Il n'y avait plus que quelques kilomètres à gravir mais à l'approche du sommet, le vent devenait de plus en plus âpre et violent. Je ne devais pas être le seul à me demander si nous avions eu raison de nous engager dans cette expédition qui nous avait été proposée par Maud, notre guide. Ce n'était pas l'ascension de l'Everest, ni celle du Mont Blanc, ce n'était que le Mont Ventoux mais pour chacun d'entre nous c'était un défi. Bénédicte sortait péniblement d'une lourde dépression. Roberto toujours partant ne pouvait cependant nier que son diabète lui compliquait sérieusement la vie. Julienne était fière de sa prothèse de hanche mais à ce stade elle claudiquait plus qu'elle ne marchait. Nadine souffrait de polyarthrite et n'échappait à la douleur que grâce à des anti inflammatoires puissants. Que faisions nous là ? Nous tenions une promesse faite à notre guide. Nous avions tous, à un moment donné de notre vie, eu la chance de croiser Maud qui nous avait donné le goût de la nature et de la montagne. Maud avait pris la mesure de nos difficultés et aurait pu nous mettre sur une liste noire de personnes à éviter lors d'une prochaine inscription à un séjour montagne : « Ralentit la marche du groupe » mais, passionnée de montagne et sortie vivante d'une avalanche, Maud s'était penchée sur cette idée de constituer des groupes de « montagne adaptée ». Ses quelques années d'expérience en tant qu'infirmière dans un service de traumatologie lui avait donné suffisamment de connaissances médicales pour soulager certaines douleurs, elle s'était également intéressée à la naturopathie et la sophrologie. Après avoir organisé des « expéditions » et des « raids », elle organisait des séjours « Bien Être » qu'on aurait pu appeler « Mieux Être ». S'inscrire à un séjour montagne avec Maud, c'était s'assurer d'être compris, entouré, presque materné. Nous avions droit à de bons conseils rassurants, une alimentation saine et reconstituante, des massages et de la relaxation dans des hébergements perdus au milieu de la nature nous offrant le confort de couettes moelleuses pour la nuit. À une condition ! Interdiction de se désister au dernier moment et tout mettre en œuvre pour aller jusqu'au bout.
Pourquoi nous engagions-nous dans des difficultés certaines ? Et surtout pourquoi Maud se mettait-elle dans ces difficultés annoncées alors qu'elle aurait pu passer sa vie à faire ce qu'elle avait aimé le plus : l'alpinisme et le ski ? C'est ce qu'elle avait fait pendant des années jusqu'au jour où elle était partie faire du surf avec un groupe d'amis d'un excellent niveau pour « s'éclater ». Ils s'éclatèrent tous jusqu'au moment où la sangle de la planche de Maud avait cédé. Elle eut beau crier, personne ne fit attention à elle. Elle vit le groupe d'hommes s'éloigner et elle se retrouva seule au milieu des immenses étendues neigeuses. Au risque de sa vie, elle mit des heures à regagner la station à pied. Quand elle retrouva « ses compagnons », le vin chaud ne suffit pas à lui faire oublier ce qu'elle venait de vivre. On lui fit comprendre que c'était elle qui avait voulu les suivre, c'était son choix. Dans ce genre d'espace on ne peut pas s'attendre, revenir en arrière, il faut se démer... Quand on s'engage dans ce genre d'aventure il faut assumer. On fit tout de même semblant de s'excuser et on tourna l'évènement à la rigolade exagérant les capacités de Maud à se débrouiller seule. Oui, pensait-elle, elle s'était engagée dans cette folle virée ! À quoi bon ? Se surpasser ? Pour qui ? Pour quoi ? Par orgueil. Quelques mois plus tard, lors d'une sortie quelle pensait moins risquée, elle fut prise dans une avalanche. Ce fut le déclic. Elle eut une telle reconnaissance et une telle admiration pour ses sauveteurs qu'elle décida de s'engager tout autrement. Dorénavant elle s'engagerait aux côtés de ceux qui le méritent, de ceux qui ont besoin d'aide.
