Depuis qu'il avait appris à déchiffrer les lettres, Max avait fait de la lecture sa plus grande passion. Il dévorait les livres comme d'autres enfants engloutissaient les cupcakes au chocolat. Ainsi les personnages de ses romans préférés l'accompagnaient tout au long de sa journée.
Ce matin-là, alors qu'il avait les yeux rivés sur le grand tableau où la maîtresse avait écrit les exercices du contrôle de maths, le Petit Prince le rassurait en lui murmurant : « Ne t'inquiète pas Max. On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux ».
Car Max avait beau plisser les yeux, les nombres lui apparaissaient flous et les opérations à effectuer n'avaient plus rien de rationnel. Les chiffres s'étaient étirés puis contorsionnés pour devenir tantôt des objets, tantôt d'étranges personnages. Un cyclope à la bouche grande ouverte avait dû, dans une vie antérieure, être un huit. Le quatre s'était transformé en bateau parti voguer sur les mers les plus déchaînées du globe. Les chiffres dansaient et se déhanchaient, c'était bien joli la salsa des opérations, mais il allait rater son contrôle de maths !
Max avait levé le doigt pour expliquer à la maîtresse qu'il avait dû être ensorcelé et était en train de perdre la vue.
Max avait levé le doigt pour expliquer à la maîtresse qu'il avait dû être ensorcelé et était en train de perdre la vue.
— Je vous assure, maîtresse ! La sorcière Démonia, celle des Contes à faire dresser les cheveux sur la tête, eh bien je suis sûr qu'elle a marabouté mes yeux ! Le signe « moins » sur le tableau, je vous jure, c'est une épée venue découper tous les chiffres, schlack schlack, c'est l'apocalypse des opérations !
— Mais non Max ! s'était esclaffé la maîtresse. J'adore ton imagination, mais tu as peut-être simplement un problème de vue. Tu devrais en parler à tes parents pour qu'ils te prennent rendez-vous chez un ophtalmologiste !
Le rendez-vous avait été pris rapidement et Max avait été impressionné en arrivant chez la spécialiste. En grimpant dans l'immense fauteuil que lui indiqua la docteure, Max eut l'impression de s'installer dans le siège du vaisseau intergalactique du capitaine Chien-de-la-Lune et de l'accompagner dans sa mission pour protéger la galaxie ! Le dos bien droit sur le dossier, l'arrière du crâne vissé dans le cale-tête du fauteuil, il était prêt à appuyer sur le bouton intégré aux accoudoirs pour se propulser dans l'espace. Max regarda la docteure approcher un bras télescopique chaussé d'épaisses lunettes métalliques avec tout de même une légère appréhension.
— Prêt ? lança la spécialiste avec un large sourire. Tu vas d'abord lire les lettres sur le mur en face de toi.
Max se concentra sur les lettres imprimées sur le grand poster dont les tailles allaient décroissant.
— M... C... T... H... articula-t-il mollement, A, F, D, Z, E...
— Très bien ! encouragea la docteure, continue !
Comme il hésitait et plissait les yeux, elle inséra un verre correcteur supplémentaire dans les étranges lunettes, et le regard de Max s'illumina.
— Bigre Gnou Là Youpi C'est Kaki Illico !
La spécialiste éclata de rire.
— Tu as raison, c'est bien plus drôle que le classique BGLYCKI ! Passons maintenant au fond de l'œil ! Je vais te mettre une goutte dans chaque œil pour agrandir ta pupille. Ainsi, je pourrai voir à travers ton cristallin et mieux observer ta rétine.
Max pensa immédiatement à Sibylle Trelawney, professeur de divination d'Harry Potter, et à sa boule de Cristal ! Malheur de chez poisse ! Mais non mais non ! hurla Max intérieurement. Une boule de cristal ! Il n'avait pas prévu ça, mais alors pas du tout ! La spécialiste allait pouvoir lire en lui, avec cette maudite « boule de cristallin », et elle allait sûrement voir le secret qu'il gardait enfoui !
Lorsque l'ophtalmologiste regarda, telle une voyante, à travers le cristallin de Max, le garçon retint son souffle.
— Tout va bien ! Mais tu vas quand même avoir besoin de lunettes pour te permettre de mieux voir ! conclut-elle.
Max ferma les yeux et sourit. Tout allait bien. Elle n'avait pas vu l'image secrète qu'il gardait au fond de son cœur, et qui illuminait sa vie : celle de la douce Ava, son amour secret.
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