« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appelerai pas maître.
Les poings serrés et la mâchoire contractée,Moussa bouillonnait de colère. Ses yeux lançaient des éclairs et il était à deux doigts de péter un câble.
Déterminée à ne pas flancher,Mackah ne cilla pas. Les sourcils froncés de colère et de dégoût mêlés, elle garda son regard ancré dans celui de l'homme qui n'avait de cesse de lui en faire voir de toutes les couleurs pour des raisons sans queue ni tête.
La jeune femme était prête à tout encaisser avec impassibilité,mais l'appeler maître ? Il en était hors de question.
À bout de nerfs,le quadragénaire leva la main et, sans crier gare,lui assena une gifle tellement forte qu'elle en eut le vertige.
Mackah ne broncha pas. C'était la première fois qu'il levait la main sur elle,mais elle s'y était préparée.
Son bourreau n'allait pas s'en tenir à une seule gifle, elle en avait conscience,mais ne faisait pas mine de vouloir se dérober. Elle était en proie à un flot de sentiments négatifs, mais elle tint bon et, sans piper mot, s'efforça de fixer celui qui avait la prétention d'être un homme avec la plus grande indifférence. Mais intérieurement, Mackah avait mal, comme si quelqu'un étouffait sous sa pompe la flamme de ses espoirs jusqu'à la moindre braise.
Moussa,son mari, venait de franchir la ligne rouge».
Elle se réveilla en sursaut,la sueur coulant le long de ses tempes.
Mackah avait l'impression de revivre le cauchemar alors qu'une grosse migraine pointait le bout de son nez. La jeune femme aux traits tirés par la fatigue ferma les yeux, essayant de reprendre son souffle. À son grand dam,les images ne mirent pas longtemps à se bousculer dans sa tête alors elle se leva brusquement, paniquée,et laissa ses pas la guider vers la fenêtre qu'elle entrouvrit. Une légère brise vint embrasser sa peau et lentement,les battements de son cœur reprirent un rythme régulier.
Mackah se sentait vide et épuisée. Des larmes silencieuses dévalaient ses joues. Ses cauchemars étaient toujours là. Ils lui avaient laissé un temps de répit,pour mieux revenir la hanter.
Tiraillée,elle ne put s'empêcher de retourner un an en arrière,au commencement de son calvaire. Ses pensées s'envolèrent vers ce fameux matin où, à ses 18 ans,son oncle paternel lui avait annoncé la terrible nouvelle.
«_Moussa,un très bon ami, veut faire de toi sa deuxième épouse. Et j'ai accepté.
_Quoi ? Mais je ne le connais même pas. Et je n'ai que 18 ans.
_Justement ! Toutes les filles de ton âge sont déjà mariées.
_Et alors ? Je ne le veux pas.
_Ça suffit ! C'est une décision irrévocable».
L'annonce avait eu l'effet d'un coup de massue. Mackah avait tout sauf envie d'embrasser la vie conjugale. Mais son oncle Saïd n'en avait rien à cirer.
Elle n'avait que 8 ans quand ses parents étaient décédés dans un accident de voiture alors qu'ils se rendaient à la capitale tchadienne. Elle fut donc placée sous la responsabilité de Saïd, l'unique frère de son père. Mais,plus les années passaient,plus elle se rendait compte que son oncle et sa femme Zahra ne pouvaient pas la voir en peinture.
Plus d'une fois, l'idée de fuguer avait effleuré l'esprit de l'orpheline. Mais où était-elle censée aller ? Elle avait grandi dans le Tchad profond. Le Kanem était tout ce qu'elle connaissait et elle n'avait que son oncle.
Mackah s'était donc trouvée du jour au lendemain contrainte d'épouser un homme qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Ève. Une partie minime d'elle était soulagée de ne plus avoir à subir les gifles de Saïd et Zahra, mais elle était aussi et surtout triste de devoir vivre avec un parfait inconnu.
Impuissante, Mackah avait décidé tout simplement de s'accommoder à la situation car à la philosophie du verre à moitié vide ou à moitié plein, elle avait toujours préféré s'ouvrir une bonne vieille bouteille d'eau.
Le mariage fut célébré. Tout portait à croire que la jeune mariée allait désormais avoir une vie paisible. Elle ignorait, à ce moment là, que l'enfer venait juste de s'ouvrir sous ses pieds. Comment aurait-elle pu savoir que Moussa n'était qu'un misogyne qui battait Mariam,sa coépouse ?
Quand elle l'avait compris en voyant la lèvre fendue de Mariam,son cœur s'était serré. Toute soumission bridée, elle avait confronté Moussa.
