Toute histoire commence un jour, quelque part, mon histoire elle, a commencé quand j’ai pris la décision d’intégrer l’armée de terre en tant qu’infirmière volontaire. A l’époque je venais d’achever le dernier chapitre d’une histoire qui a failli m’induire à commettre l’erreur de ma vie en épousant un homme qui m’avait volé déjà deux ans d’existence avant de me laisser pour une autre, je lui avais fait confiance et suis allée jusqu'à accepter de me marier avec lui quand j’avais seulement vingt ans et toute une vie d’aventures devant moi, après cette déception, entendre parler de l’amour une deuxième fois était synonyme d’insulte à mon égard, puis vivre ce déboire et faire face à l’entourage qui se sent obligé d’être présent pour moi d’un côté, et être le sujet des rumeurs et des dires des autres d’un autre côté, me poussait constamment à fuir, pas par peur mais par ennui quand on vit ce genre de chose on se retrouve presque astreint à oublier et c’est en quêtant la fuite que j’ai trouvé une annonce de recrutement, l’idée de m’engager n’étant pas nouvelle, en sois j’avais toujours voulu rejoindre le corps de l’armée parce que je savais que le front allait me procurer l’éloignement dont je rêvais d’acquérir depuis la nuit des temps, c’est juste que je n’ai jamais trouvé le courage de le faire. Et après mure réflexion, chose qui ne prit que quelques minutes, je me retrouvais alors dans un bureau en train de signer mon engagement avec l’armée de terre, j’eus alors l’obligation d’abandonner mes études d’université et un soit disant « futur en rose » avec, et de convaincre mes parents dévastés par la décision de leur fille qui à l’époque n’était âgée que de vingt ans, à leurs yeux j’étais folle, inconsciente, j’étais la fille qui, aveuglée par sa tristesse, préférait plutôt fuir que d’affronter ses problèmes en choisissant une route qui mène indirectement à la mort et comme je m’y attendais la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans l’air et je me suis retrouvée encore une fois sur la bouche de chacun , mon père essaya en vain de me convaincre de rester, ma mère pleura des heures, cria et supplia que je reste, mon ex devint le tombeur des femmes en se ventant que j’avais fait cela par amour et chagrin mais tous étaient d’une stupidité étouffante, ils ne connaissaient pas le mal dont je souffrais, ils ne pouvaient imaginer avec leurs petites méninges qu’une cause plus importante, plus oppressante qu’un simple chagrin d’amour, qui d’ailleurs n’en était guère un, me motivait, ils ne pouvaient se douter que j’avais soif de liberté même si m’engager à l’armée et entrer un champ de bataille allait me coûter ma vie, j’aurais tout donné pour vivre ne serait-ce qu’une seconde de liberté et c’est avec ces convictions comme bagages, que je suis partie.
Après la fin de ma formation en tant que soldat de terre et une formation continue d’infirmière, je suis devenue officiellement une infirmière de l’armée de terre, je passais mes journées à m’occuper de patients mal au point, parce que la vie là bas différait complètement: je dormais et me relevais le lendemain pour sauver des vies, rien ne m’occupais à part cela, de toute façon rien ne peut vous occuper à part cela, là bas la vie est difficile, l’odeur de la mort et de la chaire brûlée empeste l’air, le bruit des coups de feus et des canons rugissait tel un lion affamé, la terre se déchaînait contre nous et donnait naissance à des tempêtes qui nous coupaient du monde, et qui figeaient le temps, nous ne pouvions rien voir de nuit comme de jour, la guerre, la vie, la mort tout avaient là bas un goût différent. Soudainement la vie reprenait sa valeur et son importance et la mort perdit toute estime, elle et la guerre toutes deux devenaient l’ennemi commun de tout le monde qui d’ailleurs se réunissait pour les combattre. Là bas chaque jour qui se lève en étant nous-mêmes en bonne santé et toujours vivants était l’espoir de chacun. Toucher la vie et sentir la grâce de dieu qui nous offrait chaque jour une nouvelle chance, étaient comme un miracle inattendu.
De ma formation militaire je suis devenue la femme que j’ai toujours voulu être; en effet, cette formation vous renforce autant mentalement que physiquement car même en étant femme on est poussée à l’extrême, on est formée au combat, au maniement d’armes et on est poussée au delà de nos limites et on n’arrive à comprendre l’utilité de cette violence que lorsqu'on est envoyé à des missions où se joue notre destin, quand on est contraint à choisir: ou de se lever et d’essayer de survivre malgré la fatigue, la peur, la mort qui nous guette, les balles qui éclatent, les cris et les détresses qu’on entend, ou de crever là où on est, et cette décision ne nous appartient pas pour assez dire car qu’on soit dans la caserne, sur le champ de bataille ou sur un lit d’hôpital, on est constamment attaché à nos compatriotes, et dés lors on apprend « la fraternité », « la solidarité » et « l’union » des principes, jusque là inconnus par ma personne, mais qui étaient certainement vrais et sacrés; sacrés par le respect que nous partagions, sacrés par notre serment envers la même nation, et puis sacrés surtout par le sacrifice de nos âmes que nous étions prêts à faire les uns pour les autres sans hésitation ni regret, c’est le vrai lien du sang.
