Le treizième homme

Recommandé

Pourquoi on a aimé ?

Écrit avec un certain réalisme, ce texte suit les pensées d’un esprit tourmenté, emmêle souvenirs de guerre et retour au pays, et déroulant sa

Lire la suite

Mon Dieu ! qu'il m'est difficile d'écrire mais qu'il me serait encore plus difficile de ne pas le faire...

Cette œuvre est
à retrouver dans nos collections


Nouvelles :
  • Policier & thriller

Note de l'éditeur : ce texte peut choquer les lecteurs les plus sensibles.


Que ma ville est bruyante, vue d'en haut, dans le vacarme incessant des fourmis, tout en bas. Elles ne me laissent aucun répit, aucun repos, moi le guerrier aux mille combats, revenu de l'enfer, là-bas.

Je ne sais que tuer ; je me souviens d'avoir aimé, une fois, mais c'était il y a si longtemps... C'était avant, avant là-bas. Et depuis, je n'ai connu que le sable brûlant sous un soleil de plomb et le plomb qui s'abat sur mes frères de sang et leur sang dans le creux de mes mains et mes mains qui égorgent au petit matin hommes, femmes et enfants, les enfants... Je ne sais qu'obéir aux ordres et l'on m'a dit de tuer pendant toutes ces années ; alors j'ai tué jusqu'à en vomir, jusqu'à l'indigestion et jusqu'à l'écœurement, jusqu'à ne plus savoir qui était, de moi ou du chien squelettique qui fouille les entrailles, le plus humain. Et me voilà rapatrié, amputé et boitillant, sans médaille et sans merci, à la merci de ce monde civilisé qui n'a cessé de vivre et d'aimer pendant tout ce temps, à la merci de ce monde grouillant que sont ces minuscules insectes qui entrent et sortent, vont et viennent, totalement programmés sur le même bitume, longeant les mêmes avenues. Ils déambulent ainsi, en files d'indiens et d'indiennes, sans patrie et sans tribu, de toutes races, de toutes couleurs et de toutes origines, obstinément, du matin au soir. Ils s'agglutinent ici et se dispersent là, se croisent, s'entrecroisent et se sourient même parfois pour un rien. Que le bonheur est futile, moi qui l'ai tant méconnu.

Mais que ce peuple est bruyant vu d'en haut, dans l'assourdissant manège qu'est sa vie. Il tourne et il tourne sans s'arrêter ; il m'étourdit. J'envie le calme du désert entre deux assauts, à l'ombre des murs écroulés ; j'envie la cigarette que l'on partage en quatre, la gourde qui passe de bouche en bouche et la balle que je garde autour du cou, au cas où. Là-bas, nous savions pourquoi nous mourions ; ici ils ne savent même pas pourquoi ils vivent. J'ai tenté d'exister comme eux et d'aimer comme eux. Mais rien à faire ; dans mes nuits, toujours ce soleil de plomb et ce plomb dans les entrailles et ces entrailles ouvertes et ces femmes suppliantes et ces enfants... Ces enfants... Mes mains rouges dans le sable rouge, mes frères déchiquetés que je traîne à l'abri d'une ruine et mon âme en lambeaux depuis, incapable de se reconstruire comme ces pans de murs à qui je dois la vie ; mais quelle vie...

Alors ce matin, moi qui ne sait que tuer, j'ai revêtu mon treillis et je me suis peint le visage, comme là-bas. Je suis monté tout en haut pour les voir ainsi, tout en bas, minuscules fourmis obéissantes, joyeuses et totalement dociles. Comme là-bas, j'ai assemblé mon arme et je l'ai chargée les yeux fermés. Comme là-bas, je me suis allongé à l'ombre d'une de leurs ruines et j'ai attendu. Bientôt les ennemis sont sortis dans un nuage de poussière. Il en venait de partout ; je n'ai eu qu'à choisir ; c'était jour de marché, comme on disait là-bas. J'ai positionné le trépied et j'ai placé la crosse bien au creux de mon épaule. J'ai senti le sable dans ma bouche et le sang couler dans mes mains ; j'ai vu les mères agenouillées et suppliantes au fond des tentes et les enfants qui hurlaient, agrippés à elles. Puis j'ai réglé la lunette et j'ai attendu.

Un homme est apparu dans ma ligne de mire, bien au centre de la croix. J'ai senti l'odeur de la poudre impatiente ; je l'ai vu en contrebas, sur le trottoir, le portable à l'oreille. J'ai pressé le doigt sur la détente. Une seconde a suffi. Il s'est écroulé proprement et silencieux parmi les autres. Les fourmis apeurées se sont dispersées, cherchant refuge dans les moindres recoins, derrière les voitures, les poteaux et les arrêts de bus. Puis j'ai tiré sans relâche ; j'ai visé la tête de l'un, le ventre de l'autre et le cœur d'un quatrième, mais pas de femmes ni d'enfants... Pas comme là-bas. Les fourmis s'affolaient sous le soleil de plomb et le plomb s'abattait et le sable volait. Elles couraient en tous sens comme lorsque l'on verse de l'eau bouillante dans leur nid. J'ai tiré, tiré et encore tiré jusqu'à vomir.

Puis, au douzième homme, je me suis redressé et je me suis assis. J'ai sorti une cigarette que j'ai coupée en quatre. J'ai craché le sable et j'ai bu une gorgée d'eau de ma gourde, juste une gorgée. Je l'ai tendue aux femmes toutes recroquevillées au fond de la tente et aux enfants qui hurlaient, agrippés à elles. J'ai arraché mon lacet autour du cou et pris la balle que je gardais au cas où. J'ai armé et j'ai placé le canon sous ma gorge. Ma folie a fait le reste...

© Short Édition - Toute reproduction interdite sans autorisation

Recommandé

Pourquoi on a aimé ?

Écrit avec un certain réalisme, ce texte suit les pensées d’un esprit tourmenté, emmêle souvenirs de guerre et retour au pays, et déroulant sa

Lire la suite