Nouvelles
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Université de Lomé
Au-delà de l'horreur: Le cri des filles opprimées
-Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. La douleur insupportable de la lame, froide comme le métal, entre mes jambes me fit pousser un cri déchirant. Le sang chaud qui s'écoulait abondamment entre mes cuisses augmentait mon effroi. Mon corps tout entier tremblait violemment, comme pris de convulsions. Mon cœur, serré par une douleur atroce, semblait prêt à exploser dans ma poitrine. Engourdie, je peinais à ressentir mes membres. Tout autour de moi, les femmes du village chantaient d'une voix enjouée, comme si leurs cris de joie pouvaient agir tel des analgésiques, apaisant ma souffrance. Le contraste entre leur liesse et mon calvaire rendait cette scène encore plus marquante, une image indélébile gravée dans ma mémoire.A ces mots, toute la foule resta muette, yeux et oreilles tournés vers Larba qui se tenait debout comme un mur protecteur devant les jeunes filles du village qui attendaient, en pleurs, leur tour.Larba la vieille, respectée de tous, continua son discours et se mit à raconter une histoire qui s'est déroulée il y a quelques années dans leur petit village de Dâmsi. C'est l'histoire de Alita, une âme sensible, curieuse et remplie de rêves. Malheureusement, dans son village, cette tradition cruelle persistait depuis des générations.Alita approchait de ses treize ans, l'âge où les filles étaient soumises à cette douloureuse pratique. Elle en avait entendu parler par les aînés du village, mais personne ne lui avait encore expliqué en détail ce que cela impliquait. L'excision était enveloppée de mystère et de secret, comme si sa révélation briserait l'innocence des jeunes filles trop tôt.Cependant, Alita ne pouvait pas s'empêcher de sentir une certaine appréhension à l'approche de son anniversaire. Ses amis, qui étaient également proches de cet âge, commençaient à être retirées de l'école pour subir le rituel, et lorsqu'elles revenaient, elles se renfermaient dans un silence étrange.Un jour, alors que le soleil se couchait derrière l'horizon, Alita décida d'aborder le sujet avec sa mère, Amina. Elle trouva sa mère assise à l'ombre d'un baobab, tressant des paniers colorés avec une habileté étonnante.-Maman, commença Alita hésitante. Que se passe-t-il vraiment lors de l'excision ? Pourquoi tout le monde parle de cela en secret ?Amina arrêta sa tâche et posa doucement sa main sur l'épaule de sa fille en disant :-C'est une tradition ancienne, ma chérie. Beaucoup de filles subissent cela ici. C'est un rite de passage, mais c'est aussi très douloureux.Alita se sentait mal à l'aise, mais elle voulait comprendre :-Pourquoi devons-nous le faire si cela fait mal ? Est-ce que ça change quelque chose ?Sa mère lui sourit tristement :-C'est une coutume ancienne, ma chérie. On pense que cela protège les filles des mauvais esprits et les prépare au mariage. Cette conversation ne fit que susciter davantage de questions chez Alita. Elle se mit à parler à d'autres femmes du village, certaines qui soutenaient l'excision et d'autres qui étaient contre. Au fur et à mesure que le temps passait, l'anniversaire d'Alita approchait à grands pas, et avec lui, l'excision devenait inévitable. Alita se sentait partagée entre son désir de briser cette tradition et la peur de s'opposer à quelque chose d'aussi profondément ancré dans la culture de son village.Puis vint le jour fatidique. Les femmes du village se rassemblèrent autour d'Alita, la préparant pour le rituel. Sa mère était là, les yeux embués de larmes, ressentant sa douleur de mère face à l'inévitable. Les instruments rituels furent sortis, et la tension dans l'air était palpable. Cette minute de cauchemar a détruit la vie de cette jeune fille à tout jamais.Quelques heures après l'acte abominable, le sang continuait de s'écouler sans relâche entre les jambes de cette petite innocente. Une fièvre ardente s'emparait peu à peu de tout son corps, et ses yeux rougis peinaient à s'ouvrir. Seules les tisanes préparées