À bon entendeur, salut !
Toute histoire commence un jour, quelque part dans un coin du monde. Chaque vie est une histoire à conter. Depuis la nuit des temps, on n'a jamais cessé de faire le récit de nos histoires. L'histoire, c'est ce que nous partageons tous. Nos récits, nos silences ça raconte une histoire. Bref, la vie est un ensemble d'histoires qui commencent un jour et bien quelque part.
La mienne le fut aussi mais j'ignore quand et où cela avait commencé si bien que je préfère faire mon récit à partir de nulle part. Tout ce que je sais, je ne dors pas la nuit. Les réveils matinaux, un travail régulier, ce n'était pas mon truc. Je dors tranquillement tous les matins surtout après l’université, peu ceux qui s'en sortent directement avec un job. Lorsque j’ai eu ma licence, j'ai rejoint les faiseurs de n'importe quoi. Moi petit débrouillard qui traine dans la nuit; moi qui avais cru mourir dans l'ombre, j’ai retrouvé l'équilibre au cœur de la cité et j'y suis bien dans mon élément: un dealeur ne dort jamais la nuit, un dealeur est insomniaque.
Et je bosse quand l'aurore gagne la cité. J'adore ce temps de vocation pour ceux dont la vie les oblige à fuir leurs abris me hantant sans relâche et quand le soleil s'abrite derrière les immeubles de la zone industrielle, je ferme mon petit studio, je mets la clé sous le tapis de l'entrée, j'enfile mon manteau, mes Rays-bans et je les accueille dans mon royaume comme un duc; jeunes comme vieillards, je leur serre la main dans l'anonymat et ils obtiennent ma bénédiction. Les insomniaques, les mal en point, les fantômes de la nuit, les sans-abris... je leur offrais tout ce qu'ils désiraient, tout ce que la vie leur a volés; la paix et l'esprit tranquille.
Je me souviens encore de ces heures assez ennuyeuses dans la journée. Tout le temps, il n'y avait rien à foutre et pour tuer le temps, je me suis fait un métier malgré la pluie qui coule droit sur ma tête par-dessus les toits. J'ai erré comme un chien dans ces rues marécageuses, les vêtements trempés. Et malgré le mauvais temps et tous ces chiens de voleurs et de pervers qui me hantaient davantage, la rue m'a enfin approuvé et guidé vers ma vocation, celle que j'avais choisie quand je marchais à quatre pattes; quand j'avais ému mon père qui voulait que je suive son chemin: avocat, juge d'instruction puis président du tribunal. Ma mère, elle aussi, aurait tant voulu que je devienne comme son père, un homme du vieux temps qui se réjouit de passer toute sa journée à raconter des fables et éduquer les enfants grâce à cette tradition de palabre qu'il avait héritée de ses parents les griots, les raconteurs de l'histoire des peuples d'Afrique. Depuis que je marchais à quatre pattes, je n'aimais pas ces palabres de mon grand-père, ni tous ces gens qui travaillaient sous l'autorité de mon père. Je ne jouais pas avec ces jouets jetés aux quatre coins dans ma chambre et ce débile SpongeBob, ficelé par-dessus mon lit. Je jouais à la terrasse et ramassais clous et mégots de cigarettes: << Un enfant est guidé par son premier objet, s'il le saisit, il le devient. >> disait mon père.
Et mon père avait eu raison.
