Quand vient du silence, pour unique tunique,
Et dans les profondeurs des corolles errantes,
Là, je ferme les yeux d'une vague
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Là, où j’arrive, tout est désolation. Je me remémorerais les premières notes de Carmina Burana. Pigalle, me voilà, « dans le bar tranquille de la rue des Martyrs ».La vie est une garce pour certains, « Of Dark Blood And Fucking », la sœur Minuit arrive en blasphémant, et de ces ogives orgasmiques, je jouis de la nuit. Comme un chien tenant une peluche, mordant de ses crocs acides et froids dans la chair meurtrie d’ouate, j’étais affamé d’une musique métallique.
Il commence à neiger, des flocons d’un blanc duvet tombent et recouvrent les trottoirs. Quelques frêles traces de pattes longeaient mes propres ébauches. Un corbin ou une corneille me suivait, étrange volatile qui m’était apparu soudainement. Je jouais pour lui, en entonnant quelques rimes de Corneille. Cela en valait le jeu, non ?
Puis, soudain, je me rappelais le poème d’Edgar Allan Poe « le corbeau », la douce aubade de folie du narrateur face à la perte de l’être aimée, et cet étranger de corbeau venu se perdre dans une chambre. Et si la scène se répétait, si à nouveau le temps d’un instant comme d’une boucle refermée sur elle-même, l’espace temps n’avait plus de valeur, Je me retrouverais en mil-huit-cent-quarante-cinq. Folie ! Ou pas.
Tout à coup, des coups de feu éclatèrent au coin d’une rue ténébreuse, d’une glissade, pacifiquement, inexorablement, d’un pas mal assuré, je m’effondrais sur le menton, de tout mon corps. A moitié assommé, la gravité pour unique amie, je m’enfonçais dans le bitume qui ramollissait, gobant mon corps mou. Je traversais des tertres inconnus jusqu’à présent, je m’enfonçais dans les sous-sols de Paris. Mes mains étaient les serrures de l’oubli. Mes mains étaient les clefs des secrets.
Je rencontrais d’étranges personnages, ubuesques. Tous ces gens étaient incommensurables grotesques, selon que je les toisais du regard de haut en bas ou de bas en haut. L’espace-temps n’avait plus d’espace que le nom. Le temps avait-il existé dans cet univers ? Je regarde ma montre gousset, le temps était figé, les aiguilles se celèrent. Plus de cliquetis, le silence a de pesant ce que le religieux avait d’existentiel.
Je venais de franchir cette autre dimension sans à-coups, le vent soufflait à l’intérieur de la cité. Des calèches léchaient les abords des trottoirs, piétinant les pavés de leurs grandes roues de bois cerclées de fer. J’évitais à l’instant un étalon noir de Friesian. Un Hussard en falzar courait après l’étalon sauvage qui venait de se désangler.
Je m’engageais dorénavant dans ce monde méconnu aux lumières chatoyantes qui contrebalançaient avec le monde du dessus.
Paris n’était plus qu’un lointain souvenir, je m’approchais d’un panneau métropolitain, un plan surement. « Plan de Sirap », une transposition ? Du verlan ? Peu importe, je trouvais la situation cocasse.
Je contemplais les bâtiments autour de moi, il y avait quelque chose de surréel, aux premiers abords, je n’avais pas vu l’invraisemblable. « Mais, comment diable font-elles pour tenir sur leurs toits ?, abasourdi, je m’imaginais l’intérieur des appartements, des bureaux, quand, je me suis rendu compte que mes pas m’avait amené devant la façade d’un flûtiste. Je m’arrêtais, et je parcourais le nom de la devanture.
Un taxi-horloge venait d’arriver. Stupéfait, je regardai l’étrange attelage moitié homme moitié carrosse, accompagné de deux chevaux noirs, Il ressemblait à un centaure, un corps d’homme, sur un plateau à roues. Je n’arrivais pas à m’en faire une description plus précise. Quand une brume hivernale s’engouffra, au départ lentement, petit à petit, grignotant les rues une par une, les avalant sans aucuns désirs.
Le taxi-horloge cria à son tour « montez, dépêchez-vous ! Vous êtes en danger, les corbins noirs vont arriver. »
– Les corbins noirs ?
– Ne cherchez pas à comprendre, montez à bord. Hurla-t-il.
La brume magistrale blafarde changea de couleur, son opacité grise, son éminence grisâtre vira vers les ténèbres, et soudain je les vis.
– Hua da, cria le cocher taxi-horloge, « plus vite mes gaillards, que la poursuite s’engage, hua ! » il claqua les brides sur les flancs des chevaux.
Un vol ténébreux de corbins s’abattait maintenant dans les ruelles adjacentes, je me retournais et je découvrais pour la première fois la menace de volatiles armées de rifles et de revolvers.
– Qu’est-ce que c’est que ces drôles d’oiseaux ?
– Des Corbilleurs ! Des corbins mitrailleurs, la milice de nos villes. Dès qu’un étranger arrive, ils survolent de leurs ombres et se déploient sur la cité. Vous êtes en danger, vous n’avez pas les passe droits pour rester ici.
– Et alors ? Comment je fais pour quitter votre cité ? J’ai traversé le bitume de Paris, un tertre et de la terre, puis votre ciel étrange, si cramoisie. Et me voilà dans votre cité Sirap. C’est comme ça qu’elle se nomme, non ?
– Tout à fait, notre cité est vieille de plusieurs millénaires, Sirap la grande, elle s’étend du haut des cascades jusqu’au travers des champs de l’horizon pourpre. Je crois savoir qui pourrait vous trouver la solution pour repartir d’ici. Le Grand Chapouge.
– Le quoi ?
– Le Chapouge. Elle est la reine de Sirap. Vous verrez, un joli brin de fille. Hua da, Sobriquet. Hua da, Festin.
Les corbilleurs se rapprochaient de plus en plus près du centaure taxi, je sentais leurs piaillements stridents, et les balles fusaient de toutes parts autour de moi et une volée de mitraille s’écrasa dans une devanture d’horlogerie. Ce fut une cacophonie des plus monstrueuses. Comme le semblant d’une représentation des chants grégoriens de Carl Orff, de son Carmina Burana, quelques chevaux, attachés à un réverbères, se détachèrent de leurs rênes par la force enragée de la peur, se sauvèrent, retardant quelques instants les corbilleurs poursuiveurs.
Ce laps de temps gagné, nous permit de nous enfoncer sous un porche sombre. Il y avait de vieilles affiches d’une femme d’une beauté radieuse et d’une personnalité rayonnante. Une femme qui exulte la gente masculine par une grâce féminine jusque là inconnue. Et cela juste par le biais d’une affiche, j’étais devenu fou d’amour au regard porté aux affiches.
