Une sale affaire

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Délicieusement noir et sanglant, « Une sale affaire » nous emmène dans une maison de l’horreur où se cachent des monstres qu’on n’y

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Nouvelles :
  • Imaginaire
  • Policier & thriller
Ça a commencé comme une affaire de routine. Je n'ai jamais su dire non, en particulier à une jolie femme. Je connais Grace depuis un bout de temps, et même si on fait comme si de rien n'était, on sait tous les deux l'effet qu'elle me fait. Et aussi l'effet que je ne lui fais pas, mais ça ne m'empêche pas d'y croire. Alors quand elle m'a demandé d'enquêter sur la disparition de Lilian et Carmen Bauer, deux jumeaux de sa classe (elle est institutrice), je lui ai promis de me rencarder un peu, quand j'aurais fini ma journée. Après tout, je suis détective. 
Les gamins n'avaient plus donné signe de vie depuis trois jours, ce que Grace considérait comme parfaitement inquiétant, mais que la police trouvait parfaitement insuffisant pour envisager de commencer à réfléchir à l'opportunité d'investiguer. Alors elle avait mené sa propre petite enquête préliminaire : appels, puis déplacements au domicile et au travail des parents, questionnement des voisins. Sans succès : aucun signe de vie à la maison, et personne n'avait vu ni les Bauer ni le chien depuis le début de la semaine. Le patron du père était furieux, celui de la mère inquiet, et les voisins n'en avaient rien à foutre.

Il faisait sombre quand je me suis garé devant chez les Bauer. Je n'ai pas cherché à être discret, je n'étais pas en planque. Par réflexe, j'ai vérifié que tout mon équipement de nuit était bien en place : lampe de poche, licence professionnelle et permis de port d'arme. Et flingue dans son holster. Je ne m'en étais jamais servi, mais je me sentais mieux avec que sans, quand il faisait sombre. Je me suis avancé dans l'allée qui menait à la maison des Bauer. L'éclairage automatique s'est déclenché. Un monospace était garé devant le garage. Deux sièges auto étaient installés sur la banquette arrière, c'était selon toute probabilité la voiture familiale. Mais les Bauer avaient pu partir avec un deuxième véhicule. Difficile d'être sûr de quoi que soit, mais je commençais à ressentir quelque chose de bizarre, comme un léger malaise. Quand j'ai sonné, personne n'a répondu. J'ai fait le tour du pavillon, même dans l'obscurité j'ai vu que le jardin était vraiment très bien entretenu. J'ai tenté d'apercevoir quelque chose par les fenêtres, en vain, les rideaux étaient trop épais. Le mauvais pressentiment ne m'a pas quitté.

Mon tour de la maison terminé, j'ai sonné à nouveau. Je m'apprêtais à repartir quand, dans un réflexe quasi inconscient, j'ai saisi la poignée de la porte d'entrée. À ma grande surprise, elle était ouverte. Évidemment, je suis entré, précédé par le faisceau de ma lampe.

J'ai immédiatement été saisi par l'odeur. Si vous avez senti une charogne une fois dans votre vie, vous ne risquez pas de confondre ça avec quoi que ce soit d'autre. Mes cheveux se sont dressés sur ma tête, mais allez savoir pourquoi, je n'ai pas tourné les talons, claqué la porte et appelé les flics. J'ai sorti mon flingue et suis parti à la recherche des cadavres. Je savais que c'était une connerie, et même si j'avais peu de chance de tomber sur le meurtrier, j'allais massacrer la scène de crime. Car je n'avais aucun doute, à ce moment-là, que j'étais sur une scène de crime. L'entrée donnait sur un couloir assez large. Il y avait là un petit meuble et un porte-manteau mural. Sur le mur de droite, la lumière froide de ma lampe a révélé une photo familiale : on y voyait les deux petits, et les parents, blonds, beaux, minces, souriants. Et un énorme chien, un genre de dogue allemand, tout en muscles et en mâchoires, allongé nonchalamment devant les enfants. Je me suis dit qu'il fallait être sacrément déterminé pour s'attaquer à une famille avec un clébard aussi imposant.

J'ai continué à avancer. Le couloir donnait sur un grand salon, j'ai tout de suite remarqué le désordre. Et le sang : au sol, c'était comme un barbouillage géant, horrifique et grotesque. Et il y avait toujours l'odeur, qui emplissait tout, presque matérielle. J'ai vomi. Il fallait que je sorte de là, mais la puissance macabre de ce que je voyais et l'espoir de trouver quelqu'un en vie m'empêchaient de fuir.