Plus tard, quand nous nous sommes installés en ville, là où j'avais vécu toute mon enfance, je faisais avec mes potes du quartier des navettes de rue en rue, d'usine en usine, nos têtes pelées de chaleur sous ce soleil de midi, faufilant comme des éboueurs à la recherche des bidons et des boites de conserve. On fouillait dans les gardes-poubelles pour ramasser briqués usés et fils métalliques; ça rapportait beaucoup de sous. Je me souviens quand je sortais le matin et je ne rentrais que le soir. Gueulades et soufflets m'accueillirent derrière la porte de chez moi, rares furent les câlins et les étreintes. A l'école, les enfants venant du centre-ville ne nous approchèrent jamais parce que nous les enfants de ce quartier de la zone industrielle, nous étions ridicules: Les sentinelles étaient fatigués de nous punir parce qu'on n'hésitait pas à pisser sur les quatre murs de l'école; les maitres aussi étaient fatigués de nous faire recopier cent fois la leçon parce qu'on venait toujours en classe sans crayons; nos mamans en avaient marre aussi de laver tous les jours nos uniformes sales comme la barbe d'un bouc. On nous chassait de l'école, on passait le matin dans la rue; on nous chassait de la maison, on passait la journée dans la rue. La rue a toujours été notre forteresse, la poubelle notre richesse.
Au début, tout a commencé par un visage qui s'était introduit dans ma tête. Un visage avec des différentes facettes qui faisait un monologue dans une langue étrange que je comprenais. Mais comment peut-on comprendre une langue qui n'est pas sa langue maternelle, ni une autre version d'arabe dialectal ou une langue étrangère comme l'anglais, le français, le portugais, l'espagnol, l'allemand ou le chinois? Je connais un peu dans toutes ces langues étrangères-là et aussi des gens de différents horizons grâce à Facebook, personne ne connait, ni a entendu une langue pareille. Mais comment cela était-il possible? Comment peut-on tout apprendre du jour au lendemain: langage articulé, mimique, musique...? Ça serait de la folie pour le prouver, de la superstition pour l'admettre. Scientifiques et psychanalystes diront encore des hallucinations. Même l'Afrique, le seul et unique continent connaisseur des puzzles où des experts réservent des cultes pour traiter mystère; des marabouts qui savent éradiquer sorcellerie à l'aides des vieilleries ou des sourates du Coran ne se réjouiront jamais de ce que j'irai leur raconter. D'ailleurs, les gens de chez nous véhiculaient des anecdotes de tout genre. On m'a évoqué qu’il s'agissait d'une opération maléfique. Ça m'a fait penser aux ennemis de mon père, ceux qui lui en voulaient à cause de son métier qui lui faisait créditer des voitures toutes neuves. Les mêmes raisons qui ont été derrière son divorce avec ma mère, je me suis demandé s'ils pourraient autant fabriquer quelque chose pour moi qui puisse me faire perdre la tête. Moi aussi j'avais des ennemis, des gens à qui j'aurais fait du mal sans le savoir et qui auraient fini par se rendre chez le féticheur, me filer un mauvais coton. Oui, c'était fort probable qu'un de mes clients- d'ailleurs y en avait un- parce qu'il pensait que je ne suis pas doué pour le métier. Ce mec-là était mon distributeur. On a fait connaissance à la veille de Noël il y a trois ans ensuite on s'est mis dans les affaires. Donc, s'il y a quelqu'un dans le monde qui m'en voulait par jalousie, ça serait lui sans doute. Mais je le doute parce qu'il a renoncé par accident, un accident qui lui a valu la peine de vie en prison parce qu'il avait tenté d'égorger sa mère; parce qu'il avait entendu quelqu'un chuchoter la sortie très tardive de sa mère au milieu de la nuit; parce que sa maman faisait le bordel dehors: à chacun suffit sa peine.
Le visage que je voyais était constitué d’un amalgame d'objets assemblés pour des raisons que j'ignore: une kippa à la tête, un durillon noir sur le front, signe de prière reconnu aux musulmans, un chapelet et un crucifix attachés au cou derrière lequel il y avait une statue de bouddha. Il n'était pas humain, rien qu’une lumière qui prend cette forme de visage, le front tourné vers l'horizon. On pourrait directement deviner ça comme un culte qui s'éveille dans toutes les mosquées, les églises, les synagogues, les temples et les pagodes du monde.
