Ambivalence d'une vie

«Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux.»
Perdu dans ces pensées, elle fixe la vitre derrière laquelle se dessinent des collines de cumulus et des paysages verdoyants. L’horizon très clair, arrosé d’une légère pluie de juin. C’est une jeune fille d’une vingtaine au visage maculé d’innocence, assise dans un bus.
Emotionnellement étourdie, elle promène son regard autour d’elle comme si pour se renseigner, si quelqu’un l’espionne. Elle croise du regard ce petit enfant dans les bras de sa mère; une jeune dame d’une trentaine assise sur le siège droit de la jeune fille, toutes deux séparées par un passage. Elle s’adosse dans son siège, l’échine étroite. Et avant de détourner le regard, elle gesticule un sourire léger à cet être frivole qui ne la quitte d’yeux. Tout d’un coup, sa tête semble s’alourdir comme si elle porte tous les fardeaux du monde. A l’allure d’un disque raillé, l’histoire se répète dans sa tête et elle se pose certainement cette question «Comment suis-je arrivée là?»
Elle s’appelle Samira. Une «miskine d’Allah» de nature hardie. Samira dont la classe sociale même est crainte, est une benjamine d’une famille musulmane. Elle grandi dans un pays laïc, mais baignée dans une culture arabo-musulmane. Elle venait d’obtenir son bac scientifique à l’âge de 18ans, quand ses parents l’annonça qu’elle doit se marier, si elle tient à continuer ses études à l’extérieurs.
Que des paroles perfides! Jamais elle ne pourra continuer ses études si elle venait à se marier. Qui ne connait pas la mentalité de ces soit disant sexes forts? Ces majestés, les rois lions, arrachent le respect et la soumission même s’ils ne le méritent pas.
Depuis des lustres, ç’a toujours été pareil. Des cousins épousent des cousines. Des jeunes filles promues aux vieux hommes. Et un vrai musulman doit au moins avoir deux épouses...
Cette forme de mariage, ce tabou très odieux arrache des jeunes filles sous la tente familiale pour aller les obscurcir sous une matraque conjugale. Fermons les yeux un instant, relativisons et imaginons le quotidien macabre que subissent les femmes dans leurs foyers. Le mal impuni qui taraude nos provinces, nos banlieues, nos favelas... Des violences qui se passent en coule douce dans nos ménages sans être dénoncés.
Au risque de sacrifier sa jeunesse dans un amour fade de racine, elle choisit de briser son rêve; celui de se faire former dans des hautes écoles de technologie. Mais «rien n’est perdu» disait-elle. Contrairement à tous ces gosses engloutis par le bagne de besognes champêtres, pastorales et minières, qui ne connaissent le chemin menant à une salle de classe, Samira au moins fréquentait et avait encore la chance de continuer sur place.
Telle une œuvre d’art, elle laisse son image gravée dans les yeux admirateurs! Des regards s’écroulent sur son passage! Parait-il, la science n’est pas faite pour les belles femmes! Quant à Samira, malgré son aguerrissement en la matière, rien n’est touché à sa beauté. Et ni sa beauté, ni sa féminité s’avère être un obstacle à elle.
Parfois, il suffit d’un simple sourire pour travestir le cours de la vie!
Samira ne s’attendait pas à ce sourire, pour dire à ce nouveau visage. Comme ce jour de la rentrée académique où elle passe pour le niveau III. Elle qui apeurée par des regards convoitant, dénigrants, coïncidence ou miracle, croisa son regard effaré à celui de ce visage souriant. C’était le visage de Madji; un jeune homme originaire du sud. Un gentleman au sourire archange, peu bavard et sympa. L’unique chrétien dans une station de bus (universitaire de son pays) assiégée d’une vingtaine d’étudiants, tous musulmans. Madji également, n’en échappa pas à ces froids regards masturbés d’indifférence et de discrimination. Deux êtres venus de différents horizons, se retrouvent dans un même bateau. Telle une aubaine, seul le sourire les libérait de ce goguenard. Ce sourire pressé d’amour qui désormais illumina sa vie. Elle s’en sert constamment comme arme secrète contre ses frayeurs comme l’a laissé entendre une fois Madji. Madji avec qui ils ont réussi à s’échanger des mots, puis des contacts. A la fac, ils dinaient souvent ensemble. «C’est juste un ami», répétait-elle à ses camarades. Samira ne s’attendait à rien de compromettant, ni de fascinant. Elle ignora la puissance de l’amour. Cette puissance influenceuse qui amène où l’on ne songeait pas y aller. Comme un grain tombé dans un compost, Cette touffe de sourires semés dans le cœur de Samira écloraient de vifs sentiments. Des rencontres s’intercèdent, des nuits blanches à penser à l’autre, des effets papillons...L’amour se fait une place tranquille au pas de caméléon.
