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7 h 23
Depuis septembre, tous les 7 h 23 se ressemblent. D'abord un bruit sourd de moteur puis les phares qui percent l'obscurité. Le bus ralentit, s'arrête. Les portes s'ouvrent devant moi.
— Bonjour !
Je monte. M'assois. Trajet. Arrivée.
— Au revoir !
Je descends. La journée se passe.
17 h 48 : retour.
— Bonsoir !
S'asseoir, trajet, arrivée.
— Au revoir.
Cinq mois.
Nouvel An. Reprise après les fêtes. Je hais les vacances. Rituels rompus.
Janvier. Froid. 7 h 23. Moteur au loin, phares, je monte.
— Bonne année !
Elle lève les yeux. Enfin...
Cinq mois que je la regarde conduire ce bus. Que je la guette tous les matins et tous les soirs.
— Merci, vous aussi.
Sourire, regard, je me pose pas trop loin d'elle. J'ai passé déjà beaucoup de temps à la regarder mener ce bus. Assez curieux de voir ses mains si menues sur un volant si large. Concentrée, attentive, habile. Belle. Des semaines durant lesquelles j'ai appris sa nuque, ses humeurs, ses tenues, ses coiffures, ses manies de conductrice. Le dessin de sa nuque est resté dans mes yeux, un matin. Puis il ne m'a plus quitté.
C'est mon vœu de Nouvel An. Lui parler, entrer en contact, sortir avec elle.
« Bonne année ! » Au moins elle m'a regardé. A répondu... Petits pas...
Que vais-je trouver à dire, demain ? Que j'ai un faible pour les conductrices ? Que j'aimerais la regarder debout et pas toujours assise derrière ce volant ? Que peut-être... si elle voulait bien ?... Non, trop tôt. Je dois lier conversation... Plus près. Rester debout ? À côté d'elle.
Février. Ce matin, le réveil m'a fait défaut.
Oublié ma carte de bus. Trop tard.
— Installez-vous, dit-elle, je vous connais, depuis le temps !
Elle me connaît !
Je bafouille un merci.
Elle me connaît ? Une bonne entrée en matière. Je vais m'asseoir. Panne de réveil ? Acte manqué ? Réussi ? Quoi d'autre ?
17 h 48 : retour.
— Toujours pas de carte, monsieur ?
— Je ferai mieux demain !
Large sourire, connivence !
— Bonsoir. À demain ?
Elle a dit « À demain » ! » Pas « Au revoir » ni « bonsoir », ou un truc du genre. Carrément « À demain » !
Demain, je lui apporte un petit quelque chose. Pour la remercier de m'avoir transporté à l'œil sans ma carte ? Ou... Je verrai demain.
7 h 20, 21, 22, 23
7 h 25
Elle est en retard...
Elle n'est jamais en retard.
7 h 29
Moteur, les phares, coup de frein. Ouverture des portes. Je claironne :
— J'ai ma carte !!!
Une sorte de gros type patibulaire me dévisage, hagard et stupéfait.
— Ça a l'air de vous faire plaisir ! me répond-il.
Il est tôt, et il transpire déjà fort, sans parvenir à masquer son odeur d'after-shave de supermarché. De là où je me suis assis rapidement, je vois ses bras qui écrasent le volant et son cou plissé de bourrelets adipeux.
Mon sac pèse une tonne, mes pieds aussi, sale journée, temps moche, les gens m'exaspèrent.
17 h 48. Retour. Le même type me reconnaît et me décoche un sourire moqueur d'un geste de menton désagréable.
Je déteste prendre le bus. Arrivé. Je descends. Une silhouette de dos. Je connais ce dos. Elle se retourne.
— C'est mon jour de congé, dit-elle. Alors, on le boit ce café ensemble ?
Le lendemain, je me suis retenu pour ne pas embrasser le gros type.
C'est comme ça, tu vois, que j'ai connu ta mère...
