Avant

Ne vivre que pour cela. Courir à perdre haleine sur le terrain. Vibrer à l’unisson des supporters. Être sous les projecteurs. S’enivrer des odeurs et des clameurs. Oublier le temps qui passe. Le temps des tristesses. Le temps des déceptions. Le temps des douleurs. Le temps des malheurs. Oublier tout cela pour courir. Emplir ses poumons à les rompre. Souffler son haleine dans la fraîcheur du stade. Les pieds qui foulent la pelouse. La foule qui hurle, la houle. Les drapeaux qui flottent en duo. Les chants d’encouragement. La musique. Les tambours qui roulent. Le sifflet strident de l’arbitre. Le corps qui s’allège, qui vole au-dessus du gazon tout juste tondu. La remise en jeu, on l’entoure. On l’attrape à bout de bras. On la soulève. Le sol se dérobe sous ses pieds. Légèreté d’une plume. Saisir le ballon ovale qui court dans tous les sens lorsqu’il roule à terre. Là, maintenant le tenir fermement, redescendre sur terre. Le mettre dans le creux de son bras comme un enfant que l’on berce. Bien le bloquer pour le garder jusqu’au bout. Faire passe, si c’est possible. Sinon ne pas le partager. Courir, courir, courir. La tête baissée. Les épaules rentrées. Surveiller sa droite. Surveiller sa gauche. Foncer en zigzagant. Les jambes musclées moulinent. Les crampons crochètent la pelouse. Attention ! Ne pas glisser. Faire des écarts. Éviter les bras et les mains qui se tendent pour retenir. N’avoir qu’une idée, sprinter. Foncer. Foncer. Donner toute son énergie. Tout son élan. Toute sa volonté. Courir encore. Se propulser vers les barres. Passer la ligne blanche. Plonger au sol dans un rebond. Le ballon dans les bras. Marquer l’essai. Soulagée, apaisée, félicitée. Dans son fauteuil roulant, elle se souvient.