La fête battait son plein. Les êtres humains pullulant autour de moi au rythme de la musique, la maison de Mathilde croulait sous une chaleur telle qu’elle m’aspirait peu à peu. En dépit de ma totale sobriété, je me sentais ivre. Presque déshumanisée et définitivement étourdie, quelqu'un me ramena brusquement à la réalité :
« Alors ?
- Comment ?
- Tu ne m’écoutes pas en fait.
- Désolée la chaleur me déconcentre.
- T'as chaud ? Pourtant tu n’es pas très couverte » me fit remarquer mon interlocuteur avant de me prodiguer un clin d’œil – pensant sûrement me flatter – en enchaînant :
« Action ou vérité ?
- Vérité »
Tristan se greffa à notre discussion :
« Tu choisis toujours vérité. C’est pas drôle. Change un peu !
- Je n’en ai peut-être pas envie.
- T’as peut-être peur surtout. Chochotte va.
- Ok. Action.
- Je savais que tu marcherais à la provocation, et si on faisait un pari ?
- Un pari ?
- Je parie que t’es pas capable de sortir de ta zone de confort.
- Sortir de ma zone de confort ?
- Fais quelque chose que tu n’as jamais fait.
- Comme quoi ?
- Entraînes-toi avec les fous furieux du club de MMA, m’assénât-il d’un air empestant l’autosatisfaction.
- Ok. » lui répondis-je pleine d’insolence.
De nos mains, nous scellions notre accord. Mi- grisée, mi- inconsciente, je ne savais pas encore dans quoi je m’embarquai.
***
J'aurai voulu être seule mais je ne l’étais pas du tout. Au contraire, se mouvait dans la pièce une quinzaine d’entités, tous de Venum vêtus, aux regards trahissant tantôt de la fierté, tantôt du mépris, tantôt de l’excitation. A la manière d’un observateur animalier, je remarquai rapidement qu’ils tenaient plus du mercenaire que de l’étudiant lambda accro aux cafés et aux pauses clopes. Pour autant, moi-même je ne rentrais pas dans cette catégorie. Face à ces conclusions internes, je décidai de ne pas me fier à mes préjugés et de rester moi-même – ce qui revenait à agir comme une fille associable et pas spécialement fan d’autrui. Par ailleurs, je constatai que j’étais le seul individu de sexe féminin. Au début un peu mal à l’aise, je décidai de ne pas trop me faire remarquer et de ne pas m’imposer. Se fondre dans la masse, en silence, étant le choix de la sécurité.
Au bout de quelques minutes, je m’interrogeai sur moi-même. Plus précisément, sur un éventuel pouvoir magique me donnant la faculté de devenir invisible. Etais-je enfin devenue un super-héros ? Allais-je arrêter la fac pour sauver le monde ? Rien n’était moins sûr. Je me surpris même à me pincer le bras pour vérifier que la situation était réelle. J’étais fuie comme la peste, personne ne voulait se mettre en binôme avec une fille. Lors du premier, du deuxième et même du troisième exercice, je ne le pris pas personnellement. C’est lorsque je finis par percevoir un subtil mélange de gêne et de pitié dans le regard de l’entraîneur, que je compris que mon intégration dans l’équipe s’avèrerait laborieuse. Il dû même m’affecter des partenaires. Je me sentais aussi désirée qu’un spam dans une boîte mail. J’étais de trop.
Mais je ne comptais pas m’avouer vaincue.
***
Les entraînements s’enchaînaient, les bleus s’accumulaient et les gants de boxe s’effritaient à vue d’œil. La routine suivait son cours. Il fallait laisser ses peurs au vestiaire pour mieux encaisser les coups, le tout armée de son plus beau courage.
Ce qui était au départ un pari s’était transformé en passion. Je me sentais vivante pour la première fois depuis longtemps. J’étais moi-même. Néanmoins, à la fin d’un cours, le fragment d’une discussion parvint à mes oreilles. Une voix émanant du vestiaire des hommes proliférait des insultes à mon égard.
Cela n’a pas manqué, je déboulais en furie à l’intérieur. Je me mis à applaudir avant de m’exprimer, d’un calme olympien :
« Bravo. C’est très courageux de parler dans mon dos.
- Tu cherches la bagarre ?
- Quand tu veux.
