Avril

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Nouvelles - Littérature Générale

Je hais le mois d'avril.
Avril, c'est froid.
Avril, c'est moche.
Avril, c'est comme si l'hiver était revenu juste pour t'emmerder une dernière fois.
Avril, c'est comme si l'hiver revenait dans ta vie.

Je me suis réveillé assez tard ce matin-là. Claire était déjà sortie du lit. On était dimanche, j'étais rentré crevé de ce séminaire à la con. J'aurais bien fait une grasse mat' avec ma chérie, et même un petit câlin. Mais Claire est matinale. Super matinale.
Quelque part, je dois dire que ça m'arrangeait tout de même un peu d'être seul. J'avais du temps pour penser à cette foutue soirée de jeudi. Qu'est ce qui m'avait pris de picoler autant ? C'était la clôture du séjour à Montpellier que la boîte nous avait concocté. « Développement personnel et cohésion d'équipe ». Quatre jours pour mieux se connaître, et à la fin, la soirée d'adieux avant de reprendre le train vendredi dans la matinée. J'avais bien essayé d'y échapper, mais en tant que chef de secteur, la direction m'avait clairement fait comprendre que mon absence serait extrêmement mal vécue.
La dernière chose dont je me souvienne dans cette soirée, c'est la main de la brunette qui avait animé l'atelier « Le non-dit du corps ». Elle s'était assise à la table à côté de moi. J'avais déjà trois verres de whisky dans le nez. Moi je pensais à Claire. Claire qui malgré son humour légendaire avait fait la gueule toute la semaine précédent mon départ, et m'avait envoyé des textos brefs et froids. Rien à voir avec ses petits mots doux quotidiens qui me réchauffaient heure après heure quand j'étais loin d'elle.
J'avais attendu le maximum de temps avant de l'informer de mon absence car je savais qu'elle prendrait mal l'annulation de notre anniversaire. Ce fameux jeudi, ça faisait exactement cinq ans que je l'avais prise dans mes bras et que mon univers avait basculé. C'était devenu, depuis, une journée particulière. Une journée toute à nous du matin jusqu'au soir. Enfin, jusqu'à ce jour. Jusqu'à ce jour où je n'avais pas eu les cojones d'envoyer mon patron se faire voir ailleurs. Au fur et à mesure que la soirée s'était prolongée, bercé par le pinard et les rires de ma voisine de table, c'était devenu de plus en plus confus dans ma tête.
Vendredi matin, je me suis réveillé à mon hôtel, mais pas dans la chambre habituelle. La fille était en train de prendre une douche. J'ai paniqué. J'avais envie de vomir. Mais les nausées n'étaient pas dues à la gueule de bois. C'était de l'écœurement de m'apercevoir que j'étais passé de l'autre côté. Une ligne blanche que nous nous étions juré de ne jamais franchir. Parce que ma Claire est monogame dans l'âme et qu'elle n'est pas du genre à pardonner la trahison. Je me suis habillé en vitesse et je me suis sauvé.
Le voyage de retour m'a semblé long. Je n'osais pas téléphoner à Claire. Peur que ma voix me trahisse, peur qu'à la première intonation, elle comprenne. On s'est parlé par SMS. Je lui ai dit à quel point je regrettais de n'avoir pas été avec elle la veille et que, quoiqu'il se passe, je lui promettais que jamais plus ça ne se reproduirait.
Quand elle m'a ouvert la porte, je me suis jeté dans ses bras, et j'ai fondu en larmes. Nous avons fait l'amour cette nuit-là comme si c'était la première fois. Mais je gardais au cœur le relent immonde de la trahison que j'avais ramené dans mes bagages.
Il régnait dans la maison un silence assourdissant quand j'ai fini par me lever. Claire allume toujours la radio. Ce matin, rien. Finalement dans le salon, sur la table basse, j'ai trouvé la feuille blanche et les quelques mots griffonnés dessus à la hâte :

« Mathieu,
Marre de tes mensonges, la coupe est pleine. N'essaie pas de me retenir, tu en as fais assez comme ça. Je tourne la page et je te conseille d'en faire autant. »

Ça m'a fait comme un trou dans la poitrine. Un creux qui se prolongeait jusqu'en enfer. Comment avait-elle su ? Avait-elle deviné ou l'avait-on informée ? Impossible de me rappeler ce qu'il s'était exactement passé. Est-ce que quelqu'un avait pris une photo ? Certaines de mes collègues connaissaient Claire. Avaient-elles son numéro de portable ? Mes mains n'arrêtaient pas de trembler tandis que j'essayais d'appeler la femme de ma vie. Une petite voix enjouée m'a répondu : 
« Bonjour c'est Claire. Eh non, je ne suis pas là pour vous répondre. Laissez-moi un message, on ne sait jamais... »
J'étais au bord du désespoir à l'idée de ne plus entendre cette voix. Ce n'était pas possible que ça finisse comme ça, il fallait que je tente ma chance, il fallait absolument qu'elle comprenne tout de suite. J'ai rappelé trois fois. À la troisième, je me suis déversé sur le répondeur.
Je lui ai crié de me pardonner, que j'étais bourré ce soir-là et que je ne me souvenais même plus de ce qui c'était passé, que cette fille ne comptait pas et que je ne boirais plus jamais une goutte d'alcool de ma vie. Je lui ai hurlé de ne pas m'abandonner. Je me suis mis plus minable qu'un Brel.
Quand j'ai fini par raccrocher, je me suis effondré sur le canapé. Les larmes se sont enfin arrêtées pour laisser la place au vide absolu. Le vide de l'attente d'un coup de fil. Mon regard s'est posé à nouveau sur le mot. Je relisais en boucle le message d'adieu. Une petite étincelle s'est allumée dans ma tête, comme on allume une mèche reliée à une bombe atomique. J'ai pris la feuille à deux mains et j'ai relu encore une fois.
« Je tourne la page et je te conseille d'en faire autant. »
Mon cœur s'est presque arrêté de battre quand j'ai regardé de l'autre côté.
Un grand cœur et au centre :
« Poisson d'avril mon chéri ! Ça t'apprendra à me laisser toute seule pour notre anniversaire ! Pas fait de bruit pour ne pas te réveiller. Je reviens avec les croissants.
Je t'aime ! »
Peut-être me reste-t-il encore une chance. Peut-être n'a-t-elle pas encore lu le message. Elle ne les écoute pas tous immédiatement. Sauf les miens, malheureusement. Si elle ne sait pas encore, je trouverai un moyen de prendre son foutu téléphone pour effacer.
Il me reste une chance.
J'entends un bruit de clé dans la serrure.
Je sais que tout sera joué au premier regard.
Je me sens proche d'un hiver interminable.
Je hais le mois d'avril.

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