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Voilà. Je suis rasé. Ça, c'est fait. Je suis rasé, je n'y pense plus.

Je me sens plus léger. Voilà. Plus frais et plus léger. Je suis propre, je sens bon. C'est fait. Quand je m'approcherai d'elle, au moins, j'ai des chances qu'elle ne recule pas.

Je vérifie mes lacets. Doubles nœuds O.K. Parfait.

Je prends ma mallette. Voilà, j'ai ma mallette. Tout va bien. Je suis propre, j'ai ma mallette, je suis prêt. Voilà. Je vérifie que ma braguette est bien fermée en passant rapidement la main sur la glissière. Elle est bien fermée. Voilà. Tout va bien. Un petit coup d'œil sur la cuisinière. Le gaz est bien fermé. O.K.

Je referme la porte à clé derrière moi. La porte est bien fermée. Ça, c'est fait. Je n'y pense plus. Il faut que je pense à prendre du pain en passant devant la boulangerie. Comme ça, ce sera fait, je n'y penserai plus. Plus de deux mois que je me prépare. Ce serait dommage de tout rater. D'oublier le pain, par exemple. Oui, ce serait dommage...

Vérifier ma braguette. Braguette fermée.

Je tourne à l'angle de la rue. J'ai mis des bougies sur la table. Tout est prêt. Le rôti programmé dans le four. Un vacherin glacé dans le congélateur. Le sortir une heure avant de servir. Je ne dois pas oublier.

Doubles nœuds O.K. Braguette fermée. Tout va bien.

Cette fois-ci, je dois aller jusqu'au bout. Arriver jusqu'à elle et lui parler. La dernière fois, c'est idiot, j'étais vraiment prêt, pourtant. Le petit signe de Bernard alors que je m'avançais vers elle, récitant intérieurement les phrases apprises par cœur et ressassées depuis la veille, m'avait sauvé du ridicule. D'abord, je n'avais pas compris son insistance à me montrer ce qui se cachait en dessous de sa ceinture. Puis j'avais saisi qu'en ce qui me concernait, ce n'était plus caché du tout... J'avais remonté ma braguette et décidé d'en rester là.
La fois d'avant, au contraire, personne n'avait prévu le drame. Au dernier moment, ce lacet défait, c'était vraiment idiot. Un double nœud oublié et tout tombe par terre. Je me suis avachi lamentablement avant même d'atteindre le bureau des standardistes. Impossible de l'aborder après une telle chute. Je jette un coup d'œil à mes chaussures. Les doubles nœuds tiennent bien. Tout va bien.

Braguette fermée. Tout est parfait.

Je prends le pain et je file au bureau. Tout va bien.

J'entre dans la boulangerie. Ne pas rater la marche. Voilà. Ne pas poser la mallette au risque de l'oublier. De ma main droite, j'attrape les pièces dans ma poche. Soixante-dix centimes. C'est un compte rond. Parfait. Je prépare ma monnaie pour faire l'appoint. Mon poing serré sous ma ceinture. Braguette fermée. C'est mon tour. Parfait.

« Une braguette, s'il vous plaît. »

Je suis un con. Un con à mallette avec des doubles nœuds parfaits. Un con à braguette fermée et à gueule grande ouverte. Un con à visage cramoisi que les yeux rieurs de la boulangère échauffent plus encore. Un con, tout simplement, qui tend ses petites pièces de monnaie ridicules, attrape sa baguette et se tourne face à une assemblée de visages rosis par la joie, on ne peut plus heureux de commencer leur journée avec ce clown à mallette qui leur apporte, de si bon matin, matière à alimenter les conversations et à susciter les rires autour de la machine à café.
Un consciencieux qui va aller bien sagement au bureau, mais ne dira rien à la jolie standardiste, et rentrera tout seul, comme chaque soir de sa vie consternante, condamné à manger seul son rôti cuit à 19 heures pile, et posera sa mallette dans l'entrée, sa baguette sur la table, délacera ses doubles nœuds parfaits et peut-être même, dans la solitude de son appartement confortable, descendra sa braguette.

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