Astronaute

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité.
Je ne voyais que le ciel éclatant à travers la surface. Je ne sentais que l'eau autour de mes bras. Il n'y avait que le silence. Je me suis demandé si c'était ce que les astronautes ressentaient, là-haut, tout là-haut dans l'espace. J'ai arrêté d'avoir peur à ce moment-là. 
Et puis l'eau est entrée dans mes poumons aussi brusquement qu'un barrage qui cède, aussi furieusement qu'un incendie qui s'étend, aussi brutalement qu'une bombe qui explose.
Je suis désolé. J'ai vu tes larmes, j'ai entendu tes cris quand vous m'avez repêché. Je ne voulais pas te faire de mal. Je ne voulais pas tomber. 
J'ai vu les sirènes envahirent le jardin, j'ai vu leurs mains se presser contre mon thorax, j'ai vu mes yeux fermés, l'eau qui ressortait par mon nez. Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute, n'est-ce pas ? J'ai eu un peu de mal à compter, c'est vrai. 
Je n'ai pas vraiment peur maintenant, tu sais, j'ai simplement mal. 
Je ne peux pas me réveiller. Ils te l'ont dit, plusieurs fois, depuis plusieurs jours. Mon cœur bat et mes poumons respirent, mais plus tous seuls. Ils me brûlent. Tout me brûle. Ce n'est pas l'eau qui a envahi mon corps, c'est le feu. 
Mes yeux resteront fermés. 
Pourtant dans ma tête, je continue à les ouvrir. Je revois tout, tu sais. Je vois ton sourire quand tu m'embrasses le matin. Je vois les jeux qu'on laisse tout le temps traîner dans le salon, je vois le sapin aussi, qu'on va chercher chaque Noël. Je vois le chat que je caresse trop fort des fois, et puis les pantalons que j'ai encore troués. Je vois les parties de chevaliers dans le couloir, la chasse aux œufs dans le jardin et les playmobils éparpillés dans la chambre. J'entends nos rires aussi, nos disputes et nos larmes même si j'essaie de moins pleurer. J'entends le violon que papa sait si bien jouer, les oiseaux qu'on essaie de reconnaître en forêt. Je sens tes doigts qui caressent ma joue. Ton odeur quand je me blottis contre toi. Je sens l'orage qui fait vibrer les murs, le vent qui fait danser les feuilles, la pluie qui mouille le goudron. 
Je vois les étoiles aussi. La Lune si grande et lumineuse. Je crois que c'est pour ça que j'ai tout ça, n'est-ce pas ? Le tube dans ma bouche, les fils sur mon corps, les aiguilles dans ma peau, les machines qui clignotent autour de moi. Je suis enfin astronaute. Je vais bientôt décoller.
Mais je ne pars pas loin, tu sais. Je vais simplement là-haut. Je te ramasserais quelques étoiles, je les garderais dans mes poches. 
Ne t'en fais pas, je sens vos mains dans les miennes. Le décollage ne durera pas longtemps, tu verras. Je vous ferais signe quand je serais arrivé. Quand vous rentrerez à la maison, regardez vers le ciel : je vous enverrais des étoiles filantes. Je vous verserais la pluie, je vous ferais gronder l'orage, je vous soufflerais le vent. Tu auras juste à fermer les yeux, et tu me verras.
J'ai mis mon casque, ça y est. Ça ne va durer qu'une minute, je te promets. Une vraie minute, puis mon cœur s'arrêtera. 
Ensuite, j'aurais toute l'éternité.
 
9