– Cessez de contempler ces affiches, jeune homme. Beaucoup de gens sont morts pour elles. Il y a une magie démesurée qui demeure dans ces vieilleries d’un autre âge. Venez, suivez-moi, nous allons grimper aux étages.
Il tira sur ses bras comme s’il voulait s’arracher de la base de la plateforme. Son corps de centaure se détachait de la plateforme, il chuta sur le sol, fatigué par un tel effort inconcevable.
– Qu’il est toujours douloureux de s’arracher du taxi, vous ne savez pas, vous ne pouvez pas comprendre. C’est comme mourir et naitre en même temps. Reprenant son souffle, il continua « il faut patienter quelques minutes, le temps que la partie manquante de mon corps pousse, vous comprenez pourquoi je parlais de naissance ? »
L’inconcevable spectacle qui s’offrait à mes yeux ébahis ; du tronc manquant poussait le reste du corps, l’arrière train d’un étalon au poil lustré et noir comme l’ébène, les pattes encore frêle, il se remit debout sur ses quatre jambes.
– Qu’est-ce que c’est douloureux, j’ai beau être habitué à ces renaissances. Allons, venez maintenant, allons la voir.
Je le suivais pendant qu’il grimpait l’escalier de service du bâtiment. Je discernais les caméras à différents coins des halls et des corridors que nous longions, une lumière rouge clignotait ; « aucun doute, nous sommes filmés, les moindres faits et gestes sont scrutés par des yeux inconnus. », pensais-je.
Soudain, au détour d’un angle droit, des hommes étranges surgirent, armés de kalachnikov et de Beretta. Ils étaient étranges, les corps étaient surmontaient de mains armées, des yeux au bout des doigts.
– Des hommes-de-main, attention, ils ne nous ont pas vu, cachons nous là dans ce débarras. Me chuchota le Centaure.
Nous nous glissâmes dans la pièce exigüe, et nous regardâmes les hommes-de-main traverser le corridor. Ils passèrent devant nous, sans se rendre compte de notre présence. Si, seulement si, je n’avais pas marché sur une clef musicale de sonorité Fa qui gisait sur le sol.
– Oh la, messire, vous m’écrasez la tête d’Ut ! Cria-t-il sans ménagement. Et il se sauva au travers l’ouverture de la porte, se faufilant entre les jambes des hommes-de-main.
– Qu’est-ce donc ? S’écria un des hommes armés. Et se retournant vers la porte entrebâillée, il nous vit. « Ils sont là », s’écria-t-il à nouveau de sa voix perçante.
Je sortis mon violon et mon Walter PPK, de la main gauche, je jouais la « danse macabre » de Saint-Saëns et tira à la volée avec mon Walter. Les hommes-de-main tombaient un par un. L’exécutif du plomb dans leurs cervelles de mains faisait éclater la chair et leurs yeux globuleux, le sang jaillissait et éclaboussait les parois des corridors. Ce faisceau de vie dessinait des arabesques d’une grande beauté pourpre et cramoisie et annotait des partitions musicales imaginaires sur les murs délavés.
– Je n’ai jamais vu quelqu’un abattre de cette façon, des hommes-de-main. Me dit-il, suivez-moi, nous avons encore une petite distance à parcourir, il ne faudrait pas que ce vacarme ait alerté les Gardiens-du-temps.
– Les Gardiens-du-temps ? Qu’est-ce donc cela encore ! Répondis-je étonné et subjugué.
– Les Gardiens-du-temps sont des tueurs de la Reine Mathilda, la Reine Noire. Elle sévit dans les bas quartiers de la cité de Sirap et veut s’approprier notre capitale. Elle espère mettre la ville à feu et à sang, déversant ses fûts d’alcools frelatés d’Absinthes et sa drogue, le Mescaliton. Venez, le temps nous presse, tout est question de temps. Regardez la pendule murale, les aiguilles ont commencé à reculer, ils vont bientôt arriver. Dépêchons-nous. Dit-il.
Nous nous précipitâmes vers la porte 215, et il tourna la poignée, le Centaure écarta la porte pour me laisser entrer dans la pièce légèrement obscure. Au bout de cette salle, trois ascenseurs, le premier indiquait « vers le bas », le second « vers le haut », le troisième, « en arrière toute ».
– Prenez celui de droite, « en arrière toute », nous allons changer de bâtiments. Dépêchez-vous, je les vois sortir de l’escalier principal.
Je me retournais, tout en m’engouffrant dans l’étrange ascenseur sans boutons. Et je les aperçus. Sur leurs épaules se tenaient comme des coucous Suisses, dans leurs mains des armes inconnues à aiguilles. En nous voyant, ils firent feu dans notre direction, les aiguilles s’envolèrent et des ailes d’argent se déployèrent.
Le Centaure me rejoignit dans l’ascenseur. Pendant qu’il refermait la porte vitrée d’une main, il me repoussait de l’autre, violemment. Juste à temps pour voir s’abattre une volée d’aiguilles qui se figeait contre la paroi, faisant éclater la verrière protectrice de l’ascenseur.
– Il était moins une qu’elles ne vous touchent. Une seule piqûre du temps, et vous tombez dans une léthargie profonde. « En arrière toute », s’écria le Centaure, dans un haut-parleur que je n’avais pas discerné dans un premier temps.
L’ascenseur vibra sur sa base et commençait à glisser le long des parois horizontales. Nous avancions dans l’obscurité de la face cachée des bâtiments de la ville, lorsque celui-ci s’inclina légèrement. L’angle par la suite prit une courbure déraisonnable, je m’adossais à la paroi, le Centaure fit de même.
– Encore quelques minutes, mon ami, nous touchons au but de notre destination.
– Nous allons la voir, votre Dame, le Chapouge ? C’est cela !
– Non, non, je ne dirais rien, tant que vous ne l’aurez pas vu. Répondit le Centaure.
L’ascenseur commença à se redresser et atténua sa vitesse. Il s’arrêta net.
– Nous sommes arrivés ?
– Oui, elle sait déjà que nous sommes là. Tout ce qu’il se passe dans la cité Sirap, elle le sait déjà. Il baissa les yeux vers moi et continua « Vous allez enfin découvrir le Chapouge ».
Il ouvrit la porte en grand, j’entrais dans une pièce majestueuse aux lumières chatoyantes. Un trône vacant dans une semi obscurité, un autre occupé par une femme à la peau cuivrée, au teint vermillon. Son regard était souligné par des lignes bleues qui ondulaient sur son visage comme les océans ondulaient à travers les récifs.
