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Voilà, je m'en vais. Fini, ce boulot éreintant jusqu'au dégoût. Mon regard balaie une dernière fois ce qui a été mon bureau à la recherche de ce que je peux bien avoir laissé derrière moi. Par habitude. C'est pénible, ces impressions d'avoir oublié un truc important au moment où l'on s'apprête enfin à partir. Mais je joue le jeu, sans enthousiasme. Mes yeux se posent brièvement sur les murs gris et nus, avant de descendre vers la moquette sale. Rien d'intéressant par ici. Je me penche à gauche, à droite, changeant de pied d'appui dans la manœuvre, tout en évitant de taper dans la poubelle qui déborde de vieux papiers. Toujours rien, pas d'épiphanie. J'expire difficilement un soupir avant de me décider à faire le tour du bureau, autant que la configuration des lieux me le permet. C'est étrange, je le trouve plus petit à présent qu'il est débarrassé de toute cette paperasse accumulée depuis des mois. Je n'aime pas les pièces rangées, elles manquent de vie, mais ce bazar avait fini par devenir irrespirable, même pour quelqu'un comme moi.

Je ne vois rien que je pourrais avoir oublié par inattention, mais je sais par expérience que les évidences appartiennent au domaine de l'invisible. Tout est terne dans cette entreprise, cela n'aide pas. Mes doigts s'autorisent à palper les casiers en plastique pourtant vides ; je suis seul, personne ne m'accusera d'être bizarre. On assume moins bien sa bizarrerie quand on a cessé d'être jeune, sans pour autant avoir gagné le droit d'être vieux. Durant un court instant, j'envisage de fouiller les placards, par dépit. Je n'y ai jamais mis le moindre de mes effets personnels, mais je ne partirai pas sans avoir la certitude de ne rien laisser derrière moi. Ce départ est définitif, et je l'attends depuis longtemps.

Finalement, je me décide à jeter un œil sous le bureau. Qui sait ce que j'ai pu faire tomber depuis que j'y travaille ? Peu à l'aise dans un pantalon trop serré, je pose lentement un genou au sol, la main posée sur le second qui se plie pour accompagner le mouvement de cette machine enrayée que je nomme mon corps. Puis je me risque à faire passer ma tête et mes épaules en dessous du meuble. Ai-je l'air idiot ? Qu'importe.

Je remarque tout de suite un important amoncellement de poussière. Lorsque je souffle dessus, il s'éparpille en tas plus petits qui roulent sur la moquette comme une boule de stress le long de mon œsophage. Je découvre bientôt l'angle aplati d'une boîte en carton sous la crasse. Mû par la curiosité, je tends mes doigts vers la caissette et l'amène à moi en veillant à me salir le moins possible. Le déplacement de poussière me provoque une quinte de toux rauque, le genre qui donne envie de vomir. Je refoule un crachat et sors un mouchoir de ma poche pour nettoyer vaguement le carton. Sous la saleté apparaît un mot écrit puis raturé au marqueur noir. Du peu encore lisible, je crois reconnaître mon écriture sans être en mesure de me souvenir de ce que j'ai pu ranger dans cette boîte assez légère pour être vide. D'ailleurs, je la secoue et écoute pour m'assurer qu'elle contient bien quelque chose. Un bruit étouffé. Cela valait la peine de s'engouffrer sous le bureau, tout compte fait.

Sans rituel, je déballe le dernier cadeau que m'offrira ce lieu, en espérant qu'il ne soit pas empoisonné comme la plupart des précédents. Un morceau épais de ruban adhésif brun ne me facilite pas la tâche, mais je ne compte pas verser dans la finesse. Avec un dernier sursaut de rage, j'éventre brutalement la boîte en carton, usant de mes ongles négligés comme une bête sauvage utiliserait ses griffes. Il y a quelque chose de libérateur à se laisser aller à ses pulsions destructrices. Puis une forme de culpabilité reprend le dessus. Personne ne pleurera pour un morceau de carton, je me sens simplement stupide de perdre encore le contrôle. Cela ne dure qu'une seconde, avant que la curiosité prenne le relais. Car dans la boîte, il y a...

Plusieurs choses à vrai dire. J'en extrais d'abord un sifflet chromé aux formes arrondies, pas le genre d'objet à émettre des sons stridents, plutôt un instrument de musique qui imite les pépiements d'oiseaux et les gazouillis d'enfants. J'y trouve également des foulards de toutes les couleurs et de toutes les matières, cousus ensemble avec un amateurisme appliqué. Des plumes, des pin's et des clochettes ornent ce patchwork étrange. D'instinct, je passe ce vêtement improvisé autour de mon cou et à mon grand étonnement, je me sens élégant, je me sens confiant, je me sens... moi, en toute simplicité.

Que vais-je découvrir d'autre dans cette boîte ? Un bracelet de perles difformes, plus carrées que rondes, que je tends devant mes yeux pour mieux le comprendre. Je connais ce bijou, il m'est familier, je l'ai déjà vu naguère. Il me faut un certain temps pour saisir qu'il s'agit de mon sourire. Je m'empresse donc de le remettre en place à l'endroit qu'il n'aurait jamais dû quitter. Avant de poursuivre ma fouille, il me prend l'envie d'essayer le sifflet. Sa surface brillante et lisse génère une chaleur inattendue. Quand je souffle dedans, c'est mon rire que j'entends ricocher avec aplomb contre les murs qui s'éclairent. Après cela, je sors une petite bourse en velours de la caissette cartonnée. À l'intérieur, il y a des points d'exclamation ! Des vrais en plus, cultivés avec amour ! À utiliser avec parcimonie bien sûr, mais cela me fait très plaisir de pouvoir à nouveau ponctuer mes phrases avec d'authentiques points d'exclamation !

Une curiosité croissante me pousse à vider entièrement cette boîte de ses trésors. Ce qui reste se compose d'une cordelette d'apparence banale, d'une fiole de parfum et d'un bonbon à l'emballage doré. En attachant la cordelette autour de ma taille, je la reconnais comme ma ceinture d'espoir. Pourquoi donc l'avais-je remisée ici ? En la nouant, mon pantalon se desserre d'un coup et devient aussi agréable à porter qu'un bas de pyjama. Malgré mon aversion pour les produits de parfumerie, j'utilise sans crainte le vaporisateur dirigé vers ma joue. Le spray projette quelques gouttelettes d'une musique qui, au contact de ma peau, redonne des couleurs à tout ce qui m'entoure et m'emplit d'une énergie nouvelle, primaire, sauvage, bouillonnante, créatrice, sensuelle, ce mana qui me manquait tant depuis des mois. Enfin, je dirige mes doigts vers la confiserie, prêt à l'avaler goulûment. Mais au moment où j'en défais l'emballage, une myriade d'objets minuscules en jaillit : des détails amusants, des jeux de mots trouvés sur l'instant, des bonheurs fugaces, toutes les raisons de s'émerveiller au quotidien, des heureux hasards, des pensées agréables, des souvenirs chers, des blagues qui continuent de nous faire rire malgré les années.

Voilà donc ce que contenait la boîte : ma joie de vivre. Dire que j'allais quitter cet emploi qui me mine en l'oubliant ici. Quel étourdi je fais !

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