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En rentrant de notre tournée d'été, notre tubiste nous annonça que, faute de disponibilité, il abandonnait l'hélicon. Comme je jouais déjà de la basse à vent, les copains m'ont proposé de prendre la suite. Je n'étais pas au niveau mais ils comptaient sur moi pour assurer. Funky, notre formation avait une réputation à défendre. L'embouchure d'un hélicon étant deux fois plus grosse que celle d'une basse, je n'avais plus qu'à me faire les lèvres et mémoriser notre répertoire.
En rentrant chez moi, je n'étais pas peu fier de porter les dix-sept kilos de cuivre de l'hélicon sur mes épaules. Instrument d'exception, c'était un modèle impérial avec un grand pavillon démontable tourné vers le public. J'avais hâte de l'essayer. Arrivé chez moi, je me suis vite installé et j'ai attaqué. Les premières notes que j'ai sorties ont fait trembler les murs. J'ai eu beau essayer de souffler doucement, l'hélicon s'obstinait à jouer les cornes de brume. Un troisième essai acheva de me convaincre. Je ne pourrais pas répéter chez moi. Pour avoir vu jouer des jazz-bands sous la grande voûte de la station Auber du RER A, me vint alors l'idée d'aller répéter dans le métro.
Le lendemain matin, je débarquais station Boucicaut instrument sur l'épaule. Peu après avoir emménagé dans le quartier, j'avais sympathisé avec Clémence, la marchande de journaux, une petite dame pimpante toujours bien soignée, une poupée dans un écrin de unes tapageuses. Chaque jour, nous échangions quelques mots, parfois davantage quand elle avait du vague à l'âme. À travailler en sous-sol à la lumière laiteuse des néons, qui ne finirait pas par avoir le blues ?
Quand je fis part de mon idée à Clémence, elle battit des mains comme une enfant devant une pochette surprise. Sous son regard bienveillant, je m'installai devant le mur sur lequel les voyageurs butent avant de prendre les escaliers qui donnent accès aux quais. Les voûtes carrelées du métro encaissaient les graves de l'hélicon sans broncher. Pour me faire les lèvres, j'ai passé cette première répétition à filer des sons. Certains voyageurs croyaient à un gag et riaient de bon cœur. L'un d'eux voulut me gratifier d'une piécette. Je dus lui expliquer que je ne faisais pas la manche mais que je venais travailler mon instrument. Le bougre crut que ça faisait partie de mon numéro et repartit en riant de plus belle. Clémence, qui avait assisté à la scène, vint déposer une coupelle à mes pieds. Après tout, si des gens voulaient donner, pourquoi les éconduire ?
C'est ainsi que j'ai appris à jouer de l'hélicon. Je descendais répéter une heure ou deux en fin de matinée trois ou quatre fois par semaine mais sans calendrier ni horaires fixes. Seule Clémence connaissait mon programme. À ce rythme, je fis rapidement des progrès. En deux mois, au grand soulagement des copains, j'étais devenu un tubiste acceptable. Cerise sur le pupitre, le produit de la manche était régulier et appréciable, de quoi m'offrir un peu de superflu.
Un semestre plus tard, jouer de l'hélicon dans le métro tournait à la routine quand survint un événement inattendu en la personne de Katarszyna, une flûtiste polonaise. J'étais en train d'enfiler une série d'anatoles lorsque j'entendis le son d'une flûte traversière se caler sur ce rythme et attaquer « La mer » de Charles Trénet. Elle la jouait en fa. Je l'ai suivie pour mieux la précéder. Je ne savais pas qui j'accompagnais car l'interprète se cachait. Je ne voyais que Clémence qui riait sous cape. Le morceau fini, Katarszyna apparut. Grande blonde à queue de cheval, elle avait un joli visage illuminé par de grands yeux pervenche. J'essayai d'engager la conversation, en vain. Ne parlant pas un mot de français ou presque, elle ânonna d'une voix rauque : « Moi, Katarszyna, Pologne ». Alors j'ai lancé une polka qu'elle saisit au vol. Ensuite, c'est elle qui attaqua une marche turque sur laquelle j'embrayai comme je pus. Alignant les tubes de la variété internationale, il nous fallait quelques mesures pour nous accorder mais ça finissait toujours par sonner juste et bien. Une dizaine de morceaux plus tard, Katarszyna rangea son instrument. « Moi, banlieue, RER A » s'excusa-t-elle, un baiser soufflé sur sa main en guise d'adieu.
