Édith se concentre sur sa respiration. Tout va bien. Inspire. Elle sera titulaire au prochain match. Expire. Elle ne doit pas s’inquiéter. Inspire. Elle fait partie de l’équipe. Expire...
Elle ne peut plus retenir ses larmes. Dans la nuit, sur le chemin désert qui la ramène chez elle, elle s’abandonne à son chagrin, à sa déception. Elle était certaine que, cette fois, le coach la choisirait. N’avait-elle pas brillé lors des derniers entrainements ? Pourquoi le coach avait-il préféré Sarah ? N’avait-elle pas été meilleure ? La prochaine fois, ce sera son tour... Oui... et elle était sur sa liste... Elle participerait au voyage samedi... Les remplaçantes aussi faisaient partie de l’équipe. Elle accompagnera les titulaires, aidera à installer le matériel, encouragera, observera... Il y a beaucoup à apprendre sur le banc.
Elle essuie ses larmes. Personne ne doit savoir combien elle est déçue par la composition de l’équipe. Ni à la maison, ni dans les vestiaires. Sa mère dirait que si le sport la mettait dans cet état, elle devrait retourner à l’université. Ses coéquipières lui demanderaient pour qui elle se prenait. Le coach et ses trois médailles olympiques surtout lui en voudrait de remettre en cause ses décisions.
Inspire. Tout va bien. Expire. Elle est dans l’équipe. Inspire. Expire.
*
L’équipe a perdu. Édith n’a pas mis le pied sur le terrain mais elle aussi a perdu. Sarah a rejoint le vestiaire en larmes. Fanny s’est demandé pourquoi le coach n’avait pas fait entrer Édith pour les aider. Soraya la capitaine s’est seulement plaint du « bordel en défense ».
Édith apprécie le soutien de ses coéquipières mais n’entre pas dans ce débat. Sarah a commis des erreurs mais elle n’est pas responsable de la défaite. Elle a même fait de très bonnes choses et Édith l’a félicitée. Les ambitions personnelles ne doivent pas se mettre en travers des objectifs de l’équipe.
Le samedi suivant, Sarah est plus en confiance et la victoire est au rendez-vous. De match en match, Édith observe l’équipe alterner les succès et les déroutes. Elle pleure un peu entre le centre d’entraînement et la maison mais ne se plaint pas. Elle continue à s’entraîner, à encourager les titulaires et à tout donner durant les quelques minutes où le coach la fait rentrer.
La nuit, après les matchs, elle note tout ce qu’elle a observé chez ses coéquipières et chez ses adversaires : les défauts, les qualités, les stratégies. Quand elle est sur le terrain, même si ce n’est que durant cinq minutes, elle fait mouche parce qu’elle est en pleine forme et qu’elle anticipe. Quand Maï est à gauche, elle est imbattable mais quand elle est encerclée, elle devient nerveuse et il faut monter l’aider. Quand elles sont menées à la mi-temps, Fanny est si énervée qu’elle oublie de s’hydrater, il faut lui mettre les bouteilles dans la main.
Elle ne demande pas au coach pourquoi il ne la titularise pas. Elle sait qu’il dira qu’elle est encore jeune, qu’il ne la sent pas prête. Elle se sent capable de jouer tout un match pourtant. Et si on ne lui donne jamais sa chance, comment pourra-t-elle le prouver ? Et à quoi bon tout ce temps consacré à sa préparation si on ne la laisse pas mettre en pratique ? Et si elle échouait ? Non, elle ne doit pas laisser entrer des pensées négatives. Elle doit se recentrer, penser au prochain match, s’entraîner...
Inspire... Expire...
*
Fanny lui a glissé une mauvaise idée :
- S’il arrivait quelque chose à Sarah, il te titulariserait.
Edith n’arrive à se défaire de cette pensée.
Une entorse... Une blessure aux abducteurs... une gastro-entérite... Il ne faut pas quelque chose de grave... Juste l’éloigner du terrain quelques jours...
Non. Cela porte malheur de souhaiter du mal aux autres. Sa grand-mère disait que cela finissait toujours par se payer. Si Sarah attrape une gastro, elle la refilera à toute l’équipe... Sauf si c’est une bactérie... Sarah a une gourde rose fluo que sa petite sœur lui a offerte, impossible de la confondre avec celle d’une autre. Elle la laisse trainer partout... Personne ne la verra... Non ! Elle ne va pas empoisonner sa rivale !
Et ce n’est pas sa rivale mais sa coéquipière.
Le coach la préfère parce qu’elle est plus grande, plus âgée et plus imposante. Elle parait naturellement taillée pour le rôle. Pourtant elle commet des erreurs, manque de concentration parfois, s’essouffle trop vite. Édith sait qu’elle ne se donne pas à fond. Elle arrive presque en retard aux entraînements, baille lors des séances matinales et prend des pauses pour échanger des messages avec ses amis.
