Je n'étais encore qu'une nymphette davantage tournée vers la nature que préoccupée par les emportements futurs liés au désir et au ravage des sens auxquels s'adonnaient certaines de mes semblables. J'aimais chasser, contempler les arbres et la végétation en écoutant le murmure de
l'eau. Comme une belle plante, j'avais besoin de cet élément liquide pour croître et embellir, ce qui, de la part de la fille du dieu fleuve était une évidence. Certains jours, quand une forme de langueur inconnue s'emparait de moi, et que des sortes de papillons voletaient dans mon ventre, je me serais
bien posée sur l'herbe tendre, nue comme au jour de ma naissance le crâne dépourvu de la chevelure abondante qui me descendait jusqu'au cou, et j'aurais attendu, assise en tailleur sur un soyeux tapis de mousse, que ma mère la terre me permette de me confondre avec toutes les fleurs merveilleuses et odorantes du Parnasse jusqu'à prendre racine. Je serais alors devenue fleur parmi les fleurs, liane,
bouquet, buisson... Les dieux, mais devrais-je plutôt dire les hommes, étant donnée leur propension à se chamailler, à tenter de prouver en permanence leur virilité ?, en décidèrent autrement, bien qu'une partie de mes souhaits finira par être exaucée, sur un mode auquel je ne m'attendais guère...
Tout commença par une dispute, somme toute banale, entre deux dieux se prenant pour des coqs : Apollon, bouffi d'orgueil, encore tout auréolé de sa victoire sur le Python qui terrorisait les peuples tout au long de la montagne, l'ayant transpercé de mille traits, croisa Cupidon s'escrimant à
courber son arc à l'aide de sa corde. Il se moqua de lui en mettant en avant ses propres exploits, le renvoyant à son rôle de médiateur de l'amour, tout juste bon à allumer ses feux à l'aide d'une torche. Le fils de Vénus prit la mouche et sous l'insulte décida de se venger. D'un battement d'ailes, il se posa sur la cime ombragée de la montagne et tira deux flèches : l'une d'elles, à la pointe dorée et aiguisée transperça le corps d'Apollon jusqu'à la moelle, sans qu'il put esquisser le moindre geste de défense, ce qui eut pour effet immédiat de le faire tomber fou amoureux de moi. L'autre me blessa
de sa pointe émoussée contenant du plomb. À l'instant même, je fus prise de terreur à l'idée d'être approchée par un homme, jusqu'à gommer de ma mémoire le nom même d'amante et ce qu'il pouvait signifier. De ce jour, je ne fis que parcourir les forêts et les bois, ignorant toute coquetterie,
ayant pour seule compagnie celle des animaux sauvages que je capturais.
Malgré l'insistance de mon père à me trouver un époux et lui donner une descendance, je m'obstinais dans mon désir de rester vierge. Le vocabulaire qu'il utilisait dans ses suppliques me remplissait de honte, en me faisant monter le rouge aux joues à l'idée du moindre commerce charnel
conjugal. Si, las de mes refus réitérés, mon père, après que je l'eus câliné plus que d'ordinaire, l'ayant fait prisonnier de mes bras, accéda enfin à ma demande, tel ne fut pas le cas d'Apollon, me poursuivant de ses assiduités, à la différence des prétendants que j'avais maintes fois éconduits. Me pourchassant sans relâche, véritablement fasciné par ce qu'il estimait être ma beauté, il mettait en avant ses origines, ses pouvoirs en matière de médecine, de divination et la souffrance qu'il éprouvait à la brûlure de son amour stérile. Le jour où il se fit trop pressant, m'ayant poursuivie
jusqu'au cœur de la forêt profonde, me bouchant les oreilles, je repris ma course éperdue, interrompant net sa logorrhée. Dans ma fuite, la brise faisait voler mes cheveux et agitait mes vêtements, ce qui fouetta davantage les sens de mon poursuivant. Tel un chien sur la piste d'un lièvre, il s'élança et aiguillonné par l'espoir que suscitait son amour, il me rattrapa bien vite. Fondant sur moi, sa proie à bout de forces et emplie de crainte, il se pencha sur mes épaules et je sentis son souffle sur mon cou. Je blêmis et désespérée, tournai mon regard vers les eaux du Pénée en priant mon père de sauver sa fille adorée, Daphné, par une métamorphose qui la délivrerait d'une beauté envahissante.