Depuis septembre, tous les 7 h 23 se ressemblent. D'abord un bruit sourd de moteur puis les phares qui percent l'obscurité. Le bus ralentit, s'arrête. Les portes s'ouvrent devant moi.
— Bonjour !
Je monte. M'assois. Trajet. Arrivée.
— Au revoir !
Je descends. La journée se passe.
17 h 48 : retour.
— Bonsoir !
S'asseoir, trajet, arrivée.
— Au revoir.
Cinq mois.
Nouvel An. Reprise après les fêtes. Je hais les vacances. Rituels rompus.
Janvier. Froid. 7 h 23. Moteur au loin, phares, je monte.
— Bonne année !
Elle lève les yeux. Enfin...
Cinq mois que je la regarde conduire ce bus. Que je la guette tous les matins et tous les soirs.
— Merci, vous aussi.
Sourire, regard, je me pose pas trop loin d'elle. J'ai passé déjà beaucoup de temps à la regarder mener ce bus. Assez curieux de voir ses mains si menues sur un volant si large. Concentrée, attentive, habile. Belle. Des semaines durant lesquelles j'ai appris sa nuque, ses humeurs, ses tenues, ses coiffures, ses manies de conductrice. Le dessin de sa nuque est resté dans mes yeux, un matin. Puis il ne m'a plus quitté.
C'est mon vœu de Nouvel An. Lui parler, entrer en contact, sortir avec elle.
« Bonne année ! » Au moins elle m'a regardé. A répondu... Petits pas...
Que vais-je trouver à dire, demain ? Que j'ai un faible pour les conductrices ? Que j'aimerais la regarder debout et pas toujours assise derrière ce volant ? Que peut-être... si elle voulait bien ?... Non, trop tôt. Je dois lier conversation... Plus près. Rester debout ? À côté d'elle.
Février. Ce matin, le réveil m'a fait défaut.
Oublié ma carte de bus. Trop tard.
— Installez-vous, dit-elle, je vous connais, depuis le temps !
Elle me connaît !
Je bafouille un merci.
Elle me connaît ? Une bonne entrée en matière. Je vais m'asseoir. Panne de réveil ? Acte manqué ? Réussi ? Quoi d'autre ?
17 h 48 : retour.
— Toujours pas de carte, monsieur ?
— Je ferai mieux demain !
Large sourire, connivence !
— Bonsoir. À demain ?
Elle a dit « À demain » ! » Pas « Au revoir » ni « bonsoir », ou un truc du genre. Carrément « À demain » !
Demain, je lui apporte un petit quelque chose. Pour la remercier de m'avoir transporté à l'œil sans ma carte ? Ou... Je verrai demain.
7 h 20, 21, 22, 23
7 h 25
Elle est en retard...
Elle n'est jamais en retard.
7 h 29
Moteur, les phares, coup de frein. Ouverture des portes. Je claironne :
— J'ai ma carte !!!
Une sorte de gros type patibulaire me dévisage, hagard et stupéfait.
— Ça a l'air de vous faire plaisir ! me répond-il.
Il est tôt, et il transpire déjà fort, sans parvenir à masquer son odeur d'after-shave de supermarché. De là où je me suis assis rapidement, je vois ses bras qui écrasent le volant et son cou plissé de bourrelets adipeux.
Mon sac pèse une tonne, mes pieds aussi, sale journée, temps moche, les gens m'exaspèrent.
17 h 48. Retour. Le même type me reconnaît et me décoche un sourire moqueur d'un geste de menton désagréable.
Je déteste prendre le bus. Arrivé. Je descends. Une silhouette de dos. Je connais ce dos. Elle se retourne.
— C'est mon jour de congé, dit-elle. Alors, on le boit ce café ensemble ?
Le lendemain, je me suis retenu pour ne pas embrasser le gros type.
C'est comme ça, tu vois, que j'ai connu ta mère...
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