Ainsi, une amitié tant chantée se transforma en amour. Un amour d’une grande dynastie où elle paye le pire tribut aujourd’hui.
Une avalanche de larmes inonde son visage, et se noient dans le rift de ses douces lèvres. Elle couvre son visage de son mouchoir afin de voiler sa tristesse. Peinée, abattue, dégoutée de la vie et ses farces, la triste Samira ne peut que pleurer.
«Suis-je une victime ou un coupable? Oh Dieu! Comment suis-je arrivée là ?» De ces interrogations, elle frémit.
Ça fait 7mois qu’ils sont ensemble. Les parents de Madji étaient au courant. Eux particulièrement, cette relation ne les dérangeaient point. Mais ils craignent pour leur fils au risque de se faire mal par les proches de sa nouvelle copine. Cet amour silencieux prend du volume. Tel un volcan, ce silence si profond bouillait de toute pression jusqu’exploser au grand jour. Ce jour où Samira fait venir Madji chez elle.
Ce fut une grande furie! Madji flanqué à la porte et Samira défendue de sortir. Les parents de Samira se voyaient obligés de faire marier leur fille à coup de force. En attendant arrivé ce jour, la pauvre Samira était assiégée à domicile.
Loin des yeux, près du cœur ! Rude fut la bataille. Ces jeunes amoureux ne pouvaient plus renoncer à cette aventure. Qui sont-ils pour pouvoir mettre fin à un tel désir ? Ni eux, Samira et Madji, ni leurs parents ne pourrons mettre fin à un désir qu’aucun être humain n’a jusque-là réussit à échapper à ses sortilèges.
Ce fut le pire drame le jour où ils se font surprendre. Samira, trainée, défigurée et enfermée ! Madji molesté, disparut dans la nature. Sans trace, même pas de signe! Pendant 3jours, Samira enfermée, gémissait, suppliait pour recueillir les nouvelles de son ange gardien «dites-moi juste qu’il va bien, je m’endormirai tranquille». Mais aucune réponse comme si toutes les oreilles étaient sourdes dans cette maison. Une tranquillité éternelle, tel était son vœu ! Mais par de ça, elle doit s’assurer de la vie de son cher Madji. Ça faisait également 3jours où les parents du jeune Madji étaient à sa recherche. Vers 3h du soir, la mère de Samira entra secrètement toute paniquée.
«Maman !»
- chute ! Fut la mère. Ensuite, elle murmura quelques mots aux oreilles de sa fille.
- prend cette pécuniaire et file loin d’ici. Traverse la frontière, va là où personne ne te retrouvera. S’il te plait, fais le par amour pour ta maudite pauvre mère. Tels sont les derniers propos de la mère avant qu’elles se disent au revoir. Une mère reste une mère quel que soit ce qu’elle est, quel que soit ses erreurs. Elle donnera tout pour la survie de ses enfants.
C’est depuis 18h de la veille qu’elle est en fugue.
«A l’instant, j’ai entendu qu’‘‘ ils ont retrouvé le corps de ton ami sans souffle...’’ mon cœur a arrêté de battre. Je pouvais plus bouger, ni penser. Je reprends lentement conscience et la seule chose que j’ai à l’esprit, c’est ces moments qu’on avait passé ensemble. Dans la chute des circonstances, n’as-tu pas pleuré à haute voix? Cette voix qui traverse les airs, n’est-il pas parvenue aux oreilles jamais sourdes ?»
Soudain, elle sursaute, ouvre les vitres du bus, et plonge sa tête dehors comme pour prendre de l’air... elle vomit. Est-ce les secousses ? La dernière fois de leur rencontre, elle apprit à Madji qu’il faisait une semaine qu’elle n’as pas vu ses règles...