À peine avais-je achevé ma prière que mes membres s'engourdirent, qu'une mince écorce se mit à recouvrir mon ventre et mon sein délicat ; mes cheveux s'allongèrent en devenant feuillage et mes bras se changèrent en rameaux ; mes pieds que je mouvais l'instant précédent avec grâce et
agilité s'immobilisèrent, plantés en terre sous forme de racines qui m'empêchaient d'esquisser le moindre mouvement. Pour clore ma transformation, la cime d'un arbre couronna ma tête. Mes charmes ayant disparu, Apollon, cependant, m'aimait toujours. Il posa sa main sur mon tronc et sentit mon cœur qui continuait à battre sous l'écorce. Il entoura alors mes rameaux de ses bras,
couvrit de baisers le bois qui me recouvrait, obtenant pour toute réponse un rejet dû à sa rugosité.
Par désespoir et lucidité et désirant garder une trace de la ravissante nymphe que je fus, son amour toujours vivace, il décida qu'à défaut d'être son épouse, je serai son arbre, son laurier. Il me donna le détail de ses projets, à savoir que mes feuilles assemblées en couronnes seraient dorénavant
consacrées aux triomphes, aux chants et aux poèmes, qu'elles orneraient ses propres cheveux, ses cithares et ses carquois, que la pythie en mâcherait en guise de préliminaire à ses divinations. Il ajouta que ma nouvelle chevelure, à l'image de la sienne qui n'avait jamais connu le ciseau
conserverait sa jeunesse, parée d'un feuillage inaltérable. En signe d'acquiescement, j'inclinai mes branches et Apollon put également contempler ma cime s'agitant comme une tête.
l'eau. Comme une belle plante, j'avais besoin de cet élément liquide pour croître et embellir, ce qui, de la part de la fille du dieu fleuve était une évidence. Certains jours, quand une forme de langueur inconnue s'emparait de moi, et que des sortes de papillons voletaient dans mon ventre, je me serais
bien posée sur l'herbe tendre, nue comme au jour de ma naissance le crâne dépourvu de la chevelure abondante qui me descendait jusqu'au cou, et j'aurais attendu, assise en tailleur sur un soyeux tapis de mousse, que ma mère la terre me permette de me confondre avec toutes les fleurs merveilleuses et odorantes du Parnasse jusqu'à prendre racine. Je serais alors devenue fleur parmi les fleurs, liane,
bouquet, buisson... Les dieux, mais devrais-je plutôt dire les hommes, étant donnée leur propension à se chamailler, à tenter de prouver en permanence leur virilité ?, en décidèrent autrement, bien qu'une partie de mes souhaits finira par être exaucée, sur un mode auquel je ne m'attendais guère...
Tout commença par une dispute, somme toute banale, entre deux dieux se prenant pour des coqs : Apollon, bouffi d'orgueil, encore tout auréolé de sa victoire sur le Python qui terrorisait les peuples tout au long de la montagne, l'ayant transpercé de mille traits, croisa Cupidon s'escrimant à
courber son arc à l'aide de sa corde. Il se moqua de lui en mettant en avant ses propres exploits, le renvoyant à son rôle de médiateur de l'amour, tout juste bon à allumer ses feux à l'aide d'une torche. Le fils de Vénus prit la mouche et sous l'insulte décida de se venger. D'un battement d'ailes, il se posa sur la cime ombragée de la montagne et tira deux flèches : l'une d'elles, à la pointe dorée et aiguisée transperça le corps d'Apollon jusqu'à la moelle, sans qu'il put esquisser le moindre geste de défense, ce qui eut pour effet immédiat de le faire tomber fou amoureux de moi. L'autre me blessa
de sa pointe émoussée contenant du plomb. À l'instant même, je fus prise de terreur à l'idée d'être approchée par un homme, jusqu'à gommer de ma mémoire le nom même d'amante et ce qu'il pouvait signifier. De ce jour, je ne fis que parcourir les forêts et les bois, ignorant toute coquetterie,
ayant pour seule compagnie celle des animaux sauvages que je capturais.
