« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait les autres, mais je ne vous appellerai pas maître.
-Vous ai-je demandé de m'appeler maître ?
-Vous venez pourtant de dire que vous êtes mon nouveau maître.
-Affirmatif mais vous ai- je demandé de m'appeler maître ?
-C'est tout comme. Keyah Kinte ne sera jamais l'esclave de personne !
-Vous ai-je demandé d'être mon esclave ?
Embarras. La jeune femme considéra un instant l'homme qui l'avait acquise la veille au prix de rien. Malgré son nez aquilin, il n'était pas laid sous sa peau de lait. Son visage frais aux traits fins était presque féminin. Ses lèvres, tantôt sans couleur, tantôt roses d'ivresse ou rouges de fièvre, semblaient savamment maquillées. Comme il était grand ! Aussi grand que les arbres majestueux qui dominaient son village natal. En revanche, pour un maître de nègres, il était fort maigre. Il lui faisait d'ailleurs penser au chien de la huitième femme de son père, nourri essentiellement aux feuilles de manioc. Jamais le clébard n'avait reçu viande de sa maîtresse.
Confusion. Il ne voulait pas faire d'elle son esclave, venait-il de dire. Pourtant il était un Blanc et un Blanc, ça achète des nègres pour en faire des esclaves. Était-il une erreur des dieux ? Une espèce de Noir à la peau blanche ? Un sang blanc pour un semblant de cœur de Noir? Elle observa le reflet de l'homme dans le miroir, espérant y voir sa vraie nature par un mystérieux procédé de sorcellerie dont seule sa lignée avait le secret. Verdict : il était bel et bien un Blanc.
-Qu'attendez-vous de moi ?
L'homme prit place dans le fauteuil derrière son bureau avant de la fixer d'un regard bleu tristesse. Ses yeux vides se remplirent tout lentement d'un liquide brillant. Vous savez, cette substance qui prend source dans les replis du cœur pour s'écouler sur les méandres de la vie. Allait-il pleurer ? Par tous les dieux, les Blancs savent pleurer ! s'étonna-t-elle. Découverte incroyable n'est-ce-pas ?
-Ma jeune sœur, répondit-il, d'un ton las. Ma jeune sœur prétend voir des êtres avec lesquels elle parle dans un langage étrange. Un mélange d'aboiements, de hennissements et de quelques brins d'une langue inintelligible. Ces maudits psychiatres m'ont promis la soigner en vain ! Et ces exorcistes, une bande de vautours !
Une larme réussit à se frayer un chemin sur sa joue. L'homme laissa éclore les pétales de son cœur devant elle, devant la négresse.
-Pauvre petite. Que les dieux soient avec elle !
-Vous pratiquez la sorcellerie clandestinement m'a-t-on rapporté. Je voudrais que vous la soigniez, c'est pourquoi j'ai tenu à vous acheter.
Acheter, acheter... tel un vulgaire objet. Aussitôt le mot fut-il prononcé qu'elle avança vers lui et le gifla de sa main la plus dure. Il saigna. Oui, elle venait de frapper un Blanc et n'hésiterait pas à le refaire tant qu'il n'imprimerait pas dans sa cervelle qu'elle n'était pas un objet. "Chaque homme est maître de lui-même", c'était là le plus beau souvenir qu'elle avait de son père.
-Vous êtes une vraie folle ! Je comprends pourquoi aucun acheteur ne voulait de vous, petite idiote ! Votre réputation vous a précédée.
Il ouvrit un tiroir, y prit des chaînes et un fouet avec pour projet de la faire battre publiquement par ses esclaves les plus vigoureux avant de lui faire amputer les seins. Elle devait d'ailleurs le remercier. Conformément au Code Noir, elle méritait la mort.
Mais Keyah se saisit du fouet et des chaînes sans même qu'il ne sache quand ni comment. Elle les jeta dans un coin de la pièce et affronta l'homme blanc. Et lui d'être tour à tour terrifié et subjugué par l'amazone en face de lui. Jamais il n'avait vu de femme, blanche ou noire, tout aussi sûre d'elle que brave. Une bravoure qui lui conférait un charme singulier et exquis. De sa chevelure folle à son regard de lionne affamée, elle avait un charisme inégalable. Et cette façon qu'elle avait de jalouser de sa liberté...libre même dans les fers.