Son fiancé vient la chercher après les entraînements et ce soir Édith, envahie par la mauvaise idée de Fanny, les suit. Ils s’arrêtent devant un bar, ils entrent. Clic. Édith a pris des photos. Si le coach les voit, il mettra Sarah sur le banc. Il est très sérieux avec les « mises au vert » avant les rencontres. A travers la fenêtre du bar, Édith surprend Sarah riante une bière à la main. Clic. Si une photo parait sur les réseaux sociaux, l’affaire montera jusqu’à la présidence du club et Édith aura la place qu’elle mérite dans l’équipe.
*
Édith est allongée sur son lit son téléphone dans la main, sa titularisation à un clic. Elle passe et repasse les photos compromettantes sur son portable. Soudain le message sur le t-shirt de Sarah lui saute aux yeux : « Meunier, tu dors ! ». Ahlem Meunier était son entraîneure chez les poussins... L’équipe était une bande d’enfants maladroits, étourdis et égoïstes... Ahlem essayait de leur apprendre les règles du jeu, les aider à se concentrer et leur transmettre le sens du collectif.
- Entre équipiers, on ne se fait pas de croche-pattes.
Édith n’est plus une poussine mais une professionnelle. Pourtant depuis quelques jours, elle est obsédée par les moyens de faire tomber sa coéquipière. Pourquoi en est-elle réduit à ce scénario de téléfilm ? Elle est meilleure que Sarah, plus forte, plus sérieuse. Pourquoi devrait-elle se salir les doigts pour obtenir son poste ?
Si elle poste les photos, ce n’est pas seulement Sarah qui tombera, mais toute l’équipe. La presse, les supporters, la direction du club se jetteront sur elles, mettront à jour leur moindre faiblesse. On se méfiera les unes des autres, on mettra les téléphones sous clé, on renforcera les contrôles. On débattra, on s’entraînera moins. Les adversaires auront l’avantage face à un groupe désuni et distrait. Les taulières discuteront les termes de leurs contrats. Ce ne sera plus la même équipe, plus l’équipe dans laquelle Édith veut jouer.
Clic. Les photos sont effacées. Demain encore, Édith sera la remplaçante parfaite. Lundi, elle parlera au coach. Ses bilans sont excellents, ses tests d’effort et de terrain sont meilleurs que ceux de Sarah. Elle a des chronos et des statistiques exceptionnels en entraînement. Ses coéquipières lui font confiance mais doutent de Sarah. Édith doit être titularisée car l’équipe sera meilleure avec elle.
Édith va gagner sa place. A la loyale.
Elle ne peut plus retenir ses larmes. Dans la nuit, sur le chemin désert qui la ramène chez elle, elle s’abandonne à son chagrin, à sa déception. Elle était certaine que, cette fois, le coach la choisirait. N’avait-elle pas brillé lors des derniers entrainements ? Pourquoi le coach avait-il préféré Sarah ? N’avait-elle pas été meilleure ? La prochaine fois, ce sera son tour... Oui... et elle était sur sa liste... Elle participerait au voyage samedi... Les remplaçantes aussi faisaient partie de l’équipe. Elle accompagnera les titulaires, aidera à installer le matériel, encouragera, observera... Il y a beaucoup à apprendre sur le banc.
Elle essuie ses larmes. Personne ne doit savoir combien elle est déçue par la composition de l’équipe. Ni à la maison, ni dans les vestiaires. Sa mère dirait que si le sport la mettait dans cet état, elle devrait retourner à l’université. Ses coéquipières lui demanderaient pour qui elle se prenait. Le coach et ses trois médailles olympiques surtout lui en voudrait de remettre en cause ses décisions.
Inspire. Tout va bien. Expire. Elle est dans l’équipe. Inspire. Expire.
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L’équipe a perdu. Édith n’a pas mis le pied sur le terrain mais elle aussi a perdu. Sarah a rejoint le vestiaire en larmes. Fanny s’est demandé pourquoi le coach n’avait pas fait entrer Édith pour les aider. Soraya la capitaine s’est seulement plaint du « bordel en défense ».
Édith apprécie le soutien de ses coéquipières mais n’entre pas dans ce débat. Sarah a commis des erreurs mais elle n’est pas responsable de la défaite. Elle a même fait de très bonnes choses et Édith l’a félicitée. Les ambitions personnelles ne doivent pas se mettre en travers des objectifs de l’équipe.
Le samedi suivant, Sarah est plus en confiance et la victoire est au rendez-vous. De match en match, Édith observe l’équipe alterner les succès et les déroutes. Elle pleure un peu entre le centre d’entraînement et la maison mais ne se plaint pas. Elle continue à s’entraîner, à encourager les titulaires et à tout donner durant les quelques minutes où le coach la fait rentrer.
