ALLÉLUIA POUR LA FEMME

1-Les immortels de B-A
 
A-
Ça a duré une bonne minute.Une vraie minute.Une éternité.Ce 1er novembre est un jour qui marquera,1er novembre 2022 est un jour sans pareil qu'on allait devoir garder frais dans nos mémoires pour toujours,nous autres jeunes filles de B-A,et je l'ai su dès que j'ai entendu le tout premier des coups de feu.
 
B-A,c'est ce lieu où j'habite,ce quartier qui m'a vue naître pour devenir femme.B-A ce symbole de gaieté permanente,ce haut lieu parfumé de vie à l'emblème infini.Ce B-A en ce jour de fête des morts a connu le plus dur des sorts que pouvait subir un aussi beau endroit.
En l'espace d'un cillement, mon B-A de bonheur d'autrefois fut témoin oculaire dans nos malheurs de femme,et nos cris s'en sont retombés sur la ville toute entière,comme pour dire que B-A qui pleure est un rappel pour le reste du monde,B-A qui hurle atteste pour vrai, l'affreuse idée qui affirme que le monde est bâti sûr une montagne de pleure essentiellement conjuguée au féminin.
 
b- Maryse est ma meilleure amie,nous avons tellement de points en commun, grand Dieu,que parfois j'ai l'impression que nous habitons une seule et même vie avec confusion totale,l'impression que nos vies se confondent dans un rythme commun configuré à l'infini.
Grandes passionnées de littérature,fières adeptes des idées de l'immense Marie-Vieux Chauvet,ça ne faisait aucun doute qu'elle et moi étions deux jeunes filles destinées à fréquenter le grand monde des lettrés.
 
On savait depuis le lycée,que nous étions destinées à devenir deux grandes dames à capacité d'inspirer les autres.Deux grandes sociologues au service de tout un pays.Et on s'est dédié corps et âme à la conquête de ce beau rêve.Le premier geste a été de nous assurer une place au sein de l'université d'État d'Haïti.Seul espoir pour nous autres jeunes gens de B-A de pouvoir effectuer une étude universitaire.Pour Maryse le choix de l'entité a été la faculté d'ethnologie,option anthropo-sociologie,là où moi j'ai choisi la Faculté des sciences humaines,option travail social.Il faut savoir que nos choix n'ont rien affecté dutout dans ce qui fut consacré comme une grande amitié fusionnelle,au contraire,étant les seules jeunes filles du quartier ayant eu accès à un espace universitaire,au yeux du reste du monde nous étions devenu un.Comme si cette unité était issue d'un beau mariage,une de ces belles unions qui transforme l'homme et la femme en une seule chair.et on assumait ça fort, dans nos prises de positions communes.
 
On ne se voyait qu'à la tombée de la nuit à un moment donné moi et Maryse, à cause de nos études respectives.Bien qu'au quartier,on interdisait normalement à une jeune fille de circuler à la tombée de la nuit.C'était la règle absolue,règle face à laquelle Maryse et moi avions dû lutter férocement pour devenir des véritables exceptions.En véritable tête rebellée,nous circulions la nuit, on marchait comme si l'on voulait émettre un défi au reste du monde dominé par les hommes.Nos marches avaient pour but de faire savoir au reste du monde qu'on était des phares,et qu'un phare enfermé était dépourvu de sens,en circulant on disait,ou plutôt nos pas disaient à chaque avancement qu'on voulait être vue,démontrée dans la réalité qui était la nôtre,démontrées nues face à la nuit du haut de toute notre splendeur. On marchait,on marche et on marchera encore s'il le faut malgré les drames auxquels on s'expose,car le patriarcat fait toujours face bas par-devant la marche (nocturne ou pas) des jeunes filles.
 
b- Père est en prison,il a été arrêté il ya deux mois de celà,suite à un arrimage.On entend par arrimage,système selon lequel,la police passe dans un quartier populaire,ramasse une centaine d'homme dans le but d'attraper un bandit quelconque parmi la foule,c'est monnaie courante par ici.Toutefois dans le cas de mon père,les victimes fut le reste des 99 ramassés,quant à lui,il n'avait que moi,comme part d'innocence dans sa vie.
Il était chef comme on dit à B-A.Générale, en dehors de toute approbation de l'état.C'était un vrai dur,qui faisait coulé lui aussi beaucoup de larmes dans les yeux de certaines mères de famille.
 