- Tu sais même pas te battre. T’as aucune force et t’y connais rien. Retourne faire des photos Instagram au Starbucks avec tes copines.
- Ne me sous-estime pas. Tu pourrais être surpris, crois-moi.
- T’es pas crédible. T’es minuscule. Au premier coup tu vas pleurer.
- Moins de bla-bla, plus d’action.
- Tu veux de l’action ? Dessape-toi. Ça tu sais faire j’imagine.
- T’essaie de gagner du temps ? On peut régler ça tout de suite pourtant. A moins que tu aies peur devant les collègues ».
Face aux timides rires que certains laissèrent échapper, il chargea de toutes ses forces vers moi. Le voyant arrivé, je parvins à l’esquiver et me hâta de riposter mais mon coup ne le fit pas fléchir le moins du monde. Au contraire, une avalanche de coups de poings déferla sur moi. Ma garde commençait à faiblir, plusieurs fois mes côtes furent touchées. Dopée par l’adrénaline, je continuais à me tenir droite, pleine de confiance et la rage aux poings. Alors que mon direct droit parvint à se frayer un chemin jusqu’à sa tempe, il ne tarda pas à répondre d’un crochet qui s’échoua sur mon oreille.
Sonnée, ma perception de l’espace était sur le déclin. Et cela ne fit que s’aggraver quand il profita de mon déséquilibre pour me plaquer contre le mur. Ma garde avait pris la fuite. Totalement à découvert, il ne tarda pas à atteindre mon visage. Frustrée par le déséquilibre de nos gabarits et de nos forces, la douleur commençait à monter. En proie au doute, de négatives et sombres pensées jaillirent dans mon fort intérieur. Je me sentais nulle, insignifiante et ridicule. J’étais seule dans un univers d’hommes qui ne m’était pas destiné. Tout laisser penser que je n’avais pas ma place ici. Pour autant, il était hors de question d’étaler le chaos de mes émotions. Ce n’était pas digne d’une femme.
Acculée contre le mur, étouffée, coincée, à l’étroit dans mon propre corps, le vestiaire devint soudain exigu et l’air irrespirable. Les voix de nos camarades me parvinrent en fond. Ils m’intimaient d’abandonner. Mon adversaire se mit à fanfaronner auprès d’eux, cherchant leur approbation. Pour une fois, ce n’était pas l’odeur du vestiaire qui était incommodante, mais celle de ce condensé d’arrogance sur pattes. Une vanité qui lui aura valu un moment d’inattention me permettant de m’approcher suffisamment de lui pour faire une clef de bras avant de le balayer de toutes mes forces. Son corps s’écrasa contre le sol.
La surprise était générale. Un silence balaya la pièce. Des visages fermés accompagnés d’un froid glacial commencèrent à m’encercler. S’en suivi une émulsion d’applaudissements. Alors que les rires se muèrent en moqueries à son encontre, je lui tendis ma main. Pour la première fois, nous nous regardions vraiment. Il l’accepta et je l’aidai à se relever. Cette petite main tendue marquait la première étape de mon intégration au sein de l’équipe.
***
Le lendemain, la soirée venait de commencer. A mesure que je déambulais dans la pièce, mon assurance grandissait. A la manière d’une Miss, j’avais ma propre écharpe. En effet, une écharpe d’immobilisation venait accessoiriser toutes mes tenues depuis mon altercation dans le vestiaire, agrémentée d’une plaie à l’arcade sourcilière des plus clichées. Malgré les regards indiscrets que je m’attirai, je me sentais totalement à l’aise. J’étais fière de mes blessures car elles me ramenaient à mes coéquipiers.
A la recherche de notre hôte, j’avais l’impression de venir chez elle pour la première fois. Or, je ne le savais pas encore, mais ce n’était pas sa maison qui avait changé, c’était moi. Je finis par la repérer au sein d’un petit groupe dont l’énergie qui s’en libérait m’intrigua.
C’est alors que je le vis sans le voir. Il était de dos. Le corps indéchiffrable. Mais, je le reconnus instantanément lorsqu’il s’adressa à Mathilde. Il avait un timbre pourtant si commun, une voix pourtant si banale, une intonation pourtant si ordinaire. Il lui avait suffi de prononcer ces mots pour le rendre dissemblable parmi les Hommes. Les mêmes mots qui m’avaient poussé à me révéler à moi-même. Embrassant la promesse d’un avenir inattendu :
« Et si on faisait un pari ? »
« Alors ?
