Ariane. On disait d'elle que c'était une femme forte qui avait la tête bien faite. Mais elle même ne savait pas très bien si c'était vrai ni ce que cela signifiait ou impliquait. Elle utilisait toutes sortes de stratagèmes pour survivre en groupe. Elle était d'âme solitaire, mais avait développé le besoin de se mettre en danger en milieu hostile. Et le summum de l'hostilité pour elle c'était la foule. A la fois tétanisante et galvanisante... Elle était programmée pour ça, c'était sa raison d'être.
A 21 ans, Ariane s'était mis en tête de créer un projet musical et de tenter de percer dans le monde de la musique. Composer, arranger, enregistrer, répéter, jouer et signer avec un producteur, pour jouer encore sur de plus grandes scènes. Elle pourrait d'abord se produire dans des bars et au cours de manifestations publiques dans sa petite ville natale du Sud de l'Isère. Elle augmenterait ainsi les chances d'être repérée. Ensuite, peut être, son avenir pourrait s'envoler sur des scènes plus prestigieuses : Paris, Bruxelles, Londres, Berlin...
Depuis un moment elle notait tout ce qui lui passait par la tête dans un cahier qu'elle gardait toujours à portée de main, dans son sac. Principalement des textes et des mélodies, mais aussi des sensations, des perceptions, voire des émotions qu'elle décrivait en quelques mots pour en garder la trace ou par des dessins schématiques qu'elle seule savait interpréter. Elle avait appris la guitare très jeune et avait naturellement un don avec les arrangements de progressions mélodiques. Sa voix était douce et feutrée. Elle était persuadée que son prénom était prédestiné. Qu'elle décollerait un jour, sans prévenir, jusqu'à s'arracher de la gravité terrestre et toucher les étoiles.
Ariane voulait vivre ce projet de façon exclusive avec le public. C'était étrangement l'unique façon selon elle d'être sûre de pouvoir mesurer l'appréciation de celui-ci vis à vis de ce qu'elle créerait et partagerait. Elle ne savait pas dire d'où cette idée venait. C'était son ressenti. Et elle voulait le frisson total, sans partage : être seule, pour le meilleur ou le pire si le public n'appréciait pas ce qu'elle jouerait. Son idée était d'arriver à remplir le champ sonore avec sa présence, de transmettre de l'émotion et de l'énergie au public avec des moyens minimalistes. Tout devrait être parfait, de son jeu à la guitare, son attitude, son jeu de scène, et bien entendu sa voix qui était de loin l'aspect le plus important pour envoûter son public et le transporter dans une autre dimension.
Ariane était étudiante en école d'infirmière. C'était sa couverture officielle. Elle mènerait ce projet d'études le jour et travaillerait sur son projet musical la nuit. D'un côté comme de l'autre son objectif n'était pas la gloire ni la reconnaissance mais de faire de son mieux, de chercher à repousser les limites et à se dépasser. Elle ne prétendait pas être excellente en quoi que ce soit mais son positionnement interne appelait à l'excellence... Elle y mettrait tout ce qu'elle avait en elle, toute son énergie, toutes ses ressources et se débattrait corps et âme pour aller toujours plus loin dans la réalisation de ses projets.
Après deux années de travail acharné, de composition, de création de son univers musical et de recherche sonore sur quelques effets efficaces pour sa guitare, elle avait un set de composition de dix morceaux ce qui lui permettait de jouer une petite heure. Ariane voulait être aussi parfaite que les top modèles qu'on voyait défiler comme des robots. Il fallait donc qu'elle se transforme. Elle multipliait ses activités physiques, allait chez le coiffeur toutes les semaines juste avant ses concerts dans des bars du secteur. Elle artificialisait son corps petit à petit, pour plaire et répondre aux modèles formatés de la société. Sa musique plaisait mais elle doutait toujours qu'on vienne la voir pour les créations artistiques qu'elle produisait ou pour ce qu'elle donnait à voir d'elle même : une femme indépendante et stéréotypée comme le système en fabrique à la chaîne. Mais Ariane ne se rendait pas compte du cercle vicieux dans lequel elle était entrée... Son pouvoir sur les groupes de personnes qui venaient la voir n'avait petit à petit plus rien à voir avec la musique mais à ses déguisements et artifices, et à son jeu de scène déluré et provocateur.
Elle se surprenait de semaine en semaine à développer une personnalité double. La journée elle était une jeune femme studieuse, attentionnée et adorable. La nuit, sous des apparences de plus en plus provocatrices et une attitude toujours plus excessive et sombre, elle se transformait en diablesse. Ce pouvoir qu'elle exerçait et cette double vie devenaient une drogue. Le milieu de la nuit était très particulier, il repoussait toujours les limites. Alcool, substances illicites, propositions en tout genre, rencontres tordues. Plus elle se battait pour réussir, plus elle glissait vers une abîme. On la félicitait pour ses choix radicaux, ses prises de risques, ses costumes à la limite du vulgaire. Et cela payait de plus en plus. Une double scène le week-end à chanter la rémunérait plus qu'une semaine de stage à l'hôpital.