Ce dernier avait bondi sur ses pieds,lui avait ordonné de l'appeler maître et l'avait rouée de coups.
Mackah avait voulu tout dévoiler, mais Mariam lui avait demandé de ne pas vendre la mèche. Cette dernière avait peur pour ses deux filles. Moussa était capable de les blesser.
Alors les deux coépouses avaient épousé le silence,se serraient les coudes et encaissaient.
Laissant échapper un soupir à fendre l'âme,la jeune femme ferma les yeux pour chasser ses démons et retourna sur son lit. Elle voulait parler à Mariam,mais cette dernière dormait probablement à poings fermés.
Éreintée,elle finit par se rendormir,loin de se douter de la tempête qui s'apprêtait à s'abattre sur elle.
Six mois plus tard
Le néon gressilait au dessus de sa tête. Elle le voyait malgré la fatigue qui l'empêchait de garder les yeux ouverts. Lentement,elle tourna la tête.
_Mackah ?
Linterpellée distingua difficilement les traits de sa coépouse. Et quand elle parvint à rencontrer son regard, elle comprit.
La victime réprima un sanglot. Sa plus grande crainte venait de se concrétiser. L'épée de Damoclès venait de lui asséner le coup de grâce : le dernier coup de pied de Moussa avait été particulièrement fort. Elle n'était pas seulement tombée dans les pommes. Elle avait aussi perdu son bébé. Oui, elle était enceinte, mais Moussa l'avait encore battue.
Mackah était abattue. Un étau invisible lui enserra la gorge. L'odeur infecte des médicaments lui donnait envie de gerber.
_Je veux quitter cet hôpital.
_Tu ne peux pas,ma chérie. Tu dois rester sous surveillance.
La voix de Mariam était enrouée. Elle s'efforçait aussi de ravaler ses sanglots.
Les paupières lourdes de Mackah se fermèrent malgré elle. Le néon lâcha soudainement. Et ce fut le noir total.
Alors elle décida de lâcher prise à son tour. À quoi bon lutter ? Elle n'avait plus rien à perdre. Elle allait abandonner son corps avant que lui ne le fasse.
Pour la toute première fois, Mackah accepta de perdre. Pour la toute dernière fois, dans le silence d'une souffrance qui avait toujours été là,les ténèbres s'abattirent. Et elle ferma à jamais les yeux sur son corps affaibli.
Les poings serrés et la mâchoire contractée,Moussa bouillonnait de colère. Ses yeux lançaient des éclairs et il était à deux doigts de péter un câble.
Déterminée à ne pas flancher,Mackah ne cilla pas. Les sourcils froncés de colère et de dégoût mêlés, elle garda son regard ancré dans celui de l'homme qui n'avait de cesse de lui en faire voir de toutes les couleurs pour des raisons sans queue ni tête.
La jeune femme était prête à tout encaisser avec impassibilité,mais l'appeler maître ? Il en était hors de question.
À bout de nerfs,le quadragénaire leva la main et, sans crier gare,lui assena une gifle tellement forte qu'elle en eut le vertige.
Mackah ne broncha pas. C'était la première fois qu'il levait la main sur elle,mais elle s'y était préparée.
Son bourreau n'allait pas s'en tenir à une seule gifle, elle en avait conscience,mais ne faisait pas mine de vouloir se dérober. Elle était en proie à un flot de sentiments négatifs, mais elle tint bon et, sans piper mot, s'efforça de fixer celui qui avait la prétention d'être un homme avec la plus grande indifférence. Mais intérieurement, Mackah avait mal, comme si quelqu'un étouffait sous sa pompe la flamme de ses espoirs jusqu'à la moindre braise.
Moussa,son mari, venait de franchir la ligne rouge».
Elle se réveilla en sursaut,la sueur coulant le long de ses tempes.
Mackah avait l'impression de revivre le cauchemar alors qu'une grosse migraine pointait le bout de son nez. La jeune femme aux traits tirés par la fatigue ferma les yeux, essayant de reprendre son souffle. À son grand dam,les images ne mirent pas longtemps à se bousculer dans sa tête alors elle se leva brusquement, paniquée,et laissa ses pas la guider vers la fenêtre qu'elle entrouvrit. Une légère brise vint embrasser sa peau et lentement,les battements de son cœur reprirent un rythme régulier.
Mackah se sentait vide et épuisée. Des larmes silencieuses dévalaient ses joues. Ses cauchemars étaient toujours là. Ils lui avaient laissé un temps de répit,pour mieux revenir la hanter.
Tiraillée,elle ne put s'empêcher de retourner un an en arrière,au commencement de son calvaire. Ses pensées s'envolèrent vers ce fameux matin où, à ses 18 ans,son oncle paternel lui avait annoncé la terrible nouvelle.