Sa chevelure auburn était raccordée par des filaments tressés qui descendaient du plafond. Les fibrilles de lumières dansaient autour d’elle. Les illuminations montaient et descendaient comme de simples va-et-vient de vie électrique, pulsion de ses envies.
– Vous voilà enfin, cela fait des siècles que je vous attendais. Je suis Magdeleine, Comtesse du Grand-duché de Sirap.
Je compris en la dévisageant, que ce surnom de Chapouge venait de sa capeline de couleur rouge, presque pourpre. La couleur de la cité Sirap, la couleur du sang. Chapouge pour Chaperon Rouge, une contraction simple d’une histoire tellement lu et si évidente.
Elle avait grandi. Ce chaperon rouge des temps modernes était devenu la Bienveillante Magdeleine, de la cité Sirap. Ses yeux d’une grande profondeur continuaient à me dévisager.
– Vous êtes tel que je me l’imaginais. J’ai toujours su que vous viendrez à moi. Vous avez amené avec vous votre violon ? Nous finirons par avoir à nouveau notre chance. Elle se mit à rire. D’un éclat de rire qui s’approche des éclats de Bohème.
– Comment connaissez-vous mon nom ? Comment diable avez-vous su que j’avais ce violon ? Troublé, je la regardais.
– Ne suis-je pas celle qui donne la vie et qui la reprend dans ma cité ? N’ai-je point le droit de connaitre l’avenir. Et je vous ai vu à travers mes songes, vous, votre violon et votre Walther PPK. Charles, venez à moi, j’ai tant besoin de vous. Elle me sourit à nouveau, me tendant une main bienveillante.
– Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Balbutiais-je, pas très sur de moi.
– Un mariage, un meurtre, une solution à notre cité mourante. Tout cela et peu importe l’ordre, j’ai besoin de vous, Charly ! Offrez-moi la tête de la Reine Noire. Eclata-t-elle dans un rire cristallin.
– Peu importe le prix ? En êtes-vous certaine ? J’espérais ainsi gagner un peu de temps. Des meurtres j’en avais commis pour la pègre, mais tuer une femme, je n’avais jamais réalisé un tel exploit.
– Vous avez vingt-quatre heures pour réaliser cette besogne, la récompense sera à la hauteur de vos désirs. Croyez-moi, je n’ai qu’une parole, et je la tiens toujours.
– Qu’il en soit ainsi, Comtesse. J’accomplirai cette tâche. J’aurais besoin d’être accompagné jusqu’à la demeure de la Reine Noire. Je ne suis qu’un étranger dans cette cité. Il me faut un guide.
- Soit ! Le Centaure t’amènera jusqu’à son repaire. Un dernier point que tu dois savoir avant tout, ne la fixe jamais dans les yeux. A tes risques et périls, tu échouerais dans ton devoir, et notre cité serait à jamais perdue entre ses mains. Va, maintenant, va et effectue ton destin. Mon ami.
Elle fit signe de la main, et quelques garde-fous s’avancèrent d’une démarche mal aisée. Les garde-fous m’apportèrent un vieux parchemin, je dépliais la carte, et je m’appropriais du tracé qui menait vers le quartier de la Vieille-Morte, et le repaire de la Reine Noire, Mathilda.
- Charles, n’oubliez pas, Sirap est entre vos mains, réussissez, je compte sur vous. Me dit la Comtesse pourpre.
Nous partîmes de la résidence du Chapouge. Me voilà fin près pour un nouveau périple, par où commençait maintenant, mon ventre gargouillait, aurais-je le temps de manger un encas sur le pouce ?
- Centaure, je ne connais pas votre nom au fait, avec toutes ces péripéties, il serait peut être temps de faire connaissance en chemin, non.
- Je me nomme Hectorien, notre rôle dans la cité de Sirap est de conduire les âmes perdues entre les différents quartiers. Certains sont porteurs de temps, d’autres simplement des coursiers à la semaine. Moi comme vous avez pu le constater, je suis Taxien et Horlogien. Ainsi, j’apporte aux personnes ayant besoin d’une aide providentielle, le temps et les informations demandés.
- Je comprends mieux votre rôle dans Sirap. J’ai faim, où pourrions-nous dîner ?
- Il y a un restaurant fort sympathique, près de la gare aérienne du beffroi du Cherche-Midi. Vous avez dû voir les connections entre sa chevelure et les filaments électriques, elle commande tout à partir de ses neurones. Elle est la mémoire de Sirap.
- Très bien, cela me suffit, allons-y mon Hectorien. Au fait, l’argent, le moyen de paiement qu’en est-il ? Je ne suis pas sur d’avoir ce qu’il faut, comme étranger, je devrais peut être faire un échange.
- Pas d’inquiétudes à se faire, ici le fiduciaire c’est l’espace-temps. Tous les Sirapiens sont payés en temps, l’achat de nourriture, du temps, l’amour avec des prostiputes, du temps encore. Le temps c’est de l’argent.
Après avoir savouré les différents plats qui s’étaient présentés sur la tablée, Hectorien paya en posant sa paume sur une sorte de machine électrique. Un halo bleu accompagné d’un crissement électronique me fit comprendre que l’échange Espace-Temps fut saisi.
- La note est réglée, partons maintenant. Dit-il avec ferveur.
- Où allons nous, j’ai bien vu la carte, le tracé, mais cela me semble si loin.
- Montez, vous allez voir, un petit tour de passe-passe de la part d’une ancienne horde. Dans la cité, nous faisons parti des plus vieilles lignées, les Sirapiens ont beaucoup de respects envers nous, les Centaures.
Je grimpais sur son dos pour la troisième fois, je commençais à m’habituer à son pelage et au cuir de sa peau. Cette odeur âcre, une certaine animosité malgré tout demeurait en mon for intérieur.
- Accrochez-vous à moi, je vais créer le passage.
Le Centaure émit un hurlement intemporel, « il existe d’abondantes dispositions pour se propager dans Sirap, pour celui qui connait la force des substances de toutes choses », me dit-il en souriant. Je contemplais le passage créé, son aura était d’un bleu électrique avec des arcs violacés qui s’étendaient et s’allongeaient de l’intérieur vers l’extérieur. S’amenuisant vers le précipice ouvert devant nous.
- Maintenant, nous devons partir avant que le béant ne se referme.
Et il fonçait dans l’ouverture, je ressenti une sensation ascensionnelle de liberté, une jouissance de la vie des formes supérieures vers le divin. Quelques instants plus tard, nous arrivâmes à destination dans une ruelle étroite.
