Animale

                         
Noir.  
La dernière chose dont je me souvienne, avant ma transformation.
Le noir... cette couleur, couleur n'étant pas acceptée ; c'est ma couleur, mes yeux, mes pattes, mon museau... Je suis entièrement noire, mais on m'a donné une autre couleur, une toute petite touche de couleur : le blanc, mes crocs. Je suis donc noire et blanche. Deux couleurs qui n'en sont pas.
 
Mon espèce a été chassée durant plusieurs siècles par les hommes car pour eux je n'étais qu'un mauvais présage et un bon repas. En 1908, les hommes ont décrété l'extermination de mon espèce. Je suis une femelle Canis Lupus Negris, autrement dit, une louve noire.
 
Il y a fort longtemps, le pays fut touché par une épidémie qui ravagea plusieurs villages. Les personnes touchées par cette épidémie se transformaient en loups noirs. Ces derniers devenaient agressifs, et dévastaient tout sur leur passage. Les plus grandes villes réussirent à repousser ces loups, mais les villages ne purent résister longtemps. Les loups tuèrent sans pitié, inconscients du carnage. Puis, ne laissant rien derrière eux, ils s'installèrent dans la forêt et disparurent aux yeux des humains.
Une peur ancestrale s'est installée chez les humains. Ils nous craignent et alimentent cette peur en créant des légendes : le loup-garou, la lycanthropie, ou la bête du Gévaudan... 
Mes ancêtres apprirent à vivre sous leur nouvelle apparence. De génération en génération, le gène "loup", ayant pris le dessus sur le gène "homme", nous empêchait de nous transformer facilement en humain, surtout chez les enfants. L'âge habituel de notre première transformation est de dix-sept ans.
 
J'ai quinze ans, pourtant je me suis transformée. Je me suis endormie et à mon réveil, je découvre que je n'ai plus de pattes avant ! De longs doigts fins les remplacent ! Tandis que j'essaie de me relever, j'observe mes pieds avec inquiétude. J'ai froid. Que m'arrive-t-il ?  Lorsque je suis entièrement debout j'essaie de faire un pas. Mais perds mon équilibre et m'écroule à terre. Ma tête heurte une racine et je sombre dans les ténèbres.
Tandis que je tente de reprendre mes esprits, une détonation retentit et l'animal en moi reprend le dessus, je redeviens louve. Les détonations se rapprochent, des chasseurs m'ont repérée !
Je cours, je fuis, j'arrive dans un champ, tout est blanc. Je suis perdue, les chasseurs verront  mes traces dans la neige et me suivront sans relâche. Malgré tout je continue à courir, que faire d'autre ? Avec un peu de chance, ils se fatigueront avant moi. La forêt n'est plus très loin. Une fois sous le couvert des arbres,  je serais moins visible.
Une nouvelle détonation retentit, un oiseau s'envole à tire-d'aile, effrayé. Je dépasse un arbre puis un autre, bifurque soudainement à droite, puis saute au-dessus d'un tronc...
J'ai toujours aimé me dégourdir les pattes, cela éveille mes sens et me rend euphorique. Mais lorsqu'il s'agit de ma survie, je cours sans joie. Peut-être la peur ? Peut-être la mort ? La proximité des hommes ? La surprise de ma récente transformation ?
 
Je ne sais combien d'heures j'ai couru, mais ils continuent de me poursuivre. Ma seule chance est que la nuit tombe. Soudain, je vois une étroite tranchée cachée par un bosquet de ronces, ils sauront que je suis passée par là, mais n'arriveront pas à me suivre. Je me faufile entre les broussailles et les épines qui ralentissent ma course. Je trouve un terrier à deux entrées, me cache et attends. J'entends les hommes se rapprocher. L'un d'eux dit:
 
-        « Cette fine couche de neige est une aubaine.         
-        Quelle opportunité, ce loup paresseux ! renchérit un autre homme.                                                  
-        Peut-être, mais pour le déjeuner un lapin aurait fait l'affaire. dit une voix plus discrète.                                                      
-        Toujours à te plaindre gamin ! Profite ! Nous pourchassons un loup tout de même ! » 
 
Je les sens se rapprocher. Un peu plus et ils découvriront le passage. Soudain, un hurlement retentit dans la forêt. La meute m'appelle ! J'en profite pour bondir de ma cachette et m'enfuir, les chasseurs qui ne pensaient pas être aussi proches de moi, sont surpris. Celui qui avait le fusil tire. La détonation me fait dresser les poils sur la tête. La balle effleure l'un de ses compagnons qui se met à hurler de douleur. Le plus jeune se précipite pour l'aider et l'homme au fusil me poursuit. Les balles fusent au-dessus de ma tête. Finalement, le chasseur s'arrête rapidement, à court de cartouches. Il fait demi-tour, hurlant des injures.
 
Je m'enfuis sans me retourner. De retour auprès de la meute, je m'écroule à bout de souffle.
 A mon réveil, les loup m'observent avec attention. En croisant le regard d'Œil Noir je comprends que j'ai mis la meute en danger. Lorsque je me relève, je découvre que je n'ai plus de poils. Je me suis transformée en humaine une seconde fois ! Un homme s'approche de moi, je ne le reconnais pas tout de suite car les loups transformés ne se montrent pas à la meute, cela effraierait les petits. Il me tend un journal et s'éloigne pour redevenir loup. C'est le second d'Œil Noir : Kurt.  Je lis le journal, le premier titre est une plainte d'un chasseur qui raconte qu'un loup les a attaqués laissant, sur son passage, une trace suspecte. La photo révèle une empreinte mi-homme mi-loup. 
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