Daniel, est né le lendemain de mes vingt-et-un ans.
La tranchée dans laquelle son père se battait s'est transformée en tombe au passage d'un obus le 1er avril 1917, année terrible de la Grande Guerre.
Mon pauvre Marcel ne saura jamais que notre fils a, en plus de ses yeux, le même caractère que lui.
J'ai prié pour que le Commandant du bureau de recrutement nous oublie. Je me suis crue exaucée à la signature du pacte de non-agression. Court fut notre répit car le funeste fascicule de mobilisation nous est parvenu aujourd'hui.
Il y a une semaine de cela, Daniel m'a longuement parlé de ses convictions et de sa décision de ne pas coopérer. Oui, cela fait une semaine maintenant qu'il a rassemblé ses maigres affaires et s'en est allé. Mon fils unique est officiellement un déserteur et je suis sa complice.
Nous sommes convenus qu'il ne cherchera à me contacter sous aucun prétexte tant que la guerre ne sera pas terminée. Quant à moi, je ne saurai pas où il se cache. Je lui ai simplement recommandé d'aller le plus loin possible, sous-entendu, à l'étranger. Il ne m'a pas dit quel jour il partirait, il a décidé de disparaître sans un adieu, au milieu de la nuit. C'est mieux ainsi.
La fenêtre de sa chambre est restée ouverte. Je l'imagine descendre le long du bouleau où le vent murmure les secrets de ce vieil ami qui l'a aidé dans sa fuite. J'ai trouvé une enveloppe sur la table de la cuisine. Les quelques lignes écrites au crayon à papier noircissent dans l'évier. J'y ai mis le feu après avoir appris ses derniers mots par cœur. Chaque soir je les récite au pied de mon lit, les mains jointes, à genoux, comme une prière qui nous unit.
J'ai tout de suite su ce qu'il me restait à faire pour qu'il ne soit pas inquiété : je vais prendre sa place. A la guerre comme à la guerre. Je dirai aux voisins que je rejoins le Service de santé des armées, en tant qu'infirmière.
J'ai eu beau raser mes longs cheveux et perdre du poids, le Commandant du bureau de recrutement n'est pas dupe. Il m'a confié que je n'étais pas la seule dans ce cas. Au début de sa carrière, il dénonçait sans vergogne. Jusqu'à ce qu'il soit personnellement concerné. Il n'a pas voulu m'en dire plus mais j'ai lu de la compassion et de l'admiration dans son regard. A-t-il perdu un enfant ? A-t-il songé lui-même à déserter ? Pourquoi a-t-il l'air si triste ?
Il s'appelle Jean-Louis, il doit avoir quarante-cinq ans. Il m'a dit qu'il ne pourrait pas faire de miracle, ce à quoi j'ai répondu que le peu qu'il a déjà fait est amplement suffisant. Tout ce qui m'importe c'est que Daniel vive à l'abri de la mitraille. A la fin de notre entrevue, il m'a recommandé de repartir en baissant la tête et de marcher d'un pas lourd et assuré.
La peur chevillée au corps, nous sommes dopés à l'adrénaline, un peu hors de nous, hors du temps. L'entrevue avec Jean-Louis était une étape cruciale. Les autres se fichent magistralement que je sois une femme : « On ne remet pas en question l'autorité, on a d'autres chats à fouetter ». Mais ils me protègent je le sens, et je leur en serai toujours reconnaissante. De la chair à canon, voilà ce que nous sommes.
Mon cœur bat fort. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante qu'au péril de ma vie. Je marche dans les pas de mon Marcel. Au loin j'entends sa voix qui m'appelle et j'aperçois Daniel qui me sourit.
La tranchée dans laquelle son père se battait s'est transformée en tombe au passage d'un obus le 1er avril 1917, année terrible de la Grande Guerre.
Mon pauvre Marcel ne saura jamais que notre fils a, en plus de ses yeux, le même caractère que lui.
J'ai prié pour que le Commandant du bureau de recrutement nous oublie. Je me suis crue exaucée à la signature du pacte de non-agression. Court fut notre répit car le funeste fascicule de mobilisation nous est parvenu aujourd'hui.
Il y a une semaine de cela, Daniel m'a longuement parlé de ses convictions et de sa décision de ne pas coopérer. Oui, cela fait une semaine maintenant qu'il a rassemblé ses maigres affaires et s'en est allé. Mon fils unique est officiellement un déserteur et je suis sa complice.
Nous sommes convenus qu'il ne cherchera à me contacter sous aucun prétexte tant que la guerre ne sera pas terminée. Quant à moi, je ne saurai pas où il se cache. Je lui ai simplement recommandé d'aller le plus loin possible, sous-entendu, à l'étranger. Il ne m'a pas dit quel jour il partirait, il a décidé de disparaître sans un adieu, au milieu de la nuit. C'est mieux ainsi.
La fenêtre de sa chambre est restée ouverte. Je l'imagine descendre le long du bouleau où le vent murmure les secrets de ce vieil ami qui l'a aidé dans sa fuite. J'ai trouvé une enveloppe sur la table de la cuisine. Les quelques lignes écrites au crayon à papier noircissent dans l'évier. J'y ai mis le feu après avoir appris ses derniers mots par cœur. Chaque soir je les récite au pied de mon lit, les mains jointes, à genoux, comme une prière qui nous unit.
J'ai tout de suite su ce qu'il me restait à faire pour qu'il ne soit pas inquiété : je vais prendre sa place. A la guerre comme à la guerre. Je dirai aux voisins que je rejoins le Service de santé des armées, en tant qu'infirmière.
J'ai eu beau raser mes longs cheveux et perdre du poids, le Commandant du bureau de recrutement n'est pas dupe. Il m'a confié que je n'étais pas la seule dans ce cas. Au début de sa carrière, il dénonçait sans vergogne. Jusqu'à ce qu'il soit personnellement concerné. Il n'a pas voulu m'en dire plus mais j'ai lu de la compassion et de l'admiration dans son regard. A-t-il perdu un enfant ? A-t-il songé lui-même à déserter ? Pourquoi a-t-il l'air si triste ?
Il s'appelle Jean-Louis, il doit avoir quarante-cinq ans. Il m'a dit qu'il ne pourrait pas faire de miracle, ce à quoi j'ai répondu que le peu qu'il a déjà fait est amplement suffisant. Tout ce qui m'importe c'est que Daniel vive à l'abri de la mitraille. A la fin de notre entrevue, il m'a recommandé de repartir en baissant la tête et de marcher d'un pas lourd et assuré.
La peur chevillée au corps, nous sommes dopés à l'adrénaline, un peu hors de nous, hors du temps. L'entrevue avec Jean-Louis était une étape cruciale. Les autres se fichent magistralement que je sois une femme : « On ne remet pas en question l'autorité, on a d'autres chats à fouetter ». Mais ils me protègent je le sens, et je leur en serai toujours reconnaissante. De la chair à canon, voilà ce que nous sommes.
Mon cœur bat fort. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante qu'au péril de ma vie. Je marche dans les pas de mon Marcel. Au loin j'entends sa voix qui m'appelle et j'aperçois Daniel qui me sourit.