- Nous y sommes, je vais devoir vous laisser là, je ne pourrais pas continuer plus en avant, ce quartier de notre cité m’est en théorie interdite. Nous, les Centaures avons scellé un pacte de droits et d’interdits. Et ici, cela fait parti de l’interdit. Désolé, vous devriez continuer seul maintenant. La résidence, que vous chercherez, sera juste devant le « sanctuaire », un bar miteux. Suivez la ruelle et prenez à votre gauche, vous n’êtes plus très loin.
- Merci mon ami, vous reverrais-je ?
- Peut-être, peut-être pas. Seul votre destin le décidera. Adieu humain. Il se retourna sans d’autres mots.
Je m’éloignais de lui, j’entendis à nouveau son cri et l’air s’engouffra dans la ruelle, poussé par des arcs électriques. Une lumière vive éclaira un instant une partie des ténèbres. Je me retournais, il n’y avait plus rien de lui, juste une volute de fumée violacée qui disparaissait en une infime exposition de nuages pourpres, puis plus rien. Le silence se fit.
J’avançais dans la ruelle jusqu’au prochain carrefour, je dégainais mon Walther PPK et je sortis de mon étui le violon. Mon sixième sens m’alertait d’un danger imminent. Quelques enfants s’approchaient de moi, mais ils avaient l’air si difforme. Je me rendis compte que ce n’était pas des enfants, juste des nains. Des gnomes drapés de vêtements amples et sombres. Puis ils s’élancèrent sur moi, tenant en mains une sorte de Katana. Je fis feu et avec dextérité je m’envolais avec le répertoire de Philip Glass, Mishima était incontestablement le lyrisme et le paroxysme de mon savoir faire en tant que tueur à gage. Les Gnomes pleuvaient comme des mouches sur le bitume qui prenait la couleur du cramoisie de nos cœurs.
Le silence revint à la fin du carnage, je discernais maintenant les visages de mes agresseurs, des gnomes comme je le pensais et tel que je me l’imaginais, difforme, grossier, un rien de lourd dans ces corps trop étroits. Je me relevais et rechargeais mon Walther PPK, au cas où d’autres mauvaises surprises m’attendaient.
L’air se faisait lourd, oppressant, comprimant mes poumons, l’odeur du gaz, mêlé aux schistes, une odeur d’œufs pourris était fort désagréable. L’antre de Dante, ainsi je voyais l’enfer de cette rue. J’arrivais devant un grand bâtiment, des périptères de style grec ornaient la façade, l’entrée ressemblait à une porte-tambour toute vitrée sans aucuns styles définis et au-dessus des bucranes en granit reposaient comme des gardiens endormis.
Dans le reflet de la surface vitrée, je contemplais des néons qui illuminaient par intermittence la façade terne et sombre. Je me retournais, et je lus « Au sanctuaire – Ouvert 7 j/7 ». J’étais au bon endroit, il fallait que je reste sur mes gardes maintenant, la sensation de danger parcourait le long de mon corps comme si j’avais renversé du poil à gratter dans ma chemise.
Je poussais le tambour de la porte et suivait le mouvement rotatif, l’entrée était teintée de lumières orangées et d’une autre couleur qui s’approchait des jaunes boutons-d’or, la lumière diffusait sans être aveuglante, on ressentait une impression de bien-être, si je ne savais pas que j’étais dans l’antre de la Reine Noire. Un portier, derrière son comptoir, me souriait : « Monsieur désire ? » me lança-t-il d’un air solennel.
- Je viens voir la Reine Noire, je fis d’une certaine contenance. Sûr de mon destin et de mon avenir, il était impossible de reculer. Si proche du but et de ma destinée.
- Elle vous attend, cinquième étage, porte 569, couloir B. je le regardais et j’essayais de conserver une attitude métallique et de ne pas montrer mes émotions. De toute façon un assassin n’a plus d’affectivité à un moment donné. Juste la sensation de froidure qui coule dans les veines.
Décidément, rien ne m’étonnera dans cette cité. Je prenais l’ascenseur, j’appuyais sur le bouton du cinquième, et au moment où les portes se refermaient, une main féminine s’intercala dans l’entrebâillement, déclenchant par obstruction son ouverture.
- Ouf, il était plus que temps, me fit-elle en souriant. Vous allez au cinquième moi aussi. Vous n’êtes pas du quartier ?
- Non, en effet, je suis étranger à cette cité.
Elle appuya sur le bouton de fermeture des portes et se tournant vers le miroir, s’appliqua le stick de rouge-à-lèvre délicatement. Je la contemplais, il y avait un parfum délicat envoûtant de roses charnelles qui flottait dans la pièce exigüe de la cage d’ascenseur. Elle reclapa le stick dans son étui et le remit dans son sac.
- Je m’appelle Mathilda. Dit-elle en s’approchant de moi. Vous êtes venu pour moi, n’est-ce pas ?
Elle souriait comme si elle avait toujours su. Elle souriait comme si son destin funeste fut d’attendre cet instant. Et elle m’embrassa.
Je sentis la lame froide s’enfoncer dans mon flanc droit, un liquide chaud s’écoulait lentement, une liqueur de vie cramoisie rosissait ma chemise blanche. Elle s’écarta de moi, et pendant que je chutais lentement vers le sol, elle continuait à me parler « désolé que cela se passe ainsi, je vous trouvais intéressant pour un étranger. Mais jusqu’à présent, personne n’a réussi à m’assassiner. Et ce n’est pas ce soir que ce moment arrivera. »
L’ascenseur s’arrêta au cinquième, elle sortit et fit signe à deux gardes du corps. Malgré ma vue troublée, je me vis soulever du sol par des mains costauds, le souffle difficile. La douleur était vive. Je ressentis une dernière fois l’air vif du dehors lorsqu’ils ouvrirent la fenêtre. Puis le vide, quand ils me basculèrent par-dessus le parapet de la fenêtre.
Le froid de la mort m’accueillait sur le bitume. Dernier réceptacle de mon âme, insouciant des formes de vie autour de moi maintenant, inconscient d’un quelconque danger autour de ma carcasse écrasée qui jonchait sur le sol dès à présent.
Quand les crissements des roues d’une voiture au loin se firent plus bruyants, je revenais à moi. Ne vous l’avais-je pas annoncé que d’une glissade, pacifiquement, inexorablement, d’un pas mal assuré, je m’étais effondré sur le menton, de tout mon corps. A moitié assommé, la gravité pour unique amie.
Après tout, ce ne fut qu’un simple rêve. La réalité m’attend, je me relevais, balaya d’une main mon imperméable légèrement froissé. Et sorti le billet annoté, je relus les directives « assassiner le Comte Hectorien de Slavord, au club du Sanctuaire », je souris.