Son personnage de nuit totalement fabriqué, artificiel, ce n'était pas elle. Ses textes étaient devenus de plus en plus violents, les mélodies de plus en plus trash. Ariane avait toujours eu du mal à prendre du recul sur ce qu'elle faisait et sur qui elle était au fond d'elle même. Ce jeu narcissique lui permettait de ne jamais se poser de question. Elle avait en tête de se faire tatouer la moitié du corps, procéder à diverses transformations physiques comme réduire la taille de ses seins qui l'encombraient. La mode penchait vers des profiles androgynes. Elle pensait aussi à se raser les cheveux. Toutes les stars dans les magazines passaient par ces phases là, c'était normal. Pour réussir, elle se battait toujours plus pour se conformer. Tout l'argent qu'elle gagnait y passerait si il le fallait.
Ariane passait ses journées à aider des personnes qui s'étaient blessées. Elle travaillait aux urgences et aidait les internes en médecine dans la tâche quotidienne de faire face, la plupart du temps, à des accidents domestiques. Petites blessures, traumatismes, brûlures, fractures parfois ouvertes. Il fallait avoir le cœur bien accroché.
Le jour où tout a basculé, c'était un Samedi en fin d'après-midi. Ariane s'apprêtait à quitter son poste. Elle avait rendez vous avec le directeur de la programmation d'une salle de 2000 places et suspectait qu'il lui ferait une proposition de jouer en première partie d'un groupe à portée internationale, elle se préparait à se changer et mettre les voiles. Mais une ambulance de plus arriva. On appela du renfort, les services étaient constamment en sous effectifs. Elle alla naturellement prêter main forte. C'était un accidenté de la route en état critique. Il fallait le sauver. Elle assista les médecins pendant les trois heures d'opération, puis décida de l'accompagner et de rester présente cette nuit là. C'était un appel, un besoin. Plus que tout elle sentait que c'était sa place. Pas un instant elle ne pensa ni au concert, ni à son rendez vous. Elle en avait enfin terminé, brusquement, avec le processus de dégradation qu'elle avait entamé.
L'auto-destruction était terminée. Le narcissisme n'était plus. Elle avait choisi de se battre pour les autres. Elle avait choisi d'être une femme. Cette nuit là elle avait saisi l'importance de ses choix, l'importance d'écouter sa conscience. Elle avait compris et mûri d'un seul coup. Chaque choix avait des conséquences. Elle pria toute la nuit pour le rétablissement de cet homme. Plus que toutes les opérations du monde, elle l'aida à guérir, par sa présence, par son amour et sa complicité. Une fois rétabli après de nombreuses semaines de rééducation il finit par l'inviter au restaurant. Elle accepta.
Elle ne serait jamais tatouée. Et aurait trois enfants : ses trois étoiles.
A 21 ans, Ariane s'était mis en tête de créer un projet musical et de tenter de percer dans le monde de la musique. Composer, arranger, enregistrer, répéter, jouer et signer avec un producteur, pour jouer encore sur de plus grandes scènes. Elle pourrait d'abord se produire dans des bars et au cours de manifestations publiques dans sa petite ville natale du Sud de l'Isère. Elle augmenterait ainsi les chances d'être repérée. Ensuite, peut être, son avenir pourrait s'envoler sur des scènes plus prestigieuses : Paris, Bruxelles, Londres, Berlin...
Depuis un moment elle notait tout ce qui lui passait par la tête dans un cahier qu'elle gardait toujours à portée de main, dans son sac. Principalement des textes et des mélodies, mais aussi des sensations, des perceptions, voire des émotions qu'elle décrivait en quelques mots pour en garder la trace ou par des dessins schématiques qu'elle seule savait interpréter. Elle avait appris la guitare très jeune et avait naturellement un don avec les arrangements de progressions mélodiques. Sa voix était douce et feutrée. Elle était persuadée que son prénom était prédestiné. Qu'elle décollerait un jour, sans prévenir, jusqu'à s'arracher de la gravité terrestre et toucher les étoiles.
Ariane voulait vivre ce projet de façon exclusive avec le public. C'était étrangement l'unique façon selon elle d'être sûre de pouvoir mesurer l'appréciation de celui-ci vis à vis de ce qu'elle créerait et partagerait. Elle ne savait pas dire d'où cette idée venait. C'était son ressenti. Et elle voulait le frisson total, sans partage : être seule, pour le meilleur ou le pire si le public n'appréciait pas ce qu'elle jouerait. Son idée était d'arriver à remplir le champ sonore avec sa présence, de transmettre de l'émotion et de l'énergie au public avec des moyens minimalistes. Tout devrait être parfait, de son jeu à la guitare, son attitude, son jeu de scène, et bien entendu sa voix qui était de loin l'aspect le plus important pour envoûter son public et le transporter dans une autre dimension.
