'arrive ! ».
Quelques minutes plus tard j'aperçois la voiture, puis son visage angoissé. J'ai mal et je m'en veux d'avoir traversé, d'être tombée, je me sens coupable et je pleure comme une petite fille. « Arrête. Je t'aime et tu n'y es pour rien. On va à l'hôpital ». L'hôpital ? Pas question, je veux rentrer à la maison. « Tu saignes. On doit y aller ». Encore choquée, je ne m'en étais pas aperçue. Merde. Pas maintenant. C'est trop tôt. Il m'aide à monter dans la voiture, je me calme, ce n'est pas le moment de flancher. La douleur monte, je serre les dents. J'essaie de ne pas céder à la panique. J'ai peur, mais pas pour moi.
Des urgences nous passons directement au bloc opératoire. « Vous n'en êtes qu'à 31 semaines, le bébé est trop faible, on va vous faire une césarienne. Votre compagnon peut rester s'il le souhaite ». Je lis dans ses yeux qu'il ne nous laisserait pour rien au monde. Derrière son masque, son regard ne lâche pas le mien durant toute l'intervention. La chirurgienne sort notre fille de mon ventre. Je l'aperçois furtivement, juste avant que le pédiatre l'emmène et la dépose sur la table d'examen. Elle ne crie pas, elle est toute molle. La tension monte. Mon coeur s'emballe, je me concentre de toutes mes forces sur ce petit corps invisible. Mon homme tente de se rapprocher mais est maintenu fermement à l'écart. Pas un mot du corps médical mais une suite de geste précis. Massage cardiaque. Nous assistons, impuissants, à la réanimation de notre fille. Les secondes s'égrènent, un impitoyable compte à rebours commence. Soudain, un faible cri. Enfin. Un soulagement perceptible dans la salle d'opération. Le coeur de notre fille bat, le mien s'apaise. Les yeux de mon homme s'embuent. Notre petite vivra. Nous l'appelons Clara, la lumière.
« Bonjour Madame, nous allons voir votre enfant». La voix de l'infirmière interrompt mes pensées. Je me déplace difficilement et nous rejoignons le service de néonatalogie en chaise roulante.
« Vous pouvez lui parler et la toucher, elle a besoin de vous ».
Clara, ma fille, mon amour. Si petite, si chétive, si fragile, reliée à toutes ces machines qui te surveillent, mais vivante.
Tu ne pourras raconter à personne ce combat qui fut le tien durant ces instants interminables.
Tu t'es battue pour vivre.
Ton coeur bat.
Tu es une battante.
Le fil de mes pensées me ramène quelques heures plus tôt, au moment où les événements suivaient encore leur cours normal et prévisible. La journée de travail s'était déroulée sans heurts et je rentrais chez moi tranquillement à pied. L'air doux fleurait bon le printemps, le soleil de la fin de journée glissait sur ma peau et je me prenais à imaginer ce que serait cet été. Un cycliste se rapprochait rapidement alors que je commençais à traverser la rue. J'étais certaine qu'il s'arrêterait ou ralentirait en m'apercevant. Il a dû penser de même, n'a pas ralenti... puis, le choc.
Déséquilibrée, je tombe. Le cycliste pose à peine un pied à terre et repart en m'injuriant. Je reste seule au milieu de la rue. Je tente de me relever doucement, j'essaie de marcher mais une violente douleur me lacère le bas du dos et me cloue au sol. J'aspire profondément quelques goulées d'air. Petit à petit, j'arrive à me déplacer en prenant appui sur mes mains afin d'atteindre le trottoir. Personne aux alentours et le soir commence à tomber. J'appelle mon homme et lui raconte l'accident. « J'arrive ! ».
Quelques minutes plus tard j'aperçois la voiture, puis son visage angoissé. J'ai mal et je m'en veux d'avoir traversé, d'être tombée, je me sens coupable et je pleure comme une petite fille. « Arrête. Je t'aime et tu n'y es pour rien. On va à l'hôpital ». L'hôpital ? Pas question, je veux rentrer à la maison. « Tu saignes. On doit y aller ». Encore choquée, je ne m'en étais pas aperçue. Merde. Pas maintenant. C'est trop tôt. Il m'aide à monter dans la voiture, je me calme, ce n'est pas le moment de flancher. La douleur monte, je serre les dents. J'essaie de ne pas céder à la panique. J'ai peur, mais pas pour moi.
Des urgences nous passons directement au bloc opératoire. « Vous n'en êtes qu'à 31 semaines, le bébé est trop faible, on va vous faire une césarienne. Votre compagnon peut rester s'il le souhaite ». Je lis dans ses yeux qu'il ne nous laisserait pour rien au monde. Derrière son masque, son regard ne lâche pas le mien durant toute l'intervention. La chirurgienne sort notre fille de mon ventre. Je l'aperçois furtivement, juste avant que le pédiatre l'emmène et la dépose sur la table d'examen. Elle ne crie pas, elle est toute molle. La tension monte. Mon coeur s'emballe, je me concentre de toutes mes forces sur ce petit corps invisible. Mon homme tente de se rapprocher mais est maintenu fermement à l'écart. Pas un mot du corps médical mais une suite de geste précis. Massage cardiaque. Nous assistons, impuissants, à la réanimation de notre fille. Les secondes s'égrènent, un impitoyable compte à rebours commence. Soudain, un faible cri. Enfin. Un soulagement perceptible dans la salle d'opération. Le coeur de notre fille bat, le mien s'apaise. Les yeux de mon homme s'embuent. Notre petite vivra. Nous l'appelons Clara, la lumière.
« Bonjour Madame, nous allons voir votre enfant». La voix de l'infirmière interrompt mes pensées. Je me déplace difficilement et nous rejoignons le service de néonatalogie en chaise roulante.
« Vous pouvez lui parler et la toucher, elle a besoin de vous ».
Clara, ma fille, mon amour. Si petite, si chétive, si fragile, reliée à toutes ces machines qui te surveillent, mais vivante.
Tu ne pourras raconter à personne ce combat qui fut le tien durant ces instants interminables.
Tu t'es battue pour vivre.
Ton coeur bat.
Tu es une battante.