La nuit, après les matchs, elle note tout ce qu’elle a observé chez ses coéquipières et chez ses adversaires : les défauts, les qualités, les stratégies. Quand elle est sur le terrain, même si ce n’est que durant cinq minutes, elle fait mouche parce qu’elle est en pleine forme et qu’elle anticipe. Quand Maï est à gauche, elle est imbattable mais quand elle est encerclée, elle devient nerveuse et il faut monter l’aider. Quand elles sont menées à la mi-temps, Fanny est si énervée qu’elle oublie de s’hydrater, il faut lui mettre les bouteilles dans la main.
Elle ne demande pas au coach pourquoi il ne la titularise pas. Elle sait qu’il dira qu’elle est encore jeune, qu’il ne la sent pas prête. Elle se sent capable de jouer tout un match pourtant. Et si on ne lui donne jamais sa chance, comment pourra-t-elle le prouver ? Et à quoi bon tout ce temps consacré à sa préparation si on ne la laisse pas mettre en pratique ? Et si elle échouait ? Non, elle ne doit pas laisser entrer des pensées négatives. Elle doit se recentrer, penser au prochain match, s’entraîner...
Inspire... Expire...
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Fanny lui a glissé une mauvaise idée :
- S’il arrivait quelque chose à Sarah, il te titulariserait.
Edith n’arrive à se défaire de cette pensée.
Une entorse... Une blessure aux abducteurs... une gastro-entérite... Il ne faut pas quelque chose de grave... Juste l’éloigner du terrain quelques jours...
Non. Cela porte malheur de souhaiter du mal aux autres. Sa grand-mère disait que cela finissait toujours par se payer. Si Sarah attrape une gastro, elle la refilera à toute l’équipe... Sauf si c’est une bactérie... Sarah a une gourde rose fluo que sa petite sœur lui a offerte, impossible de la confondre avec celle d’une autre. Elle la laisse trainer partout... Personne ne la verra... Non ! Elle ne va pas empoisonner sa rivale !
Et ce n’est pas sa rivale mais sa coéquipière.
Le coach la préfère parce qu’elle est plus grande, plus âgée et plus imposante. Elle parait naturellement taillée pour le rôle. Pourtant elle commet des erreurs, manque de concentration parfois, s’essouffle trop vite. Édith sait qu’elle ne se donne pas à fond. Elle arrive presque en retard aux entraînements, baille lors des séances matinales et prend des pauses pour échanger des messages avec ses amis.
Son fiancé vient la chercher après les entraînements et ce soir Édith, envahie par la mauvaise idée de Fanny, les suit. Ils s’arrêtent devant un bar, ils entrent. Clic. Édith a pris des photos. Si le coach les voit, il mettra Sarah sur le banc. Il est très sérieux avec les « mises au vert » avant les rencontres. A travers la fenêtre du bar, Édith surprend Sarah riante une bière à la main. Clic. Si une photo parait sur les réseaux sociaux, l’affaire montera jusqu’à la présidence du club et Édith aura la place qu’elle mérite dans l’équipe.
*
Édith est allongée sur son lit son téléphone dans la main, sa titularisation à un clic. Elle passe et repasse les photos compromettantes sur son portable. Soudain le message sur le t-shirt de Sarah lui saute aux yeux : « Meunier, tu dors ! ». Ahlem Meunier était son entraîneure chez les poussins... L’équipe était une bande d’enfants maladroits, étourdis et égoïstes... Ahlem essayait de leur apprendre les règles du jeu, les aider à se concentrer et leur transmettre le sens du collectif.
- Entre équipiers, on ne se fait pas de croche-pattes.
Édith n’est plus une poussine mais une professionnelle. Pourtant depuis quelques jours, elle est obsédée par les moyens de faire tomber sa coéquipière. Pourquoi en est-elle réduit à ce scénario de téléfilm ? Elle est meilleure que Sarah, plus forte, plus sérieuse. Pourquoi devrait-elle se salir les doigts pour obtenir son poste ?
Si elle poste les photos, ce n’est pas seulement Sarah qui tombera, mais toute l’équipe. La presse, les supporters, la direction du club se jetteront sur elles, mettront à jour leur moindre faiblesse. On se méfiera les unes des autres, on mettra les téléphones sous clé, on renforcera les contrôles. On débattra, on s’entraînera moins. Les adversaires auront l’avantage face à un groupe désuni et distrait. Les taulières discuteront les termes de leurs contrats. Ce ne sera plus la même équipe, plus l’équipe dans laquelle Édith veut jouer.
Clic. Les photos sont effacées. Demain encore, Édith sera la remplaçante parfaite. Lundi, elle parlera au coach. Ses bilans sont excellents, ses tests d’effort et de terrain sont meilleurs que ceux de Sarah. Elle a des chronos et des statistiques exceptionnels en entraînement. Ses coéquipières lui font confiance mais doutent de Sarah. Édith doit être titularisée car l’équipe sera meilleure avec elle.
Édith va gagner sa place. A la loyale.