«_Moussa,un très bon ami, veut faire de toi sa deuxième épouse. Et j'ai accepté.
_Quoi ? Mais je ne le connais même pas. Et je n'ai que 18 ans.
_Justement ! Toutes les filles de ton âge sont déjà mariées.
_Et alors ? Je ne le veux pas.
_Ça suffit ! C'est une décision irrévocable».
L'annonce avait eu l'effet d'un coup de massue. Mackah avait tout sauf envie d'embrasser la vie conjugale. Mais son oncle Saïd n'en avait rien à cirer.
Elle n'avait que 8 ans quand ses parents étaient décédés dans un accident de voiture alors qu'ils se rendaient à la capitale tchadienne. Elle fut donc placée sous la responsabilité de Saïd, l'unique frère de son père. Mais,plus les années passaient,plus elle se rendait compte que son oncle et sa femme Zahra ne pouvaient pas la voir en peinture.
Plus d'une fois, l'idée de fuguer avait effleuré l'esprit de l'orpheline. Mais où était-elle censée aller ? Elle avait grandi dans le Tchad profond. Le Kanem était tout ce qu'elle connaissait et elle n'avait que son oncle.
Mackah s'était donc trouvée du jour au lendemain contrainte d'épouser un homme qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Ève. Une partie minime d'elle était soulagée de ne plus avoir à subir les gifles de Saïd et Zahra, mais elle était aussi et surtout triste de devoir vivre avec un parfait inconnu.
Impuissante, Mackah avait décidé tout simplement de s'accommoder à la situation car à la philosophie du verre à moitié vide ou à moitié plein, elle avait toujours préféré s'ouvrir une bonne vieille bouteille d'eau.
Le mariage fut célébré. Tout portait à croire que la jeune mariée allait désormais avoir une vie paisible. Elle ignorait, à ce moment là, que l'enfer venait juste de s'ouvrir sous ses pieds. Comment aurait-elle pu savoir que Moussa n'était qu'un misogyne qui battait Mariam,sa coépouse ?
Quand elle l'avait compris en voyant la lèvre fendue de Mariam,son cœur s'était serré. Toute soumission bridée, elle avait confronté Moussa.
Ce dernier avait bondi sur ses pieds,lui avait ordonné de l'appeler maître et l'avait rouée de coups.
Mackah avait voulu tout dévoiler, mais Mariam lui avait demandé de ne pas vendre la mèche. Cette dernière avait peur pour ses deux filles. Moussa était capable de les blesser.
Alors les deux coépouses avaient épousé le silence,se serraient les coudes et encaissaient.
Laissant échapper un soupir à fendre l'âme,la jeune femme ferma les yeux pour chasser ses démons et retourna sur son lit. Elle voulait parler à Mariam,mais cette dernière dormait probablement à poings fermés.
Éreintée,elle finit par se rendormir,loin de se douter de la tempête qui s'apprêtait à s'abattre sur elle.
Six mois plus tard
Le néon gressilait au dessus de sa tête. Elle le voyait malgré la fatigue qui l'empêchait de garder les yeux ouverts. Lentement,elle tourna la tête.
_Mackah ?
Linterpellée distingua difficilement les traits de sa coépouse. Et quand elle parvint à rencontrer son regard, elle comprit.
La victime réprima un sanglot. Sa plus grande crainte venait de se concrétiser. L'épée de Damoclès venait de lui asséner le coup de grâce : le dernier coup de pied de Moussa avait été particulièrement fort. Elle n'était pas seulement tombée dans les pommes. Elle avait aussi perdu son bébé. Oui, elle était enceinte, mais Moussa l'avait encore battue.
Mackah était abattue. Un étau invisible lui enserra la gorge. L'odeur infecte des médicaments lui donnait envie de gerber.
_Je veux quitter cet hôpital.
_Tu ne peux pas,ma chérie. Tu dois rester sous surveillance.
La voix de Mariam était enrouée. Elle s'efforçait aussi de ravaler ses sanglots.
Les paupières lourdes de Mackah se fermèrent malgré elle. Le néon lâcha soudainement. Et ce fut le noir total.
Alors elle décida de lâcher prise à son tour. À quoi bon lutter ? Elle n'avait plus rien à perdre. Elle allait abandonner son corps avant que lui ne le fasse.
Pour la toute première fois, Mackah accepta de perdre. Pour la toute dernière fois, dans le silence d'une souffrance qui avait toujours été là,les ténèbres s'abattirent. Et elle ferma à jamais les yeux sur son corps affaibli.