Au Balajo

Recommandé

Cette œuvre est
à retrouver dans nos collections

Nouvelles - Littérature Générale Collections thématiques
  • Romance - Nouvelles
C'était l'été de 1936. À Paris. Au Balajo. Rue de Lappe. Près de la Bastille. Un bal populaire. Musiciens avec la clope au bec et le demi de bière fraîche à portée. Boule de cristal tournant au plafond qui diffusait dans la salle des reflets mauves et roses. Tango, valse, paso doble.
Elle faillit refuser son invitation. Il n'était pas bien beau. Ni bien mis. Mais propre sur lui. Était-il bon danseur ? Elle était en quête de bons danseurs. Comment savoir ? Elle autorisa une valse. Une musette.
Il était bon danseur. Excellent même. Il la fit tourbillonner savamment, valse à l'endroit, valse à l'envers. Elle se sentait flotter en l'air. Sa robe élégante se soulevait sous les tornades des accords plaqués par l'accordéoniste. Elle ignorait les regards des hommes plantés au zinc, chope en main.
Son cavalier ne la serrait pas davantage que nécessaire. Il ne semblait pas s'enivrer du suave parfum de chez Coty qui mêlait ses fragrances à celles des suées. C'était l'été, il faisait chaud au Balajo.
Finie la valse. Elle le pria de la faire danser encore. Les quatre temps du tango. Les allées et venues du paso. Encore et encore. Les valses, la rumba échevelée. Il ne disait rien, il la conduisait, elle était aux anges. Jusqu'au bout de la soirée.
Elle le pria de la raccompagner. Non pas chez elle mais jusqu'à sa voiture garée boulevard Richard-Lenoir. Le quartier n'était pas sûr. Il caressa de sa main calleuse la carrosserie rutilante de la berline Bugatti. Il n'avait jamais approché une voiture luxueuse.
Il proposa timidement d'offrir un verre à sa cavalière d'un soir. Il avait un peu de temps avant le dernier métro. Elle accepta. Ils s'installèrent en terrasse. La nuit était douce, c'était l'été 36, la classe ouvrière se voyait octroyer des faveurs.
Il commanda un petit café. Elle voulut un Cointreau.
Il enfonça sa main dans sa poche. Il estima fébrilement la somme que représentaient les quelques pièces qui gisaient au fond. Elle l'observait, sourcils arqués. Il se sentait grotesque, assis le cul au bord de la chaise, la jambe tendue afin de lui permettre de fourrager dans le tréfonds de son pantalon.
Il se leva précipitamment :
— Excusez-moi, mademoiselle...
— Je vous en prie, répondit-elle, un accent circonflexe au-dessus des yeux.
Il rattrapa le serveur.
— Euh... Garçon ! Deux petits cafés, plutôt...

© Short Édition - Toute reproduction interdite sans autorisation

Recommandé