Agonie

Ça a duré une bonne minute, une vraie minute, une éternité... Mes traumatismes sont là pour me le rappeler, depuis ce jour-là chaque pensée est devenue une bataille, chaque respiration une guerre, et j'étais en train de perdre. C'était dans la journée du 09 décembre, je venais d'apprendre que mon père avait rendu l'âme. Mon monde à moi s'est arrêté de tourner, et tout s'est effondré sans que personne ne puisse rien y faire.
22 jours se sont écoulés depuis cet incident. La vie essayait tant bien que mal de reprendre son cours. Cependant, malgré que le monde ait continué à tourner, le temps refusait de guérir mon existence, malade, trop malade, dont les questions, les tourments ne cessent de ronger. Sur le chemin, en allant faire des courses, je n'ai pu m'empêcher de me poser la question : pourquoi la mort ? Pourquoi les personnes importantes de notre vie ne durent-elles pas éternellement ? Pourquoi doit-on vivre si, au final, la mort nous attend ? Étant plongé dans des pensées profondes, ma tête heurta accidentellement celle d'un autre individu. C'était une grande personne assez âgée, qui avait de longs cheveux blancs et des yeux bleus, il portait un blouson noir avec une écharpe noire, sa posture était assez imposante pour que l'on se sente oppressé par le simple fait qu'il nous regarde.
Moi : Je suis sincèrement désolé, monsieur.
Le Monsieur : Je te connais très bien, vois-tu, et je pense qu'il y a une raison à notre rencontre.
Moi : Désolé, mais votre visage ne me dit rien du tout, nous sommes déjà croisés quelque part ?
Le Monsieur : Oui, je t'ai rendu visite le 9 décembre, ou plutôt je suis allé rendre visite à ton père... Je suis la Mort en personne.
Effectivement, il sentait la mort à plein nez, l'être qui était en face de moi n'était pas de nature humaine.
La Mort : Je suis la mort, et j'ai donc tous les pouvoirs.
Moi : Si tu as vraiment tous les pouvoirs, peux-tu faire revenir mon père ?
La Mort : La question n'est pas de savoir si je peux, mais plutôt, toi, pourras-tu ? Toi qui marchandes avec la mort, pourras-tu payer le prix de ton vœu ? C'est-à-dire la vie de l'un de tes proches ?
L'idée de perdre d'autres personnes qui me sont chères me terrifiait... je n'aurais plus la force de me relever si cela devait arriver maintenant.
Moi : Pourquoi la mort ? Pourquoi les personnes importantes de notre vie ne durent-elles pas éternellement ? Pourquoi doit-on vivre si, au final, la mort nous attend ?
La Mort : Soit, je vais répondre à toutes tes questions, mais j'ai ma condition.
Moi : Tu prendras ma vie en contrepartie ?
La Mort : Pas encore. Mais je voudrais que tu prennes ma place pour une mission, si tu réussis, je répondrai à toutes tes questions.
Obnubilé par la possibilité d'enfin pouvoir trouver la « Réponse », où je pourrais finalement comprendre cette douleur invisible qui ne veut guérir, j'acquiesçai.
A partir de maintenant, j'étais donc devenu un être qui allait dépouiller les hommes de ce à quoi ils tenaient le plus, c'est-à-dire leur vie.
Ma mission commence maintenant. Ma cible se trouvait donc dans cette très grande ville, avec beaucoup de lumières qui faisaient rêver. Certes, il était minuit passé, mais la vie continuait comme si c'était le jour. C'était fascinant de voir autant de voitures qui roulaient à une heure pareille, les cafés étaient ouverts et recevaient beaucoup de monde pour discuter. La cité était prospère. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est agréable d'y vivre, mais surtout d'y mourir.
Après quelques heures de marche, j'arrivai finalement à destination, la demeure William. Ma cible était Monsieur Gregor, une ancienne figure politique et homme d'État riche, connu notamment pour avoir aidé plusieurs orphelins à réaliser leurs rêves en finançant leurs études. J'allais donc prendre la vie d'un grand homme. Gregor se trouvait tout en haut du grand manoir, et pour cette mission, je pris la décision puérile d'entrer par la fenêtre, pour faire plus « Ange de la mort ».
Moi : Toc
Il me répondit avec un ton calme et agréable, voire même apaisant.
Gregor : Entrez donc, je vous prie.