Ariane était étudiante en école d'infirmière. C'était sa couverture officielle. Elle mènerait ce projet d'études le jour et travaillerait sur son projet musical la nuit. D'un côté comme de l'autre son objectif n'était pas la gloire ni la reconnaissance mais de faire de son mieux, de chercher à repousser les limites et à se dépasser. Elle ne prétendait pas être excellente en quoi que ce soit mais son positionnement interne appelait à l'excellence... Elle y mettrait tout ce qu'elle avait en elle, toute son énergie, toutes ses ressources et se débattrait corps et âme pour aller toujours plus loin dans la réalisation de ses projets.
Après deux années de travail acharné, de composition, de création de son univers musical et de recherche sonore sur quelques effets efficaces pour sa guitare, elle avait un set de composition de dix morceaux ce qui lui permettait de jouer une petite heure. Ariane voulait être aussi parfaite que les top modèles qu'on voyait défiler comme des robots. Il fallait donc qu'elle se transforme. Elle multipliait ses activités physiques, allait chez le coiffeur toutes les semaines juste avant ses concerts dans des bars du secteur. Elle artificialisait son corps petit à petit, pour plaire et répondre aux modèles formatés de la société. Sa musique plaisait mais elle doutait toujours qu'on vienne la voir pour les créations artistiques qu'elle produisait ou pour ce qu'elle donnait à voir d'elle même : une femme indépendante et stéréotypée comme le système en fabrique à la chaîne. Mais Ariane ne se rendait pas compte du cercle vicieux dans lequel elle était entrée... Son pouvoir sur les groupes de personnes qui venaient la voir n'avait petit à petit plus rien à voir avec la musique mais à ses déguisements et artifices, et à son jeu de scène déluré et provocateur.
Elle se surprenait de semaine en semaine à développer une personnalité double. La journée elle était une jeune femme studieuse, attentionnée et adorable. La nuit, sous des apparences de plus en plus provocatrices et une attitude toujours plus excessive et sombre, elle se transformait en diablesse. Ce pouvoir qu'elle exerçait et cette double vie devenaient une drogue. Le milieu de la nuit était très particulier, il repoussait toujours les limites. Alcool, substances illicites, propositions en tout genre, rencontres tordues. Plus elle se battait pour réussir, plus elle glissait vers une abîme. On la félicitait pour ses choix radicaux, ses prises de risques, ses costumes à la limite du vulgaire. Et cela payait de plus en plus. Une double scène le week-end à chanter la rémunérait plus qu'une semaine de stage à l'hôpital.
Son personnage de nuit totalement fabriqué, artificiel, ce n'était pas elle. Ses textes étaient devenus de plus en plus violents, les mélodies de plus en plus trash. Ariane avait toujours eu du mal à prendre du recul sur ce qu'elle faisait et sur qui elle était au fond d'elle même. Ce jeu narcissique lui permettait de ne jamais se poser de question. Elle avait en tête de se faire tatouer la moitié du corps, procéder à diverses transformations physiques comme réduire la taille de ses seins qui l'encombraient. La mode penchait vers des profiles androgynes. Elle pensait aussi à se raser les cheveux. Toutes les stars dans les magazines passaient par ces phases là, c'était normal. Pour réussir, elle se battait toujours plus pour se conformer. Tout l'argent qu'elle gagnait y passerait si il le fallait.
Ariane passait ses journées à aider des personnes qui s'étaient blessées. Elle travaillait aux urgences et aidait les internes en médecine dans la tâche quotidienne de faire face, la plupart du temps, à des accidents domestiques. Petites blessures, traumatismes, brûlures, fractures parfois ouvertes. Il fallait avoir le cœur bien accroché.
Le jour où tout a basculé, c'était un Samedi en fin d'après-midi. Ariane s'apprêtait à quitter son poste. Elle avait rendez vous avec le directeur de la programmation d'une salle de 2000 places et suspectait qu'il lui ferait une proposition de jouer en première partie d'un groupe à portée internationale, elle se préparait à se changer et mettre les voiles. Mais une ambulance de plus arriva. On appela du renfort, les services étaient constamment en sous effectifs. Elle alla naturellement prêter main forte. C'était un accidenté de la route en état critique. Il fallait le sauver. Elle assista les médecins pendant les trois heures d'opération, puis décida de l'accompagner et de rester présente cette nuit là. C'était un appel, un besoin. Plus que tout elle sentait que c'était sa place. Pas un instant elle ne pensa ni au concert, ni à son rendez vous. Elle en avait enfin terminé, brusquement, avec le processus de dégradation qu'elle avait entamé.
L'auto-destruction était terminée. Le narcissisme n'était plus. Elle avait choisi de se battre pour les autres. Elle avait choisi d'être une femme. Cette nuit là elle avait saisi l'importance de ses choix, l'importance d'écouter sa conscience. Elle avait compris et mûri d'un seul coup. Chaque choix avait des conséquences. Elle pria toute la nuit pour le rétablissement de cet homme. Plus que toutes les opérations du monde, elle l'aida à guérir, par sa présence, par son amour et sa complicité. Une fois rétabli après de nombreuses semaines de rééducation il finit par l'inviter au restaurant. Elle accepta.
Elle ne serait jamais tatouée. Et aurait trois enfants : ses trois étoiles.