-Vous souhaitez la guérison de votre sœur oui ou non ? Tonna-t-elle.
-Oui, répondit-il d'une voix calmée par la peur.
-Et que gagnerai-je en retour ?
-Une lettre d'affranchissement écrite de ma main, pourvu qu'elle guérisse.
-C'est la pire idée que votre intelligence aurait pu vous souffler. Je suis libre ! Nul besoin de ce papier ridicule pour m'en convaincre.
-Vous êtes libre dans votre tête mais aux yeux des miens non. Vous serez toujours traquée, fessée, torturée pour la simple raison que vous êtes de couleur. Acceptez ma proposition et n'en parlons plus.
Elle tourna les talons et prit la direction de la porte, la tête bien haute. Sa démarche de guerrière était ponctuelle, contrairement à sa jupe courte qui se balançait au rythme de ses déhanchés bouleversants. Elle éveillait si vivement ses sens qu'il devint rouge de mirer ce corps voluptueux malgré les empreintes du forçat, ces hanches bien prononcées qui, se promit-il, connaîtraient ses caresses adroites et ses baisers furieux.
-Attendez Keyah ! Je vous donnerai ce que vous voudrez. Dites-moi, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ?
Elle trouva sa question stupide par l'évidence mais consentit tout de même à répondre.
-L'Afrique. Pouvez-vous me donner l'Afrique ? Une Afrique forte. Une Afrique qui ne regardera plus des étrangers la dépouiller de ses biens et de ses hommes sans broncher. Une Afrique où des enfants pourront jouer dans la boue sans crainte de se faire capturer. Une Afrique où des mères ne pleureront plus leurs fils vendus par leurs pères affamés pour des miettes. Une Afrique déterminée. Une Afrique qui ne se laissera plus fesser, piétiner. Pouvez-vous me donner une Afrique guerrière ? Une Afrique dont je serai fière ?
-C'est le problème des Africains, pas le mien.
-Vous avez raison. C'est à l'Afrique de se décider d'être son propre maître. »
-Vous ai-je demandé de m'appeler maître ?
-Vous venez pourtant de dire que vous êtes mon nouveau maître.
-Affirmatif mais vous ai- je demandé de m'appeler maître ?
-C'est tout comme. Keyah Kinte ne sera jamais l'esclave de personne !
-Vous ai-je demandé d'être mon esclave ?
Embarras. La jeune femme considéra un instant l'homme qui l'avait acquise la veille au prix de rien. Malgré son nez aquilin, il n'était pas laid sous sa peau de lait. Son visage frais aux traits fins était presque féminin. Ses lèvres, tantôt sans couleur, tantôt roses d'ivresse ou rouges de fièvre, semblaient savamment maquillées. Comme il était grand ! Aussi grand que les arbres majestueux qui dominaient son village natal. En revanche, pour un maître de nègres, il était fort maigre. Il lui faisait d'ailleurs penser au chien de la huitième femme de son père, nourri essentiellement aux feuilles de manioc. Jamais le clébard n'avait reçu viande de sa maîtresse.
Confusion. Il ne voulait pas faire d'elle son esclave, venait-il de dire. Pourtant il était un Blanc et un Blanc, ça achète des nègres pour en faire des esclaves. Était-il une erreur des dieux ? Une espèce de Noir à la peau blanche ? Un sang blanc pour un semblant de cœur de Noir? Elle observa le reflet de l'homme dans le miroir, espérant y voir sa vraie nature par un mystérieux procédé de sorcellerie dont seule sa lignée avait le secret. Verdict : il était bel et bien un Blanc.
-Qu'attendez-vous de moi ?
L'homme prit place dans le fauteuil derrière son bureau avant de la fixer d'un regard bleu tristesse. Ses yeux vides se remplirent tout lentement d'un liquide brillant. Vous savez, cette substance qui prend source dans les replis du cœur pour s'écouler sur les méandres de la vie. Allait-il pleurer ? Par tous les dieux, les Blancs savent pleurer ! s'étonna-t-elle. Découverte incroyable n'est-ce-pas ?
