Un déjeuner au parc

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Nouvelles :
  • Littérature générale

— Bonjour monsieur.
Une paire de godillots s'était arrêtée devant le banc. Je levai la tête, mon sandwich à la main.
— Bonjour.
— Vous savez qu'il est interdit de donner à manger aux canards ?
— Ah ! Non... Enfin si mais voilà... je trouvais ça marrant.
Le gardien du parc hocha la tête en frappant sa main d'une matraque télescopique. Un chien noir énorme qu'il tenait en laisse retroussa les babines, de la bave en dégoulinait. Il tenta de s'approcher de moi ; le gardien le retint fermement. Il n'y avait personne aux alentours. Le temps était médiocre. Ce chien me terrorisait.
— Il n'a pas mangé depuis ce matin, m'informa le gardien d'un air entendu.
Puis il reprit :
— Donc vous trouviez ça marrant...
— Enfin je veux dire c'était juste quelques miettes de pain, du bio en plus.
— Peu importe. C'est interdit. Il y a un panneau là juste devant vous.
— C'est vrai. Je n'aurais pas dû. Je regrette.
— Tssss tsss tsss... Ce qui est fait est fait. Vous allez devoir me suivre.
— Vous suivre où ?
— Vous verrez bien.
— Vous n'avez pas le droit !
— Ah ! Ah ! Ah ! Ils disent tous ça ! Hein Dracula ?
Il donna un petit coup de matraque sur sa cuisse. À ce signal, le chien aboya. Je sursautai.
— Bon écoutez, je vous promets que je ne recommencerai plus. Je ne pensais pas que c'était aussi grave. Un peu de pain aux canards... On ne va pas en faire toute une histoire !
— Je crois que vous ne comprenez pas bien la situation.
Il frappa deux fois sa cuisse. Le chien fit un pas vers moi en me fixant. Son regard me transperçait. J'étais hypnotisé. Je me levai, sandwich à la main, et attrapai mon sac à dos posé sur le banc.
— Vous me suivez sans discuter.
J'acquiesçai. Nous traversâmes le parc, flanqués du chien qui ne me lâchait pas des yeux, et arrivâmes à la maison des gardiens, – un château miniature –, surplombée d'un pigeonnier.
— Jim ! Un client pour toi ! lança le gardien en entrant.
— Merci Jules. Ça tombe bien, j'ai ce qu'il faut.
Jim arborait un large sourire.
Nous étions dans ce qui semblait être la cuisine. Une table, deux chaises, un évier, un réchaud. Dans un coin, une poubelle avec quelques bouteilles de vin vides à terre.
— Asseyez-vous, me dit Jules. Jim va vous servir le déjeuner. Vous devez avoir faim, vous n'avez pas fini votre sandwich...
J'eus un sourire crispé et jetai un œil vers le chien à mes côtés.
— Oui, un peu, vaguement, murmurai-je.
— Ça tombe bien, vous allez vous régaler ! Hein Jim ?
— Pour sûr !
Et il déposa avec mille précautions trois petites gamelles sur la table.
Puis, sur un ton obséquieux :
— Au menu du jour : insectes variés en entrée, quelques limaces en plat principal, et une farandole de têtards pour le dessert.
— Entrée, plat, dessert... vous remarquerez qu'on ne fait pas les choses à moitié ! lança Jules, tout fier.
— Tout est de saison, précisa Jim. J'ai fait les courses ce matin dans le parc, avant l'ouverture. Fraîcheur garantie.
— C'est une blague, marmonnai-je, la voix blanche.
— Pas du tout ! C'est le régime canard ! Sans pain, désolé, me répondit Jules goguenard.
Puis il se tourna vers son collègue et ils rirent de bon cœur.
Il redevint subitement grave et se frappa trois fois la cuisse avec la matraque. Le chien s'approcha, sans me lâcher des yeux. Puis il tourna la gueule vers la table, saisit une gamelle et me la tendit.
Je la saisis. Je n'avais pas le choix. Il pouvait me déchiqueter ce con. Le chien restait debout à mes côtés, menaçant.
Les insectes passèrent à peu près, si l'on peut dire. J'eus un peu de mal avec les pattes qui s'affolaient, mais enfin... Après plusieurs haut-le-cœur, je reposai la gamelle. Puis ce fut le tour des limaces. Je fis un blocage. Celle que je saisis s'enroula autour d'un doigt. Je jetai un œil vers la troisième gamelle où les têtards frétillaient. Soudain je sentis mon estomac se révulser et je vomis. Jules et Jim rigolèrent grassement. Le chien se marrait lui aussi de tous ses crocs. J'étais défait.
— Vous êtes tout blanc, ça va ? demanda Jim.
Il me tendit une serviette en papier. Je m'essuyai la bouche.
— Bon allez, assez rigolé. Vous pouvez partir, me dit Jules.
— Dommage, on s'amusait bien, regretta Jim.
Je ne me fis pas prier. Je ramassai mon sac à dos et sortis précipitamment. Je parcourus le parc, tremblant et hagard, tentant de me détendre avant de retourner au boulot. J'hésitais à appeler ma femme pour lui raconter ce qu'il venait de m'arriver. Mais elle ne me croirait pas. Personne ne pouvait gober une telle histoire. Mes réflexions désordonnées m'amenèrent jusqu'à un banc où je reconnus Jean, un collègue détesté, en train de mastiquer un club sandwich. Je me dirigeai vers lui, reprenant mes esprits, soudain plein d'espoir, et lui confiai :
— Tu devrais en donner aux canards, ils adorent ça.

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