Amour de malades

Toute histoire commence un jour, quelque part. Une histoire d'amour peut naître dans un hôpital psychiatrique, par exemple.

Ma main droite est encore engourdie par l'étreinte exercée par la tienne il y a quelques instants. Paume contre paume, doigts entre doigts, un geste affectueux, ferme et tendre, discret, le seul que l'on puisse se permettre ici, avec quelques baisers cachés. Je sens ma main tiédir peu à peu mais toujours sur elle cette odeur de tabac refroidi, de la dernière cigarette que tu as fumée. Non, ça ne me dérange pas. C'est l'odeur d'une de tes habitudes, c'est l'une de tes odeurs, et je me suis promis de tout prendre de toi, toi qui me donnes tant. Un amour soudain, pur et réciproque, l'amour tout court, auquel j'avais cessé de croire.

A force de prendre des baffes dans le coeur, j'avais fini par l'anesthésier avec un gramme de raison avant ou pendant chaque rencontre à visée récréative. Ainsi, seuls les organes de la parole et génitaux, et tous les circuits nerveux, cerveau compris donc, qui traduisent les stimuli en plaisirs restaient fonctionnels.

Mais j'arrivai en ce lieu fermé complètement désarmée de façon paradoxale: le coeur à vif mais la dépression servant de bouclier à tout désir. Mais, dans ce lieu, tu y étais. Et tu es venu vers moi. Et tu m'as tendu la main. D'abord pour me saluer, puis pour ne plus la lâcher. Pour ne plus qu'on se lâche. La dépression, finalement, c'est du carton.

Dans la chambre, moi dans le lit, toi sur la chaise, ça aurait pu être l'inverse. On est tous les deux patients. Et on continuera de l'être, mais pas dans les mêmes circonstances. On le sera parce qu'il faudra qu'on le soit si on veut avancer tous les deux, pour plus tard et contre nos tares. Dans la chambre, main dans la main, tu me dis que tu ne veux pas me faire mal en la serrant trop fort et je te défie. Tu serres, tu serres et je souris. Pour de vrai. Tu libères ma main et je la regarde: sur son dos, au niveau des espaces interdigitaux, quelques marques rouges sont apparues. Mais il ne faut pas se faire voir par les gens en blanc. Tu me regardes tendrement, je te regarde en souriant, puis tu quittes ma chambre. Bonne nuit mon amour.