Notre petite troupe avançait de plus en plus lentement. J'avais les yeux fixés sur la frêle silhouette de Sylvie juste devant moi. Je savais qu'elle était soignée pour une tumeur au cerveau. Visiblement les médicaments qui la boostaient faisaient de moins en moins d'effet. Je pensais combien Maud avait eu raison de nous recommander d'alléger notre sac au maximum. Cependant, Sylvie ployait sous le maigre poids du sien. J'étais le seul homme du groupe et je pensais à ces hommes, excellents skieurs, qui avaient abandonné Maud au milieu de la montagne. Une révolte montait en moi qui était aussi contre moi. J'étais en sevrage. J'avais honte de mon addiction qui m'empêchait de travailler alors que j'avais une famille à charge. D'un bond, je saisis le sac de Sylvie, l'enfilait sur mon épaule et la soutenait avec l'autre bras. Pour une fois, personne ne pouvait me reprocher d'être « chargé » ! Cela la fit rire et c'est en riant, bras dessus bras dessous que nous atteignîmes le sommet quelques minutes plus tard. Après avoir pris un thé bien chaud à l'abri du vent, Maud nous demanda : « Ça ira pour la descente ? » « Il le faudra bien, répondit Sylvie, nous nous sommes tous engagés, n'est-ce pas ? » Visiblement, il n'y avait pas que le goût de l'effort et de la montagne que Maud était parvenue à nous faire partager.
Pourquoi nous engagions-nous dans des difficultés certaines ? Et surtout pourquoi Maud se mettait-elle dans ces difficultés annoncées alors qu'elle aurait pu passer sa vie à faire ce qu'elle avait aimé le plus : l'alpinisme et le ski ? C'est ce qu'elle avait fait pendant des années jusqu'au jour où elle était partie faire du surf avec un groupe d'amis d'un excellent niveau pour « s'éclater ». Ils s'éclatèrent tous jusqu'au moment où la sangle de la planche de Maud avait cédé. Elle eut beau crier, personne ne fit attention à elle. Elle vit le groupe d'hommes s'éloigner et elle se retrouva seule au milieu des immenses étendues neigeuses. Au risque de sa vie, elle mit des heures à regagner la station à pied. Quand elle retrouva « ses compagnons », le vin chaud ne suffit pas à lui faire oublier ce qu'elle venait de vivre. On lui fit comprendre que c'était elle qui avait voulu les suivre, c'était son choix. Dans ce genre d'espace on ne peut pas s'attendre, revenir en arrière, il faut se démer... Quand on s'engage dans ce genre d'aventure il faut assumer. On fit tout de même semblant de s'excuser et on tourna l'évènement à la rigolade exagérant les capacités de Maud à se débrouiller seule. Oui, pensait-elle, elle s'était engagée dans cette folle virée ! À quoi bon ? Se surpasser ? Pour qui ? Pour quoi ? Par orgueil. Quelques mois plus tard, lors d'une sortie quelle pensait moins risquée, elle fut prise dans une avalanche. Ce fut le déclic. Elle eut une telle reconnaissance et une telle admiration pour ses sauveteurs qu'elle décida de s'engager tout autrement. Dorénavant elle s'engagerait aux côtés de ceux qui le méritent, de ceux qui ont besoin d'aide.
Notre petite troupe avançait de plus en plus lentement. J'avais les yeux fixés sur la frêle silhouette de Sylvie juste devant moi. Je savais qu'elle était soignée pour une tumeur au cerveau. Visiblement les médicaments qui la boostaient faisaient de moins en moins d'effet. Je pensais combien Maud avait eu raison de nous recommander d'alléger notre sac au maximum. Cependant, Sylvie ployait sous le maigre poids du sien. J'étais le seul homme du groupe et je pensais à ces hommes, excellents skieurs, qui avaient abandonné Maud au milieu de la montagne. Une révolte montait en moi qui était aussi contre moi. J'étais en sevrage. J'avais honte de mon addiction qui m'empêchait de travailler alors que j'avais une famille à charge. D'un bond, je saisis le sac de Sylvie, l'enfilait sur mon épaule et la soutenait avec l'autre bras. Pour une fois, personne ne pouvait me reprocher d'être « chargé » ! Cela la fit rire et c'est en riant, bras dessus bras dessous que nous atteignîmes le sommet quelques minutes plus tard. Après avoir pris un thé bien chaud à l'abri du vent, Maud nous demanda : « Ça ira pour la descente ? » « Il le faudra bien, répondit Sylvie, nous nous sommes tous engagés, n'est-ce pas ? » Visiblement, il n'y avait pas que le goût de l'effort et de la montagne que Maud était parvenue à nous faire partager.