- Cher comte, une musique de chambre vous attend. Pensais-je en caressant mon Walther PPK et mon étui à violon.
Je m’éloignais dans les rues de Paris vers ma proie désignée. Le brouillard m’enveloppait à présent, j’avançais vers ma destinée de tueur à gage.
© Patrice Merelle
Il commence à neiger, des flocons d’un blanc duvet tombent et recouvrent les trottoirs. Quelques frêles traces de pattes longeaient mes propres ébauches. Un corbin ou une corneille me suivait, étrange volatile qui m’était apparu soudainement. Je jouais pour lui, en entonnant quelques rimes de Corneille. Cela en valait le jeu, non ?
Puis, soudain, je me rappelais le poème d’Edgar Allan Poe « le corbeau », la douce aubade de folie du narrateur face à la perte de l’être aimée, et cet étranger de corbeau venu se perdre dans une chambre. Et si la scène se répétait, si à nouveau le temps d’un instant comme d’une boucle refermée sur elle-même, l’espace temps n’avait plus de valeur, Je me retrouverais en mil-huit-cent-quarante-cinq. Folie ! Ou pas.
Tout à coup, des coups de feu éclatèrent au coin d’une rue ténébreuse, d’une glissade, pacifiquement, inexorablement, d’un pas mal assuré, je m’effondrais sur le menton, de tout mon corps. A moitié assommé, la gravité pour unique amie, je m’enfonçais dans le bitume qui ramollissait, gobant mon corps mou. Je traversais des tertres inconnus jusqu’à présent, je m’enfonçais dans les sous-sols de Paris. Mes mains étaient les serrures de l’oubli. Mes mains étaient les clefs des secrets.
Je rencontrais d’étranges personnages, ubuesques. Tous ces gens étaient incommensurables grotesques, selon que je les toisais du regard de haut en bas ou de bas en haut. L’espace-temps n’avait plus d’espace que le nom. Le temps avait-il existé dans cet univers ? Je regarde ma montre gousset, le temps était figé, les aiguilles se celèrent. Plus de cliquetis, le silence a de pesant ce que le religieux avait d’existentiel.
Je venais de franchir cette autre dimension sans à-coups, le vent soufflait à l’intérieur de la cité. Des calèches léchaient les abords des trottoirs, piétinant les pavés de leurs grandes roues de bois cerclées de fer. J’évitais à l’instant un étalon noir de Friesian. Un Hussard en falzar courait après l’étalon sauvage qui venait de se désangler.
Je m’engageais dorénavant dans ce monde méconnu aux lumières chatoyantes qui contrebalançaient avec le monde du dessus.
Paris n’était plus qu’un lointain souvenir, je m’approchais d’un panneau métropolitain, un plan surement. « Plan de Sirap », une transposition ? Du verlan ? Peu importe, je trouvais la situation cocasse.
Je contemplais les bâtiments autour de moi, il y avait quelque chose de surréel, aux premiers abords, je n’avais pas vu l’invraisemblable. « Mais, comment diable font-elles pour tenir sur leurs toits ?, abasourdi, je m’imaginais l’intérieur des appartements, des bureaux, quand, je me suis rendu compte que mes pas m’avait amené devant la façade d’un flûtiste. Je m’arrêtais, et je parcourais le nom de la devanture.
Un taxi-horloge venait d’arriver. Stupéfait, je regardai l’étrange attelage moitié homme moitié carrosse, accompagné de deux chevaux noirs, Il ressemblait à un centaure, un corps d’homme, sur un plateau à roues. Je n’arrivais pas à m’en faire une description plus précise. Quand une brume hivernale s’engouffra, au départ lentement, petit à petit, grignotant les rues une par une, les avalant sans aucuns désirs.
Le taxi-horloge cria à son tour « montez, dépêchez-vous ! Vous êtes en danger, les corbins noirs vont arriver. »
– Les corbins noirs ?
– Ne cherchez pas à comprendre, montez à bord. Hurla-t-il.
La brume magistrale blafarde changea de couleur, son opacité grise, son éminence grisâtre vira vers les ténèbres, et soudain je les vis.
– Hua da, cria le cocher taxi-horloge, « plus vite mes gaillards, que la poursuite s’engage, hua ! » il claqua les brides sur les flancs des chevaux.
Un vol ténébreux de corbins s’abattait maintenant dans les ruelles adjacentes, je me retournais et je découvrais pour la première fois la menace de volatiles armées de rifles et de revolvers.
– Qu’est-ce que c’est que ces drôles d’oiseaux ?
– Des Corbilleurs ! Des corbins mitrailleurs, la milice de nos villes. Dès qu’un étranger arrive, ils survolent de leurs ombres et se déploient sur la cité. Vous êtes en danger, vous n’avez pas les passe droits pour rester ici.
– Et alors ? Comment je fais pour quitter votre cité ? J’ai traversé le bitume de Paris, un tertre et de la terre, puis votre ciel étrange, si cramoisie. Et me voilà dans votre cité Sirap. C’est comme ça qu’elle se nomme, non ?
– Tout à fait, notre cité est vieille de plusieurs millénaires, Sirap la grande, elle s’étend du haut des cascades jusqu’au travers des champs de l’horizon pourpre. Je crois savoir qui pourrait vous trouver la solution pour repartir d’ici. Le Grand Chapouge.
– Le quoi ?
– Le Chapouge. Elle est la reine de Sirap. Vous verrez, un joli brin de fille. Hua da, Sobriquet. Hua da, Festin.
Les corbilleurs se rapprochaient de plus en plus près du centaure taxi, je sentais leurs piaillements stridents, et les balles fusaient de toutes parts autour de moi et une volée de mitraille s’écrasa dans une devanture d’horlogerie. Ce fut une cacophonie des plus monstrueuses. Comme le semblant d’une représentation des chants grégoriens de Carl Orff, de son Carmina Burana, quelques chevaux, attachés à un réverbères, se détachèrent de leurs rênes par la force enragée de la peur, se sauvèrent, retardant quelques instants les corbilleurs poursuiveurs.
Ce laps de temps gagné, nous permit de nous enfoncer sous un porche sombre. Il y avait de vieilles affiches d’une femme d’une beauté radieuse et d’une personnalité rayonnante. Une femme qui exulte la gente masculine par une grâce féminine jusque là inconnue. Et cela juste par le biais d’une affiche, j’étais devenu fou d’amour au regard porté aux affiches.
– Cessez de contempler ces affiches, jeune homme. Beaucoup de gens sont morts pour elles. Il y a une magie démesurée qui demeure dans ces vieilleries d’un autre âge. Venez, suivez-moi, nous allons grimper aux étages.