- Comment ?
- Tu ne m’écoutes pas en fait.
- Désolée la chaleur me déconcentre.
- T'as chaud ? Pourtant tu n’es pas très couverte » me fit remarquer mon interlocuteur avant de me prodiguer un clin d’œil – pensant sûrement me flatter – en enchaînant :
« Action ou vérité ?
- Vérité »
Tristan se greffa à notre discussion :
« Tu choisis toujours vérité. C’est pas drôle. Change un peu !
- Je n’en ai peut-être pas envie.
- T’as peut-être peur surtout. Chochotte va.
- Ok. Action.
- Je savais que tu marcherais à la provocation, et si on faisait un pari ?
- Un pari ?
- Je parie que t’es pas capable de sortir de ta zone de confort.
- Sortir de ma zone de confort ?
- Fais quelque chose que tu n’as jamais fait.
- Comme quoi ?
- Entraînes-toi avec les fous furieux du club de MMA, m’assénât-il d’un air empestant l’autosatisfaction.
- Ok. » lui répondis-je pleine d’insolence.
De nos mains, nous scellions notre accord. Mi- grisée, mi- inconsciente, je ne savais pas encore dans quoi je m’embarquai.
***
J'aurai voulu être seule mais je ne l’étais pas du tout. Au contraire, se mouvait dans la pièce une quinzaine d’entités, tous de Venum vêtus, aux regards trahissant tantôt de la fierté, tantôt du mépris, tantôt de l’excitation. A la manière d’un observateur animalier, je remarquai rapidement qu’ils tenaient plus du mercenaire que de l’étudiant lambda accro aux cafés et aux pauses clopes. Pour autant, moi-même je ne rentrais pas dans cette catégorie. Face à ces conclusions internes, je décidai de ne pas me fier à mes préjugés et de rester moi-même – ce qui revenait à agir comme une fille associable et pas spécialement fan d’autrui. Par ailleurs, je constatai que j’étais le seul individu de sexe féminin. Au début un peu mal à l’aise, je décidai de ne pas trop me faire remarquer et de ne pas m’imposer. Se fondre dans la masse, en silence, étant le choix de la sécurité.
Au bout de quelques minutes, je m’interrogeai sur moi-même. Plus précisément, sur un éventuel pouvoir magique me donnant la faculté de devenir invisible. Etais-je enfin devenue un super-héros ? Allais-je arrêter la fac pour sauver le monde ? Rien n’était moins sûr. Je me surpris même à me pincer le bras pour vérifier que la situation était réelle. J’étais fuie comme la peste, personne ne voulait se mettre en binôme avec une fille. Lors du premier, du deuxième et même du troisième exercice, je ne le pris pas personnellement. C’est lorsque je finis par percevoir un subtil mélange de gêne et de pitié dans le regard de l’entraîneur, que je compris que mon intégration dans l’équipe s’avèrerait laborieuse. Il dû même m’affecter des partenaires. Je me sentais aussi désirée qu’un spam dans une boîte mail. J’étais de trop.
Mais je ne comptais pas m’avouer vaincue.
***
Les entraînements s’enchaînaient, les bleus s’accumulaient et les gants de boxe s’effritaient à vue d’œil. La routine suivait son cours. Il fallait laisser ses peurs au vestiaire pour mieux encaisser les coups, le tout armée de son plus beau courage.
Ce qui était au départ un pari s’était transformé en passion. Je me sentais vivante pour la première fois depuis longtemps. J’étais moi-même. Néanmoins, à la fin d’un cours, le fragment d’une discussion parvint à mes oreilles. Une voix émanant du vestiaire des hommes proliférait des insultes à mon égard.
Cela n’a pas manqué, je déboulais en furie à l’intérieur. Je me mis à applaudir avant de m’exprimer, d’un calme olympien :
« Bravo. C’est très courageux de parler dans mon dos.
- Tu cherches la bagarre ?
- Quand tu veux.
- Tu sais même pas te battre. T’as aucune force et t’y connais rien. Retourne faire des photos Instagram au Starbucks avec tes copines.