Après son arrestation,une forte pluie se déversa sur B-A,ramenant comme d'habitude les déchets des gens d'en haut dans nos habitations d'en bas,il pleuvait comme jamais,comme si la nature en elle même voulait pleurer son départ à mes côtés,à côté de tout le quartier,car mon père était devenu avec l'absence de l'état,un bien commun pour tout B-A.Une garantie face à l'avancement des envahisseurs de l'autre rive. En enlevant mon père,on a enlevé la paix du quartier qui va avec, et ça ce n'est pas la police avec son maigre mâchoire qui viendra nous donner quiétude face à ces bandits bien gras de l'autre rive,vivant pour l'essentiel dans la soif de nos sangs.
 
Pour nous protéger,père nous avait ordonné de quitter le quartier un instant,le temps pour lui de réunir de quoi acheter au "marché de la justice" une nouvelle liberté toute neuve,et de pouvoir reprendre ses affaires. Et l'éventualité d'une libération de père m'avait tellement rempli d'espoir,que j'avais su malheureusement dissiper en moi, toute crainte pouvant m'amener à encourager mère à quitter le quartier.
 
B- Une douleur éternelle
 
La douleur fut monstre sous le bas de mon ventre, mais ça n'a pas été pour autant la plus dure à surmonter.La plus grande douleur est celle qu'on ressent dans son âme,car seule son âme est susceptible de se perdre définitivement.Ce jeune corps de toute façon était appelé à vieillir et passer.
Ce qu'on m'a fait a atteint mon âme.Le plus dur des peines à supporter, est cette haine pour le bourreau qui m'emprisonne tant, telle que même sa mort ne me saurait être d'aucune consolation.On m'a détruit à l'intérieur et ça ne se répare pas en l'espace d'une vie.La douleur est aussi cette odeur de sang maculé sur le front de Maryse. Là voilà elle, juste là devant moi, allongé par terre,tel un verre de terre qu'on vient d'écraser sous des pieds fièrement bien bottés.Elle n'a pas eu ma résistance face à l'oppression,la petite Maryse.Son cœur ne pouvait pas supporter, encaisser l'odeur de ce monstre qui s'apprêtait à l'eventrer,comme il avait éventré avant elle sa mère,ma mère,Sandrine,ou n'importe quelle autre femme, peu importe son beau nom,sa belle forme, ou son âge.
 
Maryse n'a pas pû résister,non elle n'a pas su regarder le ciel complice de tant de cruauté envers les femmes,son cœur,son poumon,et son appareil respiratoire ce sont révoltés dès le premier coup d'oeil subit par son corps, ce corps de fille ne supportait pas ce regard, ne supportait pas tant de haine dans la voix de cet homme, lui ordonnant avec foudre de se pencher telle une pute, de se déshabiller par devant le cadavre de son propre père géniteur étendu là par terre, là devant ses yeux,après avoir reçu une balle des mains de celui qui se tient là devant elle,et qui tente ce Viol.
 
Pour une fois,ce pénis n'aura pas raison d'elle,c'est ce qu'elle a eu le temps de dire,ou du moins son corps sera jeté à ces vautours d'homme oui, mais pas avant sa mort, pas avec son souffle témoin pour faire vague dans ce corps hanté. Elle sera empoisonnée,à l'image de toutes ces autres femmes du Congo,mais pas de son vivant,foutre de tonnerre! Cet homme ne ramassera d'elle que son vilain cadavre,tout froid. C'est ce qu'avait décidé Maryse.Et elle avait raison ma petite sœur.
 
Il était encore nuit noir, (bien avant que chanta le vieux coq qui fut témoin de la trahison de Pierre par devant la face du Christ), quand les envahisseurs ont franchi les portails de B-A. Les chiens jappaient et recevaient le fruit d'un Kalashnikov,les chats miaulaient et furent éteints sous le coup,puis venait le tour de mon petit frère qui s'écroula raide dingue sous le poids d'une pluie de balle. L'enfant passa ainsi, après l'enfant viendra le tour du cop témoin de la trahison,après le cop ce fut le grand silence, le grand silence qui succède toujours les amères hurlements des femmes victimes.
 
 
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