Les corps des parents étaient derrière le canapé, au pied de l'escalier qui menait à l'étage. Le meurtrier s'était sauvagement acharné sur eux, comme s'ils avaient été dévorés. J'ai eu un haut-le-cœur, à nouveau. 

C'est là que j'ai entendu les grognements. Ça venait d'en haut. C'était clairement un grognement animal, alors j'ai repensé au gros chien de la photo, et j'ai fait le lien avec la sauvagerie de la scène, et j'ai commencé à avoir une bonne idée de ce qui avait pu se passer là. Je n'avais pas encore terminé la mission que Grace m'avait confiée, alors je suis monté.

J'ai essayé de marcher discrètement. L'escalier menait à un couloir décoré avec des dessins d'enfants. Et il y avait du sang, encore, et des morceaux de quelque chose que je n'ai pas cherché à identifier. Tout est soudain devenu silencieux. Je me suis arrêté, à l'écoute. Le silence s'est prolongé, puis les grognements ont repris, venant d'une pièce sur la gauche.

J'ai progressé doucement, le pistolet pointé vers la porte. Les grognements se sont arrêtés, à nouveau. Je me suis avancé devant la porte. Elle était entrouverte. De l'intérieur venait un infernal bruit de mastication. J'ai poussé la porte, et je me suis reculé, éclairant l'intérieur avec ma lampe.

Ce n'était pas ce que j'avais imaginé. Les deux jumeaux étaient là, penchés sur ce qui restait du grand chien. Le garçon a levé la tête vers moi, et il s'est mis à grogner. Sa sœur est restée concentrée sur sa tâche, la tête plongée dans la carcasse éventrée du dogue. J'ai eu un vertige, et je n'entendais plus que le son écœurant des mâchoires de la gamine. Finalement elle s'est interrompue, et ils me fixaient tous les deux, leurs bouilles de marmots maculées de sang et de chair crue, avec un regard un peu désolé, comme deux enfants surpris en train de piquer des bonbons. Je n'étais pas préparé à ça. J'ai eu une seconde d'hésitation, et le garçon en a profité pour m'attaquer. Le petit salopard était rapide, et il a eu le temps de me mordre la main gauche avant que je lui fasse exploser le crâne. La détonation m'a étourdi. La petite fille a poussé un hurlement et a tenté de se redresser, mais elle a glissé sur quelque chose de visqueux. Elle a basculé en arrière, sa tête a heurté le coin d'une commode. Il y a eu un craquement sec, et elle est devenue molle. Son corps s'est affaissé lentement contre le meuble sur lequel elle venait de se briser le cou.

La maison est redevenue silencieuse. J'ai repris ma respiration, et je suis resté sans rien faire pendant plusieurs minutes. Hébété, je suis redescendu et je suis sorti de la maison. Alors seulement j'ai rangé mon flingue, j'ai allumé une cigarette, et je me suis mis à trembler.

J'étais sous le choc, et même si le morveux ne m'avait pas mordu très profondément, ma main me faisait un mal de chien, si tant est que cette expression soit appropriée dans ce cas précis. Je n'ai pas réussi à appeler les flics, j'en étais incapable. Alors j'ai fait la chose la plus ultimement stupide de cette soirée, pendant laquelle j'avais pourtant accumulé les conneries de niveau mondial : je suis allé chez Grace.

Elle s'est bien occupée de moi, comme elle l'avait toujours fait. Elle m'a soigné la main. Mais après ça, alors que je buvais un remontant, j'ai senti un élancement terrible, et c'est comme si mon bras était parcouru de lave en fusion.

Tout s'est brouillé, la douleur m'a transpercé, je suis devenu douleur. Et autre chose aussi. Des visions des deux angelots en train de dévorer le chien m'ont assailli. C'était très réel, et l'odeur était à nouveau là, dans le salon de Grace, tout autour de moi. Alors j'ai eu envie d'elle. Pas sexuellement. Enfin, pas uniquement sexuellement. J'ai fait un pas en avant. Elle a eu un mouvement de recul. Puis je me suis jeté sur elle.

On pourrait penser que je n'ai plus aucune lucidité, mais ce n'est pas le cas. Malheureusement. Je suis encore parfaitement conscient, et je me rappelle tout. Par contre je sens que ma volonté propre et mon libre arbitre s'amenuisent au fur et à mesure que la lave chaude de mon bras mordu se déverse dans le reste de mon corps. Je sais ce qu'il me reste à faire, maintenant que tout est couché par écrit. J'ai encore quatre balles dans mon chargeur, c'est beaucoup plus que nécessaire. Je vais mettre un point final à cette sale affaire, c'est le moins que je puisse faire pour Grace.

Mais avant, je vais en reprendre une dernière bouchée, tout ça m'a vraiment donné très faim.

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