La libération n'aura pas lieu

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux, telles étaient les pensées qui brouillaient l’esprit de Magloire. Depuis le premier jour, il s’efforçait de vivre dans ce trou à rats mais sans succès. Derrière les hauts murs hermétiques du centre pénitencier de Makala, il n’y a que des moments de solitude qu’il avait intensément vécus, la liberté était bel et bien la nouvelle ressource qu’il tente maintenant de posséder, même si ce ne serait encore que provisoire, il la savourerait à pleine dent.
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Il était condamné à la place d’un autre par le ministère public pour rébellion. Dès lors, isolé et reclus, il avait son âme à jamais prisonnier et les réalités, vécues en taule, l’étouffaient et l’avaient épris d’un sentiment de mal être profond. Une envie inavouée de suicide et des mauvais souvenirs le hantaient maintenant outre mesure.
Sa morphologie avait pris un sacré coup durant les quelques jours qu’il a passé derrière les barreaux. Malgré que sa liberté était inéluctable, les cinq jours de l’enfer carcéral, se traduisaient dans son corps, à travers ses traits : il avait le visage inquiet, allongé, creux, pâle presque livide et avec des rides profondes ; son regard était vif, incisif, calme, innocent et interrogateur à la fois ; sa chevelure et sa barbe avaient été rasées par Reagan son codétenu à Makala avec une précision presque chirurgicale ; sa hanche était serrée, comme un soulier par des lacets, il avait à la taille une ficelle qui lui servait d’office de ceinture maintenant ainsi son pantalon en place et ses doigts frêles étaient en train d’égrener le chapelet. Il récitait à mi-voix sourde, calme mais insistante les « ave Maria » à l’intention de la vierge pour sa libération. Il avait perdu énormément du poids : il était chétif, efflanqué et maigriot.
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Il n’en revenait pas toujours, peut-être n’était-ce qu’une blague de mauvais goût, un rêve tout au plus, une chinoiserie qui ne durerait que le temps d’y penser. Il ne fait que penser à sa libération, de ce jour où dans le tunnel ténébreux de la réclusion, il verra enfin le bout du bout.
Il était assis près du bureau du greffe contemplant le soleil rouge et or à l’horizon en attendant sa libération.
Makala n’était pas le paradis sur terre bien au contraire un avant-goût de l’enfer. Dès son entrée au pavillon, Magloire faisait l’objet de menace de la part des autres détenus qui lui promettaient d’ores et déjà le calvaire. Ce serait pour lui en ce mois de mai, l’enfer sur terre, la passion dans tous états. Cinq jours de galère en perspective et il allait la sentir passer, cette poisse.
La chambre où il fut pour la première fois assigné avant de loger chez l’administrateur, au sein de laquelle, il y avait à une foule à craquer, était-ce qu’on appelle au centre pénitencier de Makala « hébergement ». Les prisonniers, y résidant, n’étaient pas forcément habillés, tous étaient à moitié dénudés, têtes rasés, pieds nus, crasseux, maigres rien qu’avec la peau sur les os, si malingres, frêles, chécreux et mièvres qu’ils faisaient pitié à voir. Ils étaient pensifs et malodorants, dégageant une odeur nauséabonde tant qu’ils se lavaient occasionnellement.


Dès le surlendemain au petit jour : Magloire reçut, pour la première fois dans la cellule où il était embastillé, la visite conjointe de Josaphat, Priscille et Sylvie, la femme d’un cousin proche. Cette visite était pour lui un baume salutaire, essentiel et apaisant pour son âme flétrie, blessée voire ulcérée à travers tous ses soucis. Elle était une occasion de s’enquérir des nouvelles de la famille et de se distraire l’esprit, de penser à autre chose. Malgré leur inquiétude, leurs visages dégageaient un certain charme et distillaient un palliatif qui l’enchantait et lui donnait une tranquillité que nul ne pouvait comprendre, arracher ou dérober.

Au petit matin du jour-j, son frère ainé, Nadja, était déjà à Makala pour remplir les formalités et vaguait maintenant telle une foudre de guerre dans divers services du centre pénitencier pour fignoler et officialiser la libération de son frère cadet.
Sans s’y attendre, le même Vendredi matin, Magloire reçut la visite de Jonathan et Cerina, des étudiants qu’il encadrait. Ces derniers ne tenaient pas sur leurs jambes, tellement qu’ils tremblaient de peur, ils étaient valétudinaires malgré eux, à la seule idée d’être entourés des malfrats voire des criminels de haut vol, ils étaient effrayés par l’allure des prisonniers qu’ils côtoyaient sur le couloir du pavillon.
Magloire se moquait de leur réaction, il était invétéré et avait déjà pris goût à la vie en taule. Bientôt, ce pourrait être ses dernières heures ici. Il sera libre, il avait reçu un coup de fil formel de son père qui lui assura que Nadja faisait déjà de formalités en prison.
Donc, d’un pas ferme et décidé, accompagné du surveillant, Magloire traversa les diverses barrières de la prison pour se rendre au bureau du greffe et lorsqu’il leva les yeux, il vit Nadja lui souriant à pleine dent sur la cour.
Il le salua d’un signe de la tête et entra dans le bureau du greffe et bavardait à vous trouer les tympans d’un ton assuré et confiant et se targuait, avec raison pensait-il, d’avoir une chance inouïe que ce cauchemar prenne fin aujourd'hui. A cette chance imprévue et à sa joie sans limite, vint remplacer une tristesse indicible, profonde et pénétrante car son dossier s’était compliqué à en une fraction de seconde.
Vers dix-huit heures passées, il était convié à regagner sa cellule, à l’heure où toutes les portes étaient quasi déjà fermées. A ce moment-là, il sanglota amèrement comme une madeleine, il était inconsolable et avait frôlé un arrêt cardiaque. Il marchait dans l’obscurité et laissait couler des larmes de tristesse . Il leva les yeux vers le ciel, au crépuscule de cinq jours d’incarcération, arrivé à la porte principale, il chercha du regard dans la noirceur totale de la nuit Nadja, des pleurs involontaires s’échappèrent des yeux de ce dernier lorsqu’il contemplant, de nouveau, son frère.

Devant la porte de sa cellule, il s’arrêta pour remettre ses esprits en place et se rendre compte du chemin parcouru depuis son arrestation jusqu’à sa libération.
Il inspira et expira comme pour renouveler la réserve d’air qu’il avait emmagasiné dans ses poumons durant le trajet du retour puis d’un geste méticuleux et précis, il se décida enfin d’ouvrir la porte de la cellule, d’une lenteur d’anthologie manœuvrant la poignée, poussant ainsi le suspense et l’adrénaline, de ceux qui étaient en taule, jusqu’à la manie frôlant la lubie et au moment où il posa pied avec une lenteur extrême dans la cellule, Un instant d'incrédulité inexpressive et communicative voguait dans l’air et tous ses codétenus se mirent à pleure de choeur avec lui. Le taulard n'était pas libre mais il était de retour parmi eux.