- Ne me sous-estime pas. Tu pourrais être surpris, crois-moi.
- T’es pas crédible. T’es minuscule. Au premier coup tu vas pleurer.
- Moins de bla-bla, plus d’action.
- Tu veux de l’action ? Dessape-toi. Ça tu sais faire j’imagine.
- T’essaie de gagner du temps ? On peut régler ça tout de suite pourtant. A moins que tu aies peur devant les collègues ».
Face aux timides rires que certains laissèrent échapper, il chargea de toutes ses forces vers moi. Le voyant arrivé, je parvins à l’esquiver et me hâta de riposter mais mon coup ne le fit pas fléchir le moins du monde. Au contraire, une avalanche de coups de poings déferla sur moi. Ma garde commençait à faiblir, plusieurs fois mes côtes furent touchées. Dopée par l’adrénaline, je continuais à me tenir droite, pleine de confiance et la rage aux poings. Alors que mon direct droit parvint à se frayer un chemin jusqu’à sa tempe, il ne tarda pas à répondre d’un crochet qui s’échoua sur mon oreille.
Sonnée, ma perception de l’espace était sur le déclin. Et cela ne fit que s’aggraver quand il profita de mon déséquilibre pour me plaquer contre le mur. Ma garde avait pris la fuite. Totalement à découvert, il ne tarda pas à atteindre mon visage. Frustrée par le déséquilibre de nos gabarits et de nos forces, la douleur commençait à monter. En proie au doute, de négatives et sombres pensées jaillirent dans mon fort intérieur. Je me sentais nulle, insignifiante et ridicule. J’étais seule dans un univers d’hommes qui ne m’était pas destiné. Tout laisser penser que je n’avais pas ma place ici. Pour autant, il était hors de question d’étaler le chaos de mes émotions. Ce n’était pas digne d’une femme.
Acculée contre le mur, étouffée, coincée, à l’étroit dans mon propre corps, le vestiaire devint soudain exigu et l’air irrespirable. Les voix de nos camarades me parvinrent en fond. Ils m’intimaient d’abandonner. Mon adversaire se mit à fanfaronner auprès d’eux, cherchant leur approbation. Pour une fois, ce n’était pas l’odeur du vestiaire qui était incommodante, mais celle de ce condensé d’arrogance sur pattes. Une vanité qui lui aura valu un moment d’inattention me permettant de m’approcher suffisamment de lui pour faire une clef de bras avant de le balayer de toutes mes forces. Son corps s’écrasa contre le sol.
La surprise était générale. Un silence balaya la pièce. Des visages fermés accompagnés d’un froid glacial commencèrent à m’encercler. S’en suivi une émulsion d’applaudissements. Alors que les rires se muèrent en moqueries à son encontre, je lui tendis ma main. Pour la première fois, nous nous regardions vraiment. Il l’accepta et je l’aidai à se relever. Cette petite main tendue marquait la première étape de mon intégration au sein de l’équipe.
***
Le lendemain, la soirée venait de commencer. A mesure que je déambulais dans la pièce, mon assurance grandissait. A la manière d’une Miss, j’avais ma propre écharpe. En effet, une écharpe d’immobilisation venait accessoiriser toutes mes tenues depuis mon altercation dans le vestiaire, agrémentée d’une plaie à l’arcade sourcilière des plus clichées. Malgré les regards indiscrets que je m’attirai, je me sentais totalement à l’aise. J’étais fière de mes blessures car elles me ramenaient à mes coéquipiers.
A la recherche de notre hôte, j’avais l’impression de venir chez elle pour la première fois. Or, je ne le savais pas encore, mais ce n’était pas sa maison qui avait changé, c’était moi. Je finis par la repérer au sein d’un petit groupe dont l’énergie qui s’en libérait m’intrigua.
C’est alors que je le vis sans le voir. Il était de dos. Le corps indéchiffrable. Mais, je le reconnus instantanément lorsqu’il s’adressa à Mathilde. Il avait un timbre pourtant si commun, une voix pourtant si banale, une intonation pourtant si ordinaire. Il lui avait suffi de prononcer ces mots pour le rendre dissemblable parmi les Hommes. Les mêmes mots qui m’avaient poussé à me révéler à moi-même. Embrassant la promesse d’un avenir inattendu :
« Et si on faisait un pari ? »