L’armée est un paradoxe extraordinaire, elle vous apprend à vous attacher à vos compatriotes pour vous unir contre l’ennemi, elle vous apprend à aimer les pauvres, les blessés, les enfants, les femmes pour que vous les protégez et dans un autre registre elle vous apprend finalement à ne pas trop vous attacher ni à vos camarades d’armes qui sont fréquemment, subitement arrachés à la vie, ni à cette nation et à son peuple parce que justement vous devez être préparé à vous sacrifier à n’importe quel moment et n’importe où, elle vous apprend la fierté d’appartenir à une patrie et vous gonfle d’orgueil pour ne pas céder à l’ennemi peu importe ce qu’il pourrait vous infliger mais elle vous prépare aussi à mourir un jour dans l’inconnu sans attendre une décente sépulture ni même pas un merci, elle vous donne un fusil et vous dit braquez le contre cette individu et puis appuyiez sur la détente pour protéger votre pays, moi je l’ai vu et je l’ai vécu et j’en ai pleuré malgré le fait que j’aie su que l’homme que j’ai tué était un tueur avide, que si je n’avais pas tiré, lui il l’aurait fait, que je l’avais fait pour protéger mon pays mais quelque part je me suis aussi demandée qu’est-ce qu’a fait mon pays lui pour protéger mon humanité ? Et en se posant ce genre de questions on apprend une nouvelle leçon ; il ne faut pas trop penser! Il faut plutôt agir! Et agir logiquement si on veut survivre à la guerre et à l’armée, parce que les émotions ternissent nos jugements et ne font que nous influencer alors que la décision à apprendre peu importe combien difficile est-elle, il fraudera bien se résigner à l’assumer.
Durant mon service j’eus à effectuer plusieurs missions où il fallait intervenir d’urgence et j’ai été témoin plus d’une fois de l’effet dévastateur que peut avoir la peur sur l’être humain ; j’ai vu des infirmiers, médecins et soldats vomir de peur dans les vapes qui nous conduisaient au front, j’ai vu d’autres paralysés même dans un coin ne savant plus quoi faire ni où aller, moi-même j’avais peur, qui n’aurait pas eu peur ? Nous étions comme du bétail conduit à l’abattoir sauf que contrairement aux animaux, nous, nous étions amplement conscients de ce qui risquait de nous arriver une fois là bas. Et puis un jour arrive où vous vous dites que rien de plus pire que ça ne pourra encore vous arriver et bien, détrompez vous car en une seconde vous vous retrouvez justement face à ce pire, détenu comme otage par des radicaux assoiffés de sang qui brandissent leurs armes contre tout ce qui ne fait pas partie de leur soit disant idéologie, religion ou conviction, condamnés à vivre un enfer sur terre chaque jour pendant une période de temps que vous ne réussissez plus à compter à force d’être torturé nuit et jour, quand vous croyez qu’enfin votre salut est arrivé et puis d’un seul coup tout s’écroule et vous retournez à cet endroit immonde qu’est votre cellule en vous repassant en boucle tout votre espoir qui vient d’être dévasté et puis quand ; enfin, un camarade meurt à côté de vous mais que vous ne pouvez rien pour lui parce que vous ne pouvez plus rien pour vous-même, là vous décidez inconsciemment de lâcher prise et rien au monde ne pourra trouver l’audace de vous le reprochez. Moi, ayant fait cette amère expérience je sais de quoi je parle, je sais à quel point le désespoir peut vous conduire à l’insanité lorsque vous sentez que la mort est juste à quelques pas de vous dévorer et dés lors vous commencez à tomber dans l’abîme et vous regrettez, c’est le premier sentiment qui vous vient à l’esprit, le regret, si d’autres regrettent de ne pas avoir avoué leurs sentiments ou de s’être trop éloignés de leurs êtres chers, moi en revanche je regrettais plutôt de ne pas être allée plus souvent à la rencontre de cette nature avec qui je partage un étreint solennel, de ne pas avoir acheté la machine à écrire que j’ai toujours désiré acquérir ou encore ce vieux téléphone à cardon présenté à la vitrine d’un magasin devant lequel j’ai du passer un milliard de fois je pense, jusqu'au bout de mes derniers instants j’ai veillé à rester fidèle à cette indifférence sublime qui m’a accompagné des années durant. J’ai aussi, à un coin de mes pensées, réfléchis, je l’avoue, à mes parents, ma mère serait sans doute ébranlée par le destin tragique de sa fille chérie et mon père trimbalerait encore longtemps son corps en s’en voulant de ne pas avoir su protéger son enfant tandis que, dans les rues étroites de mon village on raconterait le sort funeste de celle qui est partie un jour à cause d’un homme et qui est revenue dans un sarcophage. Et malgré le drame que peut susciter la morts chez les vivants, malgré la difficulté qu’elle représente aux yeux des proches, restera, toujours, la mort une réalité surmontable et un processus normal que nous devons à la fois accepter et respecter peu importe son ardeur, et peut être aurait-il fallu aussi se faire à l’idée que la vie de quelqu'un ne dépendra jamais de la mort d’autrui.