Il tira sur ses bras comme s’il voulait s’arracher de la base de la plateforme. Son corps de centaure se détachait de la plateforme, il chuta sur le sol, fatigué par un tel effort inconcevable.
– Qu’il est toujours douloureux de s’arracher du taxi, vous ne savez pas, vous ne pouvez pas comprendre. C’est comme mourir et naitre en même temps. Reprenant son souffle, il continua « il faut patienter quelques minutes, le temps que la partie manquante de mon corps pousse, vous comprenez pourquoi je parlais de naissance ? »
L’inconcevable spectacle qui s’offrait à mes yeux ébahis ; du tronc manquant poussait le reste du corps, l’arrière train d’un étalon au poil lustré et noir comme l’ébène, les pattes encore frêle, il se remit debout sur ses quatre jambes.
– Qu’est-ce que c’est douloureux, j’ai beau être habitué à ces renaissances. Allons, venez maintenant, allons la voir.
Je le suivais pendant qu’il grimpait l’escalier de service du bâtiment. Je discernais les caméras à différents coins des halls et des corridors que nous longions, une lumière rouge clignotait ; « aucun doute, nous sommes filmés, les moindres faits et gestes sont scrutés par des yeux inconnus. », pensais-je.
Soudain, au détour d’un angle droit, des hommes étranges surgirent, armés de kalachnikov et de Beretta. Ils étaient étranges, les corps étaient surmontaient de mains armées, des yeux au bout des doigts.
– Des hommes-de-main, attention, ils ne nous ont pas vu, cachons nous là dans ce débarras. Me chuchota le Centaure.
Nous nous glissâmes dans la pièce exigüe, et nous regardâmes les hommes-de-main traverser le corridor. Ils passèrent devant nous, sans se rendre compte de notre présence. Si, seulement si, je n’avais pas marché sur une clef musicale de sonorité Fa qui gisait sur le sol.
– Oh la, messire, vous m’écrasez la tête d’Ut ! Cria-t-il sans ménagement. Et il se sauva au travers l’ouverture de la porte, se faufilant entre les jambes des hommes-de-main.
– Qu’est-ce donc ? S’écria un des hommes armés. Et se retournant vers la porte entrebâillée, il nous vit. « Ils sont là », s’écria-t-il à nouveau de sa voix perçante.
Je sortis mon violon et mon Walter PPK, de la main gauche, je jouais la « danse macabre » de Saint-Saëns et tira à la volée avec mon Walter. Les hommes-de-main tombaient un par un. L’exécutif du plomb dans leurs cervelles de mains faisait éclater la chair et leurs yeux globuleux, le sang jaillissait et éclaboussait les parois des corridors. Ce faisceau de vie dessinait des arabesques d’une grande beauté pourpre et cramoisie et annotait des partitions musicales imaginaires sur les murs délavés.
– Je n’ai jamais vu quelqu’un abattre de cette façon, des hommes-de-main. Me dit-il, suivez-moi, nous avons encore une petite distance à parcourir, il ne faudrait pas que ce vacarme ait alerté les Gardiens-du-temps.
– Les Gardiens-du-temps ? Qu’est-ce donc cela encore ! Répondis-je étonné et subjugué.
– Les Gardiens-du-temps sont des tueurs de la Reine Mathilda, la Reine Noire. Elle sévit dans les bas quartiers de la cité de Sirap et veut s’approprier notre capitale. Elle espère mettre la ville à feu et à sang, déversant ses fûts d’alcools frelatés d’Absinthes et sa drogue, le Mescaliton. Venez, le temps nous presse, tout est question de temps. Regardez la pendule murale, les aiguilles ont commencé à reculer, ils vont bientôt arriver. Dépêchons-nous. Dit-il.
Nous nous précipitâmes vers la porte 215, et il tourna la poignée, le Centaure écarta la porte pour me laisser entrer dans la pièce légèrement obscure. Au bout de cette salle, trois ascenseurs, le premier indiquait « vers le bas », le second « vers le haut », le troisième, « en arrière toute ».
– Prenez celui de droite, « en arrière toute », nous allons changer de bâtiments. Dépêchez-vous, je les vois sortir de l’escalier principal.
Je me retournais, tout en m’engouffrant dans l’étrange ascenseur sans boutons. Et je les aperçus. Sur leurs épaules se tenaient comme des coucous Suisses, dans leurs mains des armes inconnues à aiguilles. En nous voyant, ils firent feu dans notre direction, les aiguilles s’envolèrent et des ailes d’argent se déployèrent.
Le Centaure me rejoignit dans l’ascenseur. Pendant qu’il refermait la porte vitrée d’une main, il me repoussait de l’autre, violemment. Juste à temps pour voir s’abattre une volée d’aiguilles qui se figeait contre la paroi, faisant éclater la verrière protectrice de l’ascenseur.
– Il était moins une qu’elles ne vous touchent. Une seule piqûre du temps, et vous tombez dans une léthargie profonde. « En arrière toute », s’écria le Centaure, dans un haut-parleur que je n’avais pas discerné dans un premier temps.
L’ascenseur vibra sur sa base et commençait à glisser le long des parois horizontales. Nous avancions dans l’obscurité de la face cachée des bâtiments de la ville, lorsque celui-ci s’inclina légèrement. L’angle par la suite prit une courbure déraisonnable, je m’adossais à la paroi, le Centaure fit de même.
– Encore quelques minutes, mon ami, nous touchons au but de notre destination.
– Nous allons la voir, votre Dame, le Chapouge ? C’est cela !
– Non, non, je ne dirais rien, tant que vous ne l’aurez pas vu. Répondit le Centaure.
L’ascenseur commença à se redresser et atténua sa vitesse. Il s’arrêta net.
– Nous sommes arrivés ?
– Oui, elle sait déjà que nous sommes là. Tout ce qu’il se passe dans la cité Sirap, elle le sait déjà. Il baissa les yeux vers moi et continua « Vous allez enfin découvrir le Chapouge ».
Il ouvrit la porte en grand, j’entrais dans une pièce majestueuse aux lumières chatoyantes. Un trône vacant dans une semi obscurité, un autre occupé par une femme à la peau cuivrée, au teint vermillon. Son regard était souligné par des lignes bleues qui ondulaient sur son visage comme les océans ondulaient à travers les récifs.
Sa chevelure auburn était raccordée par des filaments tressés qui descendaient du plafond. Les fibrilles de lumières dansaient autour d’elle. Les illuminations montaient et descendaient comme de simples va-et-vient de vie électrique, pulsion de ses envies.
