Appel à l'être

Toute histoire commence un jour, quelque part, et cette fois, nous voilà dans un lieu bien singulier, où le fini tutoie l’infini.
- Qu’aimerais-tu devenir ?
- Je ne sais pas encore petit vieillard ? Que me proposes-tu ?
- Que penses-tu de la prêtrise ?
- Je crois que je n’aurai pas le bon profil. Moi ce qui m’intéresse, c’est être libre ; jouir de la vie ; avoir un bon travail, une belle femme et plein d’enfants. Je ne veux pas me donner des limites. Et puis, à chacun son sacerdoce !
Mahou ne put réprimer son rire. Il ria tellement qu’il en avait les larmes aux yeux.
- Petit vieillard, qu’ai-je dit de drôle ? Qu’est-ce qui te fait tant marrer ?
- Mais toi Ovitché , toi ! parvint à dire Mahou en s’essuyant les yeux.
Ovitché semblait visiblement agacé. Il ne le cacha pas à cet ami peu courtois.
- Quoi ?es-tu fâché ? Allons donc ! soyons sérieux !
- Mais je suis sérieux. Je suis sérieux depuis le début de cette histoire.
- En effet, mon brave garçon. Je te présente mes excuses.
Les traits de Mahou avaient repris leur légendaire sérénité. Ovitché qui l’avait remarqué, tenta de détendre l’atmosphère.
- J’accepte tes excuses vieillard comique. Que disions-nous ?
- Nous parlions de tes futures ambitions.
- Ah voilà. Je disais donc qu’être prêtre ne comptait pas dans mes projets, car je les veux grands et juteux.
Ovitché fit claquer de ses petits doigts, des centaines de billets de banque pour matérialiser ses propos. Il continua.
- Je compte avoir plusieurs...euh non ! une seule femme, mais assez belle pour valoir dix autres.
Mahou ne perdait rien des paroles d’Ovitché. Il le regardait de ses petits yeux cernés de rides.
- Ne vois-tu pas le ridicule de tes beaux projets, demanda-t-il à Ovitché.
- Comment ridicule ? quel mal y a-t-il à ce que je marie et ai plein d’enfants ? Je te vois venir petit vieillard. Tu penses me mettre à ton service c’est ça ? J’ai démantelé ton complot. Petit vieillard, on en a déjà longuement discuté. Ma décision est prise. Tu peux aller me traduire en justice chez qui tu veux !
Mahou souriait toujours, mais cette fois-ci d’un air un peu triste.
- Brave garçon, connais-tu la nouvelle ? Il y a quelqu’un, qui au-dehors, n’aimerait pas que tu sois ce que tu rêves d’être.
- Au dehors ? y aurait-il un dehors dans mon monde ? Et qui est-il vieillard ? questionna Ovitché d’un air grave, le front plissé, les yeux à demi clos.
- Ne sens-tu pas, lui répondit Mahou d’un air de confidence, qu’on t’oppresse depuis un certain temps, qu’on t’empêche de dormir dans ton bain tout chaud ?
Ovitché buvait les paroles de Mahou. Comme un savant qui percevait de quoi retournait un problème dont la solution lui fut longtemps cachée, il acquiesçait au fur et à mesure d’un hochement de tête régulier.
- En effet, tu sembles avoir raison. Dis-moi qui est-il cria Ovitché irrité. Je lui ferai goutter à mon poing.
Balançant une vigoureuse droite, il fit vaciller un adversaire diaphane. Mahou lui caressa longuement le crâne où poussaient déjà quelques rares cheveux tout mouillés. Ovitché se laissa faire.
- Ovitché, ton poing ne peut rien contre cet adversaire.
- Et toi le peux-tu ? Pourras-tu me défendre puisque tu te dis mon ami ?
Mahou poussa un long soupir. Il garda un instant le silence, scruta l’horizon et finit par dire.