Et les gens ont commencé à s'affluer de toute part: musulmans, chrétiens, juifs, hindous, bouddhistes débarquèrent en grand nombre dans le lieu: Les musulmans, récitèrent la chahada; les chrétiens faisaient pareil avec des textes évangéliques. Les juifs avec leurs rabbins, les hindous et bouddhistes avec leurs moines. Tout le monde acclamait le seigneur dans une atmosphère où le nom d'Allah, Dieu, Yahvé, et Bouddha retentissait plus haut et plus fort. Des amines et des amènes en chœur. on méditait tous dans le calme et la certitude parce que chacun, dans la mosquée, église, synagogue, temple ou pagode, était habitué à faire sa prière, persuadé aussi que le ciel était toujours sa source immanentiste:
Oh ciel!
Refuge des dieux,
Source du bonheur et de la lumière,
Protège nos fois et éclaire nos voies!
Tout à coup, quelque chose interrompit le culte. Des rumeurs courent comme des rats parmi les croyants et bientôt c'est la rage qui submerge la foule. Des injures à l'égard des religions et des dieux et partout c'est la haine qui se nourrit dans ces âmes autrefois apprivoisées par la méditation. Le conflit battait alors son plein et ces flammes dans les chandeliers, symbole de la spiritualité, les gens se sont en servis pour bruler les textes religieux. On a brulé Coran, on a déchiré Evangile, on a marché sur Torah...C'est fini avec les religions, bientôt c'est le règne de l'extrémisme. Puis le pire surgit, en brulant les livres saints, le visage avait rougit et cette lumière qui autrefois jaillissait de lui se transforma en fumée. Désormais, il avait l'air d'un ange déchu. C'est pire de défier une force divine car dans un combat pareil, les dieux gagnent haut la main. Et bien sûr, il y a eu le cataclysme. Les dieux se sont intervenus, comme il se doit, face au défi. La kippa s'échappe et abat le culte comme une tempête; le durillon noir irrigue en volcan et s'est engouffrée comme une fontaine embourbant le lieu jusqu'à la taille; le chapelet explose et ses grains tombe sur la foule comme un déluge de feu qui leur tombe du ciel et le crucifix se transforme en épée qui redescend sur leurs têtes. Les tams-tams s'arrêtent et la bataille, c'est terminé. L'ange déchu enfin s'exprime: << vous avez tous gouté à la résurrection tant attendue.>> .
Quand j'ai terminé ma parole, Soulé, le parrain de Malik et la première personne à qui j'ai raconté mon histoire, a rougi et ses jambes sont devenues molles si bien qu'il ne pouvait plus se tenir débout. Son corps, armé de tous ces gris-gris, ruisselait de sueur on dirait qu'il a de la fièvre: << Soubanalaye! Combien ça ressemble à la réalité! >> disait-il.
Ça m'a fait un peu penser au dérèglement du monde et toutes ces haines partout à cause des religions, des couleurs et des races. On s'entretue de part et d'autre parce que chacun, emporté par son élan, cherche à dominer la nature de l'autre, la terre de l'autre, l'espace de l'autre et le dieu de l'autre. Pourtant toutes les religions qui soient sur terre, appellent à l'amour. L'intérêt commun dans toutes les religions c'est d'accepter l'autre malgré sa différence, malgré son appartenance. Les langues, les communautés, les races, les ethnies et les religions sont toutes égales, il n'y a pas de religion ou de culture qui soit supérieure à une autre. Par ailleurs, les religions, comme les mœurs, ne régissent pas les communautés, elles les redressent. L'amour est la seule loi universelle, elle est la foi de toutes les religions; elle est l'esprit de toutes les mœurs. La résurrection c'est quand on haït la couleur de l'autre, la religion de l'autre, la culture de l'autre, le pays de l'autre, la race de l'autre, la pensée de l'autre; la résurrection c'est quand on s'en prend à l'autre, quand on rejette l'autre, quand on ne tolère surtout pas les fautes de l'autre ou encore quand on ne va pas au secours de l'autre. Bref, la résurrection c'est quand il n'y aura plus d'amour de l'autre. A bon entendeur, salut!