Son regard était celui d'une personne calme. Il était vêtu de manière assez décontractée, en short avec un petit tee-shirt smilee, assis sur son bureau en train de lire un journal. Il dégageait un certain air d'insouciance, ma présence ne semblait pas l'intimider tant que ça.
Gregor : Inutile de vous présenter, je sais qui vous êtes et je connais la raison de votre visite. Je dois dire que je vous suis reconnaissant.
Moi : Êtes-vous sûr de bien me connaître ? Parce que si c'est vraiment le cas, il me semble bizarre que vous me soyez reconnaissant.
Gregor : Vous êtes celui dont presque tout le monde a peur, celui qui sème tristesse et regrets partout sur votre chemin, vous êtes le point d'arrivée de toute existence.
Moi : « Presque tout le monde » dites-vous ? N'avez-vous donc pas peur de moi ?
Gregor : Je ne gagne rien à avoir peur de quelque chose d'infiniment plus grand que moi. J'ignore tout de la mort, alors je préfère me concentrer sur la vie. Je m'inquiète plus de savoir si mes légumes pousseront demain, si ma petite nièce Clara de 14 ans réussira ses examens. Je suis plus soucieux de savoir de quelle manière l'humanité survivra le jour où le dernier stock de pétrole s'épuisera. J'ai plus de sueurs froides en m'imaginant le futur du pays, de l'humanité. J'ai déjà accepté que la mort fasse partie de la vie, et depuis, je vis intensément chaque instant, jusqu'à la dernière seconde.
Moi : Et pourquoi m'êtes-vous reconnaissant ?
Gregor : Le vieillard que je suis a appris à contempler avec grâce l'eau qui coule sous les ponts, et depuis je ne m'en lasse pas. Cependant, il demeure en moi une inquiétude plus profonde : à quoi ressemblera le cours d'eau quand celui-ci sera fatigué et cessera de couler ? Et tu es la réponse à ma question. Crois-le ou non, arrivé à un certain âge, on a juste envie de savoir de quelle manière on va mourir, voilà pourquoi je te suis reconnaissant.
Moi : Une dernière volonté ? Choisissez bien, car la mort est la dernière chose que vous faites dans votre vie, vous devriez la faire gracieusement.
Gregor : La vie m'a déjà donné plein de faveurs, j'ai eu la chance d'avoir une famille qui m'aime, j'ai pu aider mon prochain, j'ai vécu dans la richesse. Je n'ai plus rien à demander à la mort.
Moi : Qu'il en soit ainsi.
J'avais maintenant fini. Ce petit moment passé en tant que dieu de la mort m'a fait me remettre en question sur la mort en question et sur la signification de la vie. Me voilà prêt à affronter la mort, enfin, plutôt au sens figuré.
Il était 4h30 du matin. Sans faire le moindre bruit, il apparut soudainement devant moi. Oui, c'était la mort, le seul, l'unique et le vrai.
Moi : Alors te revoilà.
La Mort : Tu as accompli ta part du marché.
Moi : D'ailleurs, toi aussi tu as accompli la tienne, non ?
La Mort : Bravo de t'en être rendu compte.
Impossible de ne pas s'en rendre compte. En me faisant faire son travail, je pourrais ainsi avoir une expérience plus profonde de ce qu'est la mort. Pourquoi la mort ? Pourquoi les personnes importantes de notre vie ne durent-elles pas éternellement ? Pourquoi doit-on vivre si, au final, la mort nous attend ? J'en suis venue à la conclusion qu'il n'y avait pas de formule ni de logique à la mort, c'est comme des pierres venant du ciel qui nous toucheraient tous tôt ou tard. Alors, face à l'infiniment plus grand, il fallait se poser les bonnes questions. Pour pouvoir apprécier la vie, il fallait accepter que la mort est la destination finale. Ainsi, en acceptant que tout peut se finir, on prend plus à cœur chaque moment que l'on passe avec notre famille, avec les personnes que l'on aime. Chaque instant devient un cadeau qu'il faut vivre pleinement jusqu'à la fin. Et quand la fin arrivera, on sera là, on sera prêts à passer ce voyage, comme beaucoup de nos confrères, amis proches ont déjà fait, le sourire aux lèvres. On pourra se dire que ce fut magnifique et qu'il n'y a rien à regretter.
 
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