- Ovitché, contre la liberté de l’homme, j’ai fait de vieux os. Seul l’amour peut en venir à bout. Tu en ajouteras toi aussi, à mes soucis bientôt.
Ovitché essaya de comprendre.
- La liberté de l’homme ? Est-ce donc cela le nom de mon agresseur ? Il a un nom bien étrange ! Il doit être surement dangereux.
- - Tu as parfaitement compris Ovitché lui expliqua Mahou, la main droite posée contre la joue. Il est très dangereux. Mais c’est divin, ajouta-il d’un air las.
- Bof si ce n’est que ça !
Ovitché ennuyé de la discussion, bailla longuement et avala au passage, l’océan de vie qui l’entourait.
- Réveille-moi dans une heure ordonna-t-il à Mahou. Ah que la vie est belle murmura-t-il en plongeant dans un long sommeil.
Mahou le regarda dormir longtemps. Ovitché semblait fatigué. Laissons-le dormir encore quelques heures, pensa Mahou. Il se résolut pourtant à le réveiller après un temps qu’il jugea suffisamment long. Il appela tout doucement Ovitché. C’était un appel imperceptible. On dirait un souffle. Ovitché ne répondit pas. Alors, Mahou lui tapota légèrement l’épaule. Ovitché, un œil ouvert, le regarda méchamment.
- Petit vieillard, qu’est-ce que tu n’as pas compris quand je t’ai dit de me réveiller dans une heure. Je n’ai pas fermé l’œil pendant un quart de seconde que déjà tu me réveilles ! Une heure équivaut-elle à une tierce chez toi ou quoi ?
- J’ai dû me tromper dans mes calculs Ovitché s’excusa Mahou en faisant le compte des heures à l’aide de ses doigts.
- Bon laisse-moi dormir maintenant petit vieillard. Réveille-moi dans une heure et tache de bien compter cette fois-ci.
Mahou hocha la tête et croisa les bras tel un garde du corps. Quelques secondes après, ses calculs une fois terminés, il réveilla Ovitché. Ce dernier s’étira longuement.
- Quel sommeil ! J’ai cru ne plus pouvoir me réveiller. J’ai dormi presque trois jours on dirait.
- Trois jours ? Je dirai quinze secondes environ.
- Décidément petit vieillard, nous n’avons les mêmes notions du temps.
Ils gardèrent le silence. C’était un silence léger et paisible, que vinrent troubler tout à coup des sons étranges.
- Que perçoit-on de la sorte ? demanda Ovitché à Mahou
- On dirait des pleurs et quelques...
Il n’avait pas terminé sa phrase qu’une secousse fit tomber Ovitché. Il ressentait de vives douleurs. C’était comme si l’on tentait de le déloger de sa demeure. Il prit peur. Cela faisait la troisième fois qu’une telle chose se produisait. Une autre secousse, plus violente, le ballota de tous côtés. Ses pieds s’entremêlèrent dans ce long tuyau tout visqueux qui lui servait de gadget à ses heures perdues. Il eut très mal. Pris plus de douleurs que de colère, il pleurait à chaudes larmes. Mahou, qui n’avait pas non plus été épargné par ces heurts, se rapprocha d’Ovitché. Il lui démêla les pieds et le prit dans ses bras. Les bruits et les violentes collisions cessèrent. Ovitché pleurait toujours. Mahou, pour le consoler, pleura aussi. Alors Ovitché, retrouvant son calme, ferma les yeux. Sa respiration était entrecoupée par de petits gémissements réguliers qui s’estompèrent petit à petit. Un halo de paix tiède, doux et mystérieux l’entourait. Un instant plus tard, les yeux toujours fermés, il demanda à Mahou.
- Quel est ton nom petit vieillard ?
Mahou se contenta de sourire. Alors Ovitché, le pouce gauche dans la bouche, assouvi et repus de cette réponse, murmura au vieillard
- Si tu l’es vraiment, alors ne me lâche plus !
Ovitché se blottit dans les bras de Mahou.