– Vous voilà enfin, cela fait des siècles que je vous attendais. Je suis Magdeleine, Comtesse du Grand-duché de Sirap.
Je compris en la dévisageant, que ce surnom de Chapouge venait de sa capeline de couleur rouge, presque pourpre. La couleur de la cité Sirap, la couleur du sang. Chapouge pour Chaperon Rouge, une contraction simple d’une histoire tellement lu et si évidente.
Elle avait grandi. Ce chaperon rouge des temps modernes était devenu la Bienveillante Magdeleine, de la cité Sirap. Ses yeux d’une grande profondeur continuaient à me dévisager.
– Vous êtes tel que je me l’imaginais. J’ai toujours su que vous viendrez à moi. Vous avez amené avec vous votre violon ? Nous finirons par avoir à nouveau notre chance. Elle se mit à rire. D’un éclat de rire qui s’approche des éclats de Bohème.
– Comment connaissez-vous mon nom ? Comment diable avez-vous su que j’avais ce violon ? Troublé, je la regardais.
– Ne suis-je pas celle qui donne la vie et qui la reprend dans ma cité ? N’ai-je point le droit de connaitre l’avenir. Et je vous ai vu à travers mes songes, vous, votre violon et votre Walther PPK. Charles, venez à moi, j’ai tant besoin de vous. Elle me sourit à nouveau, me tendant une main bienveillante.
– Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Balbutiais-je, pas très sur de moi.
– Un mariage, un meurtre, une solution à notre cité mourante. Tout cela et peu importe l’ordre, j’ai besoin de vous, Charly ! Offrez-moi la tête de la Reine Noire. Eclata-t-elle dans un rire cristallin.
– Peu importe le prix ? En êtes-vous certaine ? J’espérais ainsi gagner un peu de temps. Des meurtres j’en avais commis pour la pègre, mais tuer une femme, je n’avais jamais réalisé un tel exploit.
– Vous avez vingt-quatre heures pour réaliser cette besogne, la récompense sera à la hauteur de vos désirs. Croyez-moi, je n’ai qu’une parole, et je la tiens toujours.
– Qu’il en soit ainsi, Comtesse. J’accomplirai cette tâche. J’aurais besoin d’être accompagné jusqu’à la demeure de la Reine Noire. Je ne suis qu’un étranger dans cette cité. Il me faut un guide.
- Soit ! Le Centaure t’amènera jusqu’à son repaire. Un dernier point que tu dois savoir avant tout, ne la fixe jamais dans les yeux. A tes risques et périls, tu échouerais dans ton devoir, et notre cité serait à jamais perdue entre ses mains. Va, maintenant, va et effectue ton destin. Mon ami.
Elle fit signe de la main, et quelques garde-fous s’avancèrent d’une démarche mal aisée. Les garde-fous m’apportèrent un vieux parchemin, je dépliais la carte, et je m’appropriais du tracé qui menait vers le quartier de la Vieille-Morte, et le repaire de la Reine Noire, Mathilda.
- Charles, n’oubliez pas, Sirap est entre vos mains, réussissez, je compte sur vous. Me dit la Comtesse pourpre.
Nous partîmes de la résidence du Chapouge. Me voilà fin près pour un nouveau périple, par où commençait maintenant, mon ventre gargouillait, aurais-je le temps de manger un encas sur le pouce ?
- Centaure, je ne connais pas votre nom au fait, avec toutes ces péripéties, il serait peut être temps de faire connaissance en chemin, non.
- Je me nomme Hectorien, notre rôle dans la cité de Sirap est de conduire les âmes perdues entre les différents quartiers. Certains sont porteurs de temps, d’autres simplement des coursiers à la semaine. Moi comme vous avez pu le constater, je suis Taxien et Horlogien. Ainsi, j’apporte aux personnes ayant besoin d’une aide providentielle, le temps et les informations demandés.
- Je comprends mieux votre rôle dans Sirap. J’ai faim, où pourrions-nous dîner ?
- Il y a un restaurant fort sympathique, près de la gare aérienne du beffroi du Cherche-Midi. Vous avez dû voir les connections entre sa chevelure et les filaments électriques, elle commande tout à partir de ses neurones. Elle est la mémoire de Sirap.
- Très bien, cela me suffit, allons-y mon Hectorien. Au fait, l’argent, le moyen de paiement qu’en est-il ? Je ne suis pas sur d’avoir ce qu’il faut, comme étranger, je devrais peut être faire un échange.
- Pas d’inquiétudes à se faire, ici le fiduciaire c’est l’espace-temps. Tous les Sirapiens sont payés en temps, l’achat de nourriture, du temps, l’amour avec des prostiputes, du temps encore. Le temps c’est de l’argent.
Après avoir savouré les différents plats qui s’étaient présentés sur la tablée, Hectorien paya en posant sa paume sur une sorte de machine électrique. Un halo bleu accompagné d’un crissement électronique me fit comprendre que l’échange Espace-Temps fut saisi.
- La note est réglée, partons maintenant. Dit-il avec ferveur.
- Où allons nous, j’ai bien vu la carte, le tracé, mais cela me semble si loin.
- Montez, vous allez voir, un petit tour de passe-passe de la part d’une ancienne horde. Dans la cité, nous faisons parti des plus vieilles lignées, les Sirapiens ont beaucoup de respects envers nous, les Centaures.
Je grimpais sur son dos pour la troisième fois, je commençais à m’habituer à son pelage et au cuir de sa peau. Cette odeur âcre, une certaine animosité malgré tout demeurait en mon for intérieur.
- Accrochez-vous à moi, je vais créer le passage.
Le Centaure émit un hurlement intemporel, « il existe d’abondantes dispositions pour se propager dans Sirap, pour celui qui connait la force des substances de toutes choses », me dit-il en souriant. Je contemplais le passage créé, son aura était d’un bleu électrique avec des arcs violacés qui s’étendaient et s’allongeaient de l’intérieur vers l’extérieur. S’amenuisant vers le précipice ouvert devant nous.
- Maintenant, nous devons partir avant que le béant ne se referme.
Et il fonçait dans l’ouverture, je ressenti une sensation ascensionnelle de liberté, une jouissance de la vie des formes supérieures vers le divin. Quelques instants plus tard, nous arrivâmes à destination dans une ruelle étroite.
- Nous y sommes, je vais devoir vous laisser là, je ne pourrais pas continuer plus en avant, ce quartier de notre cité m’est en théorie interdite. Nous, les Centaures avons scellé un pacte de droits et d’interdits. Et ici, cela fait parti de l’interdit. Désolé, vous devriez continuer seul maintenant. La résidence, que vous chercherez, sera juste devant le « sanctuaire », un bar miteux. Suivez la ruelle et prenez à votre gauche, vous n’êtes plus très loin.