Malgré l'insistance de mon père à me trouver un époux et lui donner une descendance, je m'obstinais dans mon désir de rester vierge. Le vocabulaire qu'il utilisait dans ses suppliques me remplissait de honte, en me faisant monter le rouge aux joues à l'idée du moindre commerce charnel
conjugal. Si, las de mes refus réitérés, mon père, après que je l'eus câliné plus que d'ordinaire, l'ayant fait prisonnier de mes bras, accéda enfin à ma demande, tel ne fut pas le cas d'Apollon, me poursuivant de ses assiduités, à la différence des prétendants que j'avais maintes fois éconduits. Me pourchassant sans relâche, véritablement fasciné par ce qu'il estimait être ma beauté, il mettait en avant ses origines, ses pouvoirs en matière de médecine, de divination et la souffrance qu'il éprouvait à la brûlure de son amour stérile. Le jour où il se fit trop pressant, m'ayant poursuivie
jusqu'au cœur de la forêt profonde, me bouchant les oreilles, je repris ma course éperdue, interrompant net sa logorrhée. Dans ma fuite, la brise faisait voler mes cheveux et agitait mes vêtements, ce qui fouetta davantage les sens de mon poursuivant. Tel un chien sur la piste d'un lièvre, il s'élança et aiguillonné par l'espoir que suscitait son amour, il me rattrapa bien vite. Fondant sur moi, sa proie à bout de forces et emplie de crainte, il se pencha sur mes épaules et je sentis son souffle sur mon cou. Je blêmis et désespérée, tournai mon regard vers les eaux du Pénée en priant mon père de sauver sa fille adorée, Daphné, par une métamorphose qui la délivrerait d'une beauté envahissante.
À peine avais-je achevé ma prière que mes membres s'engourdirent, qu'une mince écorce se mit à recouvrir mon ventre et mon sein délicat ; mes cheveux s'allongèrent en devenant feuillage et mes bras se changèrent en rameaux ; mes pieds que je mouvais l'instant précédent avec grâce et
agilité s'immobilisèrent, plantés en terre sous forme de racines qui m'empêchaient d'esquisser le moindre mouvement. Pour clore ma transformation, la cime d'un arbre couronna ma tête. Mes charmes ayant disparu, Apollon, cependant, m'aimait toujours. Il posa sa main sur mon tronc et sentit mon cœur qui continuait à battre sous l'écorce. Il entoura alors mes rameaux de ses bras,
couvrit de baisers le bois qui me recouvrait, obtenant pour toute réponse un rejet dû à sa rugosité.
Par désespoir et lucidité et désirant garder une trace de la ravissante nymphe que je fus, son amour toujours vivace, il décida qu'à défaut d'être son épouse, je serai son arbre, son laurier. Il me donna le détail de ses projets, à savoir que mes feuilles assemblées en couronnes seraient dorénavant
consacrées aux triomphes, aux chants et aux poèmes, qu'elles orneraient ses propres cheveux, ses cithares et ses carquois, que la pythie en mâcherait en guise de préliminaire à ses divinations. Il ajouta que ma nouvelle chevelure, à l'image de la sienne qui n'avait jamais connu le ciseau
conserverait sa jeunesse, parée d'un feuillage inaltérable. En signe d'acquiescement, j'inclinai mes branches et Apollon put également contempler ma cime s'agitant comme une tête.
Si le coeur vous en dit, je vous invite à une lecture : Le tableau (Cyrille Conte)
Bravo en tous cas !
La poursuite dans la forêt ,écrite dans un style à la fois élégant et nerveux,lui confère une splendide dimension dramatique.
C'est le texte brillant d'un érudit, qui "colle "parfaitement avec l'illustration qui a servi de thème,
Bravo Joël!
PS: "Cupidon, s'escrimant à COURBER son arc..."D'accord , il est question d'une nymphe très pudique ,désireuse de garder sa virginité mais tu peux sans souci écrire "BANDER" son arc. C'est le terme qui convient, ce n'est pas malpoli et ton texte ne va pas se retrouver pour ça dans les Erotiques!
Champolion
Champolion
Non seulement je suis un petit cochon mais ma connaissance d'Ovide est plus que légère!
Champolion