par sa mère lui permettaient de conserver un fragile lien avec la vie ce jour-là. Cependant, ce ne fut que le début d'une longue et douloureuse épreuve pour la jeune Alita. Les douleurs étaient intenses, et chaque fois qu'elle essayait d'uriner, la plaie mal cicatrisée lui causait des difficultés insurmontables. Les journées se transformaient en véritable calvaire pour elle. La souffrance physique était déjà accablante, mais l'aspect psychologique ajoutait un fardeau supplémentaire. La jeune Alita était désormais plongée dans un océan de douleur et de détresse, victime d'une tragédie dont elle aurait à affronter les conséquences pendant longtemps. Sa vie, autrefois paisible, avait basculé dans un cauchemar dont elle ne voyait pas encore la fin.Des années passèrent, transformant Alita en une femme. Elle s'était mariée, mais hélas, son foyer était devenu le théâtre d'un véritable désastre. Son mari ne pouvait supporter le poids des infections chroniques qu'elle portait depuis cette terrible épreuve, et encore plus dévastateur pour lui, elle était stérile. Peu de temps après, sa belle-famille la renvoya impitoyablement.Abandonnée et désespérée, Alita retourna auprès de sa mère dans leur village natal. Les tisanes qui l'avaient aidée autrefois n'avaient désormais plus aucun effet sur son corps meurtri. Sa mère, déjà aux prises avec une précarité alimentaire, s'épuisait à prendre soin d'elle. Mais, malgré tous les efforts, la tragédie finit par la rattraper. Alita mourut jeune, emportée par cette pratique barbare qui avait dévasté sa vie. Son innocence fut volée, et avec elle, toute possibilité d'une vie épanouissante. Sa pauvre mère, plongée dans un profond chagrin, ne survécut pas longtemps après la disparition de sa fille, rejoignant ainsi l'effroyable destin qui avait frappé sa famille.-Cette histoire me hantera toujours, comme une ombre pesante au-dessus de nos vies paisibles. J'ai excisé Alita, je l'ai tuée, nous l'avons tuée ! s'écria Larba d'une voix larmoyante.Tout le village était pris de frayeur et murmurait comme pour chercher le coupable dans la foule, se rejetant la faute les uns sur les autres.-C'est assez ! lança-t-elle ; elle autour de qui se sont agrippées les jeunes filles devant lesquelles elle se tenait et qui voyaient en cette dernière leur seul espoir d'échapper au douloureux destin, combien de jeunes filles devront encore perdre la vie à cause de cette pratique et de ses conséquences avant que nous agissions ? Combien de vies devrons-nous encore sacrifier au nom de cette tradition qui nous prive de nos proches depuis des temps immémoriaux ? Il est temps d'ouvrir les yeux et de prendre position. Il est essentiel que chacun d'entre nous fasse entendre sa voix pour que les générations futures soient libérées de cette coutume ignoble. Chaque coucher de soleil devrait annoncer un avenir meilleur pour les générations à venir, un avenir où les droits des filles seront protégés, respectés et célébrés. Ensemble, nous devons combattre cette pratique barbare et mettre fin à la souffrance qu'elle inflige. Il est temps que cette tradition cruelle soit reléguée au passé, où elle n'appartiendra plus qu'aux pages sombres de l'histoire. En agissant maintenant, nous pouvons préserver l'avenir de nombreuses jeunes filles et leur offrir la possibilité de vivre dans un monde où elles seront respectées en tant qu'êtres humains, libres de toute oppression et de tout préjudice.C'est un choix qui nous revient. Devons-nous continuer à sacrifier nos enfants, en détruisant leur foyer et leur avenir, les condamnant ainsi à des souffrances insupportables au nom d'une tradition ? Ou préférons-nous œuvrer pour préserver leur futur, en leur offrant un monde libre et meilleur ? La décision nous appartient.A nouveau, le silence régna. Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute mais pas une éternité. Poussés par un profond remord et une honte collective, les femmes et les hommes de Dâmsi allèrent, les uns après les autres, chercher leurs filles sur l'autel du rituel puis rentrèrent chez eux.