Mais saviez-vous que même au milieu de tous ces regrets, il résidait de l’espoir? L’espoir d’être sauvé et de pouvoir justement assouvir ces désirs pour laisser place à de nouveaux regrets. Alors, quand je sortais de ces épreuves et que je rentrais au village, j‘occupais mon temps à faire ce que j’aimais réellement. Je pouvais écouler mes journées à observer la nature et les animaux en écoutant de la bonne musique et en dormant au clair de lune, un réel bonheur! Je justifie ce grand attachement à la nature par le même degré d’attachement que j’éprouve à l’égard de mon imagination sans laquelle je ne serais que l’ombre de moi-même cela me rappelle d’ailleurs ces phrases que j’ai entendu un jour et qui m’ont marqué pour toujours:« on pourra vous enlevez vos vêtements, votre famille, vos biens ,votre dignité, votre orgueil, on pourra même vous ôter la vie mais jamais votre esprit, jamais votre imagination, jamais on pourra vous les prendre, ils appartiendront toujours à vous et à vous seuls.» alors comme soldat et avant tout comme être humain que je suis, je me suis toujours accrochée à ces deux concepts plus qu’à ma propre vie.
Et j’ai rencontré pendant mon service des gens d’une foi inébranlable, ceux qui croyaient encore en l’amour, ne savant pas que ce qu’ils appellent amour n’est autre que le fruit d’une équation chimique dans laquelle un nombre d’hormones secrètent des substances qui font le bonheur d’une personne durant quelques secondes, alors oui! Bien-sûr que je refuse de bâtir des relations qui sont supposées durer dans le temps sur la réaction de quelques substances chimiques qui procurent un quelconque plaisir à effet éphémère. Pour moi ce n’était plus question de croire à tout ce en quoi croyait l’humanité parce que justement tout le monde y croit ou tout le monde le fait, il faut désormais se bâtir ses propres jugements et ses propres convictions en se basant sur des arguments fiables et valables, l’amour ici n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autre idées ou de concepts qu’on acceptent finalement sans vraiment nous poser de questions. Et j’ai fini par comprendre que je pourrais sacrifier mon âme et tout mon corps pour ma patrie, pour mon peuple, que je prêterai serment encore mille fois afin de protéger démunis, faibles, vieux, femmes et enfants mais que je ne pourrais sans doute jamais offrir cette même dévotion ni ce même sacrifice à un être qui me lira à lui un quelconque lien sentimental ou marital ou familial et j’ai, d’ailleurs, toujours respecté ceux qui connaissent la lourdeur de la responsabilité d’aimer mais qui s’y sont donnés malgré l’usure et la lassitude assassines qui menacent cet équilibre fragile, l’immense admiration que je leurs porte trouve son origine par rapport à ce sacrifice dont ils font part : le véritable sacrifice n’étant pas celui de se jeter dans l’inconnu avec ignorance mais d’au contraire connaitre tout de cet inconnu mais s‘y jeter quand même.
Il m’aura fallut au final, abandonner mes études, m’engager à l’armée et risquer ma vie presque chaque jour pour apprendre tout ceci mais plus que tout j’avais compris qu’il ne fallait pas forcement que je vive tout cela pour entreprendre la grande quête qu’est de comprendre la vie parce qu’en réalité nous essayons tous de trouver un sens à notre vie, moi j’ai trouvé un qui à la fois me permet de faire ce que j’aime mais aussi de mourir un jour, je l’espère ,de la plus honorable des façons.
Je vous dirai, bien humblement, une phrase qui m’a marqué à jamais :
« Le vent se lève, vivez votre vie. »