Je ne pensais pas la revoir mais, une semaine plus tard, Katarszyna m'attendait avec sa flûte. Nous jouâmes à nouveau, avec un enthousiasme plus que partagé. La semaine suivante, la belle ne vint pas. Ma déception confinant au chagrin, j'étais en train de tomber amoureux. Clémence avait compris avant moi ce qui se tramait et me réconforta. Elle était sûre que ma jolie Polonaise reviendrait, ne serait-ce que pour partager la manche. Notre duo improbable rencontrait un vif succès et les voyageurs se montraient particulièrement généreux.
De fait, Katarszyna réapparut quinze jours plus tard. Nous jouâmes le même répertoire de standards festifs et entraînants. Morceau après morceau, je sentis une lueur d'intérêt croître dans son regard. Ainsi en alla-t-il les semaines suivantes. Clémence était ravie d'être témoin de nos amours naissantes. Peu à peu, je lisais du désir dans les yeux de Katarszyna. Suivant le conseil de Clémence, je me suis gardé d'être entreprenant pour lui laisser l'initiative. Bonne pioche. À la fin d'un concert, Katarszyna m'embrassa à bouche que veux-tu. À bout de souffle, elle me lança un « Moi, banlieue, RER A » tout à fait explicite. Trop heureux de son invitation, je la suivis sans hésiter.
Dans le métro, Katarszyna se blottit contre moi sans équivoque. Désirs au diapason, nos impatiences devenaient voyantes. Comme prévu, nous changeâmes à Auber, direction Saint-Germain-en-Laye. Main dans la main, nous attendions le RER A comme Amour. Nous prîmes le premier train qui passait.
En rentrant chez moi, je n'étais pas peu fier de porter les dix-sept kilos de cuivre de l'hélicon sur mes épaules. Instrument d'exception, c'était un modèle impérial avec un grand pavillon démontable tourné vers le public. J'avais hâte de l'essayer. Arrivé chez moi, je me suis vite installé et j'ai attaqué. Les premières notes que j'ai sorties ont fait trembler les murs. J'ai eu beau essayer de souffler doucement, l'hélicon s'obstinait à jouer les cornes de brume. Un troisième essai acheva de me convaincre. Je ne pourrais pas répéter chez moi. Pour avoir vu jouer des jazz-bands sous la grande voûte de la station Auber du RER A, me vint alors l'idée d'aller répéter dans le métro.
Le lendemain matin, je débarquais station Boucicaut instrument sur l'épaule. Peu après avoir emménagé dans le quartier, j'avais sympathisé avec Clémence, la marchande de journaux, une petite dame pimpante toujours bien soignée, une poupée dans un écrin de unes tapageuses. Chaque jour, nous échangions quelques mots, parfois davantage quand elle avait du vague à l'âme. À travailler en sous-sol à la lumière laiteuse des néons, qui ne finirait pas par avoir le blues ?
Quand je fis part de mon idée à Clémence, elle battit des mains comme une enfant devant une pochette surprise. Sous son regard bienveillant, je m'installai devant le mur sur lequel les voyageurs butent avant de prendre les escaliers qui donnent accès aux quais. Les voûtes carrelées du métro encaissaient les graves de l'hélicon sans broncher. Pour me faire les lèvres, j'ai passé cette première répétition à filer des sons. Certains voyageurs croyaient à un gag et riaient de bon cœur. L'un d'eux voulut me gratifier d'une piécette. Je dus lui expliquer que je ne faisais pas la manche mais que je venais travailler mon instrument. Le bougre crut que ça faisait partie de mon numéro et repartit en riant de plus belle. Clémence, qui avait assisté à la scène, vint déposer une coupelle à mes pieds. Après tout, si des gens voulaient donner, pourquoi les éconduire ?