- Merci mon ami, vous reverrais-je ?
- Peut-être, peut-être pas. Seul votre destin le décidera. Adieu humain. Il se retourna sans d’autres mots.
Je m’éloignais de lui, j’entendis à nouveau son cri et l’air s’engouffra dans la ruelle, poussé par des arcs électriques. Une lumière vive éclaira un instant une partie des ténèbres. Je me retournais, il n’y avait plus rien de lui, juste une volute de fumée violacée qui disparaissait en une infime exposition de nuages pourpres, puis plus rien. Le silence se fit.
J’avançais dans la ruelle jusqu’au prochain carrefour, je dégainais mon Walther PPK et je sortis de mon étui le violon. Mon sixième sens m’alertait d’un danger imminent. Quelques enfants s’approchaient de moi, mais ils avaient l’air si difforme. Je me rendis compte que ce n’était pas des enfants, juste des nains. Des gnomes drapés de vêtements amples et sombres. Puis ils s’élancèrent sur moi, tenant en mains une sorte de Katana. Je fis feu et avec dextérité je m’envolais avec le répertoire de Philip Glass, Mishima était incontestablement le lyrisme et le paroxysme de mon savoir faire en tant que tueur à gage. Les Gnomes pleuvaient comme des mouches sur le bitume qui prenait la couleur du cramoisie de nos cœurs.
Le silence revint à la fin du carnage, je discernais maintenant les visages de mes agresseurs, des gnomes comme je le pensais et tel que je me l’imaginais, difforme, grossier, un rien de lourd dans ces corps trop étroits. Je me relevais et rechargeais mon Walther PPK, au cas où d’autres mauvaises surprises m’attendaient.
L’air se faisait lourd, oppressant, comprimant mes poumons, l’odeur du gaz, mêlé aux schistes, une odeur d’œufs pourris était fort désagréable. L’antre de Dante, ainsi je voyais l’enfer de cette rue. J’arrivais devant un grand bâtiment, des périptères de style grec ornaient la façade, l’entrée ressemblait à une porte-tambour toute vitrée sans aucuns styles définis et au-dessus des bucranes en granit reposaient comme des gardiens endormis.
Dans le reflet de la surface vitrée, je contemplais des néons qui illuminaient par intermittence la façade terne et sombre. Je me retournais, et je lus « Au sanctuaire – Ouvert 7 j/7 ». J’étais au bon endroit, il fallait que je reste sur mes gardes maintenant, la sensation de danger parcourait le long de mon corps comme si j’avais renversé du poil à gratter dans ma chemise.
Je poussais le tambour de la porte et suivait le mouvement rotatif, l’entrée était teintée de lumières orangées et d’une autre couleur qui s’approchait des jaunes boutons-d’or, la lumière diffusait sans être aveuglante, on ressentait une impression de bien-être, si je ne savais pas que j’étais dans l’antre de la Reine Noire. Un portier, derrière son comptoir, me souriait : « Monsieur désire ? » me lança-t-il d’un air solennel.
- Je viens voir la Reine Noire, je fis d’une certaine contenance. Sûr de mon destin et de mon avenir, il était impossible de reculer. Si proche du but et de ma destinée.
- Elle vous attend, cinquième étage, porte 569, couloir B. je le regardais et j’essayais de conserver une attitude métallique et de ne pas montrer mes émotions. De toute façon un assassin n’a plus d’affectivité à un moment donné. Juste la sensation de froidure qui coule dans les veines.
Décidément, rien ne m’étonnera dans cette cité. Je prenais l’ascenseur, j’appuyais sur le bouton du cinquième, et au moment où les portes se refermaient, une main féminine s’intercala dans l’entrebâillement, déclenchant par obstruction son ouverture.
- Ouf, il était plus que temps, me fit-elle en souriant. Vous allez au cinquième moi aussi. Vous n’êtes pas du quartier ?
- Non, en effet, je suis étranger à cette cité.
Elle appuya sur le bouton de fermeture des portes et se tournant vers le miroir, s’appliqua le stick de rouge-à-lèvre délicatement. Je la contemplais, il y avait un parfum délicat envoûtant de roses charnelles qui flottait dans la pièce exigüe de la cage d’ascenseur. Elle reclapa le stick dans son étui et le remit dans son sac.
- Je m’appelle Mathilda. Dit-elle en s’approchant de moi. Vous êtes venu pour moi, n’est-ce pas ?
Elle souriait comme si elle avait toujours su. Elle souriait comme si son destin funeste fut d’attendre cet instant. Et elle m’embrassa.
Je sentis la lame froide s’enfoncer dans mon flanc droit, un liquide chaud s’écoulait lentement, une liqueur de vie cramoisie rosissait ma chemise blanche. Elle s’écarta de moi, et pendant que je chutais lentement vers le sol, elle continuait à me parler « désolé que cela se passe ainsi, je vous trouvais intéressant pour un étranger. Mais jusqu’à présent, personne n’a réussi à m’assassiner. Et ce n’est pas ce soir que ce moment arrivera. »
L’ascenseur s’arrêta au cinquième, elle sortit et fit signe à deux gardes du corps. Malgré ma vue troublée, je me vis soulever du sol par des mains costauds, le souffle difficile. La douleur était vive. Je ressentis une dernière fois l’air vif du dehors lorsqu’ils ouvrirent la fenêtre. Puis le vide, quand ils me basculèrent par-dessus le parapet de la fenêtre.
Le froid de la mort m’accueillait sur le bitume. Dernier réceptacle de mon âme, insouciant des formes de vie autour de moi maintenant, inconscient d’un quelconque danger autour de ma carcasse écrasée qui jonchait sur le sol dès à présent.
Quand les crissements des roues d’une voiture au loin se firent plus bruyants, je revenais à moi. Ne vous l’avais-je pas annoncé que d’une glissade, pacifiquement, inexorablement, d’un pas mal assuré, je m’étais effondré sur le menton, de tout mon corps. A moitié assommé, la gravité pour unique amie.
Après tout, ce ne fut qu’un simple rêve. La réalité m’attend, je me relevais, balaya d’une main mon imperméable légèrement froissé. Et sorti le billet annoté, je relus les directives « assassiner le Comte Hectorien de Slavord, au club du Sanctuaire », je souris.
- Cher comte, une musique de chambre vous attend. Pensais-je en caressant mon Walther PPK et mon étui à violon.
Je m’éloignais dans les rues de Paris vers ma proie désignée. Le brouillard m’enveloppait à présent, j’avançais vers ma destinée de tueur à gage.
© Patrice Merelle