-Ma jeune sœur, répondit-il, d'un ton las. Ma jeune sœur prétend voir des êtres avec lesquels elle parle dans un langage étrange. Un mélange d'aboiements, de hennissements et de quelques brins d'une langue inintelligible. Ces maudits psychiatres m'ont promis la soigner en vain ! Et ces exorcistes, une bande de vautours !
Une larme réussit à se frayer un chemin sur sa joue. L'homme laissa éclore les pétales de son cœur devant elle, devant la négresse.
-Pauvre petite. Que les dieux soient avec elle !
-Vous pratiquez la sorcellerie clandestinement m'a-t-on rapporté. Je voudrais que vous la soigniez, c'est pourquoi j'ai tenu à vous acheter.
Acheter, acheter... tel un vulgaire objet. Aussitôt le mot fut-il prononcé qu'elle avança vers lui et le gifla de sa main la plus dure. Il saigna. Oui, elle venait de frapper un Blanc et n'hésiterait pas à le refaire tant qu'il n'imprimerait pas dans sa cervelle qu'elle n'était pas un objet. "Chaque homme est maître de lui-même", c'était là le plus beau souvenir qu'elle avait de son père.
-Vous êtes une vraie folle ! Je comprends pourquoi aucun acheteur ne voulait de vous, petite idiote ! Votre réputation vous a précédée.
Il ouvrit un tiroir, y prit des chaînes et un fouet avec pour projet de la faire battre publiquement par ses esclaves les plus vigoureux avant de lui faire amputer les seins. Elle devait d'ailleurs le remercier. Conformément au Code Noir, elle méritait la mort.
Mais Keyah se saisit du fouet et des chaînes sans même qu'il ne sache quand ni comment. Elle les jeta dans un coin de la pièce et affronta l'homme blanc. Et lui d'être tour à tour terrifié et subjugué par l'amazone en face de lui. Jamais il n'avait vu de femme, blanche ou noire, tout aussi sûre d'elle que brave. Une bravoure qui lui conférait un charme singulier et exquis. De sa chevelure folle à son regard de lionne affamée, elle avait un charisme inégalable. Et cette façon qu'elle avait de jalouser de sa liberté...libre même dans les fers.
-Vous souhaitez la guérison de votre sœur oui ou non ? Tonna-t-elle.
-Oui, répondit-il d'une voix calmée par la peur.
-Et que gagnerai-je en retour ?
-Une lettre d'affranchissement écrite de ma main, pourvu qu'elle guérisse.
-C'est la pire idée que votre intelligence aurait pu vous souffler. Je suis libre ! Nul besoin de ce papier ridicule pour m'en convaincre.
-Vous êtes libre dans votre tête mais aux yeux des miens non. Vous serez toujours traquée, fessée, torturée pour la simple raison que vous êtes de couleur. Acceptez ma proposition et n'en parlons plus.
Elle tourna les talons et prit la direction de la porte, la tête bien haute. Sa démarche de guerrière était ponctuelle, contrairement à sa jupe courte qui se balançait au rythme de ses déhanchés bouleversants. Elle éveillait si vivement ses sens qu'il devint rouge de mirer ce corps voluptueux malgré les empreintes du forçat, ces hanches bien prononcées qui, se promit-il, connaîtraient ses caresses adroites et ses baisers furieux.
-Attendez Keyah ! Je vous donnerai ce que vous voudrez. Dites-moi, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ?
Elle trouva sa question stupide par l'évidence mais consentit tout de même à répondre.
-L'Afrique. Pouvez-vous me donner l'Afrique ? Une Afrique forte. Une Afrique qui ne regardera plus des étrangers la dépouiller de ses biens et de ses hommes sans broncher. Une Afrique où des enfants pourront jouer dans la boue sans crainte de se faire capturer. Une Afrique où des mères ne pleureront plus leurs fils vendus par leurs pères affamés pour des miettes. Une Afrique déterminée. Une Afrique qui ne se laissera plus fesser, piétiner. Pouvez-vous me donner une Afrique guerrière ? Une Afrique dont je serai fière ?
-C'est le problème des Africains, pas le mien.
-Vous avez raison. C'est à l'Afrique de se décider d'être son propre maître. »