C'est ainsi que j'ai appris à jouer de l'hélicon. Je descendais répéter une heure ou deux en fin de matinée trois ou quatre fois par semaine mais sans calendrier ni horaires fixes. Seule Clémence connaissait mon programme. À ce rythme, je fis rapidement des progrès. En deux mois, au grand soulagement des copains, j'étais devenu un tubiste acceptable. Cerise sur le pupitre, le produit de la manche était régulier et appréciable, de quoi m'offrir un peu de superflu.
Un semestre plus tard, jouer de l'hélicon dans le métro tournait à la routine quand survint un événement inattendu en la personne de Katarszyna, une flûtiste polonaise. J'étais en train d'enfiler une série d'anatoles lorsque j'entendis le son d'une flûte traversière se caler sur ce rythme et attaquer « La mer » de Charles Trénet. Elle la jouait en fa. Je l'ai suivie pour mieux la précéder. Je ne savais pas qui j'accompagnais car l'interprète se cachait. Je ne voyais que Clémence qui riait sous cape. Le morceau fini, Katarszyna apparut. Grande blonde à queue de cheval, elle avait un joli visage illuminé par de grands yeux pervenche. J'essayai d'engager la conversation, en vain. Ne parlant pas un mot de français ou presque, elle ânonna d'une voix rauque : « Moi, Katarszyna, Pologne ». Alors j'ai lancé une polka qu'elle saisit au vol. Ensuite, c'est elle qui attaqua une marche turque sur laquelle j'embrayai comme je pus. Alignant les tubes de la variété internationale, il nous fallait quelques mesures pour nous accorder mais ça finissait toujours par sonner juste et bien. Une dizaine de morceaux plus tard, Katarszyna rangea son instrument. « Moi, banlieue, RER A » s'excusa-t-elle, un baiser soufflé sur sa main en guise d'adieu.
Je ne pensais pas la revoir mais, une semaine plus tard, Katarszyna m'attendait avec sa flûte. Nous jouâmes à nouveau, avec un enthousiasme plus que partagé. La semaine suivante, la belle ne vint pas. Ma déception confinant au chagrin, j'étais en train de tomber amoureux. Clémence avait compris avant moi ce qui se tramait et me réconforta. Elle était sûre que ma jolie Polonaise reviendrait, ne serait-ce que pour partager la manche. Notre duo improbable rencontrait un vif succès et les voyageurs se montraient particulièrement généreux.
De fait, Katarszyna réapparut quinze jours plus tard. Nous jouâmes le même répertoire de standards festifs et entraînants. Morceau après morceau, je sentis une lueur d'intérêt croître dans son regard. Ainsi en alla-t-il les semaines suivantes. Clémence était ravie d'être témoin de nos amours naissantes. Peu à peu, je lisais du désir dans les yeux de Katarszyna. Suivant le conseil de Clémence, je me suis gardé d'être entreprenant pour lui laisser l'initiative. Bonne pioche. À la fin d'un concert, Katarszyna m'embrassa à bouche que veux-tu. À bout de souffle, elle me lança un « Moi, banlieue, RER A » tout à fait explicite. Trop heureux de son invitation, je la suivis sans hésiter.
Dans le métro, Katarszyna se blottit contre moi sans équivoque. Désirs au diapason, nos impatiences devenaient voyantes. Comme prévu, nous changeâmes à Auber, direction Saint-Germain-en-Laye. Main dans la main, nous attendions le RER A comme Amour. Nous prîmes le premier train qui passait.
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