-Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité.
D'abord son regard transperçant, ses yeux serpents me déshabillant sans me considérer un instant. Puis son regard lubrique. Sa langue sur ses lèvres puis dans ma bouche. Dans ma bouche. Que faisait sa langue dans ma bouche alors que c'est la mienne ? J'aurai aimé la mordre, la bouffer, lui cracher à la gueule et partir en courant. J'aurai aimé appeler à l'aide, crier au secours, que quelqu'un me sauve. Mais j'étais paralysée. Et enfermée. Dans ma propre chambre. Personne ne serait venu me sauver puisque plus personne ne sauve personne. L'être humain n'est pas salvateur, mais animal, bien qu'il se plaise à penser le contraire.
Mais je me refuse à croire que ce n'est pas un animal qui m'a arraché ma robe, laissant les frottements me lacérer le corps. Une hyène, un requin, un sanglier, un porc, un je ne sais quoi, un homme. Animal.
Une fois mes vêtements déchirés...
-Lui avez-vous demandé d'arrêter ?
-Arrêter ? Quand un tigre bouffe une chèvre, vous croyez que si la chèvre demande poliment au fauve d'arrêter, celui-ci stoppera ?
J'y ai pensé pourtant. Je l'ai voulu. Mais mes muscles ne répondaient plus. J'étais une enveloppe charnelle abandonnée au bon plaisir de son prédateur. L'esprit essayait de partir loin, loin du corps, mais comment s'éloigner de cette violence ? De ses pattes sales sur mon corps, de sa gueule canine aux dents trop blanches, de son haleine fétide aux relents alcoolisés, de son regard animal dans mon regard vide et résigné, de sa sueur tâchant ma peau, comment l'esprit pourrait-il s'évader ?
Après... Après il a baissé le bas de son costume d'être humain pour sortir sa sale verge, et toujours sans considération aucune, il m'a écarté les cuisses et puis...
C'est là que les larmes ont coulé. Cette douleur... Cette douleur je ne l'oublierai jamais.
Puis ça a fini. Il est venu dans un râle. Le chien aboie, le dromadaire blatère, le cerf brame, le cheval hennit, le proc grogne et les hommes violent. L'Humain n'a pas de nom pour son cri, puisqu'il ne crie pas : il parle. Mais quand l'Homme jouit, l'Homme ne parle pas, il râle, il grogne. Animal.
Puis il s'est endormi. Sentiment du devoir accompli. Moi je n'ai pas pu. Je suis restée allongée, dans la même position que celle dans laquelle il m'a violée. Je ne voulais pas toucher à la scène du crime. J'ai regardé mon plafond. Mon plafond si blanc qui dénotait avec la moi si sale. Je me sentais souillée. J'avais son jus en moi, j'aurai aimé l'extraire, me vider de toute substance plutôt que de garder ça en moi. Mais je ne pouvais que fixer mon plafond. Après une autre éternité, peut-être même deux ou trois autres – j'ai beaucoup vieilli ce jour là – J'ai récupéré le contrôle de mon corps. Je me suis levée, douchée, lavée à m'en arracher la peau, puis je suis partie. J'ai fui mon propre appartement. Sans nulle part où aller. N'importe où valait mieux que cet appartement, que cette chambre, que ce prédateur.
-L'avez-vous revu ?
-Jamais.
-A quand remontent les faits ?
-7 novembre 2011.
-C'était il y a douze ans.
-C'était hier.
-Pourquoi ne pas être venue plus tôt.
-Pourquoi ? Parce que ça fait mal monsieur l'agent. Parce que le raconter c'est le revivre, parce que l'attaquer c'est le revoir, parce qu'espérer la justice, c'est risquer le non-lieu, mais parce que j'en ai marre d'avoir peur le soir, de me sentir sale quand mon compagnon me touche, de voir ses regards dans mes cauchemars, marre de voir des animaux en tout homme à cause de ce porc, marre qu'il se balade tranquillement sans se douter avoir brisé une vie, marre de me dire que ça fait douze ans et qu'il à peut-être recommencé. Vous imaginez le nombre de vie qu'il a pu casser ? A cause de moi ? Parce que je n'ai pas eu la force d'en parler avant ?
Une vie peut basculer si vite.
Une minute. Une seule minute. Une vraie minute. Pour une éternité de souffrance.