Mais qu'est-ce que j'ai à foutre avec le dérèglement du monde? Ça fait un bail que plus rien dans ce monde ne m'intéresse. D'ailleurs moi qui ne connais pas de religion malgré que mes parents soient musulmans, moi qui porte un baggy pleins de choses illicites, je n'en ai rien à foutre moi. Je suis dealeur moi et je suis dans les affaires. Et tout ce qui ne discute pas business, ce n'est pas mon truc. Un musulman qui ne fait pas de prière et ne va jamais à la mosquée ne verra jamais dieu dans son rêve, il ne verra autre chose que le diable. Qu'à cela ne tienne!
Quelques semaines plus tard, je suis parti voir ma mère et quand je lui ai contée mon histoire, elle m'a serré très fort. Je n'ai rien compris de ce qui s'était passé. Je me sentais à la fois content et stupéfait sur son geste. Ma mère m'avait abandonné et jeté dans la rue il y a des années. Ma mère ne m'a pas serré depuis que j'ai appris à marcher, ma mère me haïssait, ma mère haïssait toute sa famille, ma mère haïssait le monde entier depuis que mon père nous a quittés. J'ai triomphé au fond de moi parce que l'amour maternel c'est tout proche du paradis. Mon esprit est tranquille malgré toutes ces années de solitude. Désormais, elle passe de temps en temps chez moi quand je ne suis pas là pour faire mon lit et bruler d'encens dans le lieu. L'encens qu'elle avait l'habitude de bruler chez nous depuis que je marchais à quatre pattes. L'encens qui sentait partout, dans toutes les chambres, sous les tables, derrière les meubles; l'encens qui brulait nos jours et nuits, l'encens pour mon père, l'encens pour ma mère, l'encens pour moi; on regardait la télé dans l'encens, on mangeait et discutait dans l'encens, on faisait nos cinq prières dans l'encens; celui-ci attirait les anges, celui-là chassait les diables...L'encens qui faisait autrefois notre bonheur, l'encens qu'elle a cessé de bruler depuis que mon père l'avait quittée.
Mais encore, quelle est cette histoire qui avait suscité beaucoup d'intérêt vis-à-vis d'un grand marabout comme Soulé, celui qui ne craignait rien autrefois, et d'une femme qui tout le temps, traitait de cafre celui qui citait autres dieux qu'Allah ? Quel est ce récit qui avait transcendé un amour maternel fané: << Oh mon fils! Les religions ne nous ont jamais trahis, c'est nous qui les avions trahis. >> disait-elle.
Mais encore, quelle histoire! Qui avait trahi qui? Les religions? Les gens? Nous? Il serait plus exact de dire pourquoi trahir l'autre tout court ; il conviendrait le mieux de penser pourquoi en vouloir aux autres sans aucune forme de procès. Maintenant, j'ai tout compris. Cette histoire était la solution au cancer de la haine qui menaçait notre vie. La charité bien ordonnée commence par soi-même. Que chacun aime ses siens, que le père aime sa femme, que la femme aime son fils, que le fils aime son frère et que le frère aime son semblable! Que le pays de séjour aime le pays voisin! Que les couleurs se mélangent! Que les religions s'embrassent! Tout comme Adan et Eve.
C’est vrai, combien de fois la vie nous a-t-elle montrés des miracles, des choses auxquelles on ne s'attendait pas? Je n'avais jamais cru le retour de ma mère dans ma vie, je n'avais jamais rêvé qu'on puisse de nouveau manger à table ou apercevoir sa silhouette en train d'arroser dans le jardin...Mais encore, sentir l'encens, c'est sentir le retour des bonnes choses dans ma vie parce qu'il n'y a rien dans ce monde qui puisse vous réjouir plus qu'une mère qui s'occupe de vous jour et nuit, une mère qui prie chaque jour pour que le ciel vous protège, vous bénisse. C'est ça le grand amour.