Réveil funèbre

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Nouvelles :
  • Littérature générale

Un nouvel enterrement de passé. Les gens ont pleuré, de la mise en bière à la mise en terre. Chacun dépose une gerbe de fleurs. On glisse un mot à la famille. Tout le monde repart. Une page se tourne. La vie continue.
Le croquemort et son acolyte remontent le long de l'allée principale. Le cimetière est vide, le soleil se couche. Les deux hommes marchent d'un pas nonchalant, sortant du voile d'obscurité tels deux revenants. L'un avec une pelle, l'autre tenant les clés de la morgue.
— Encore trois clients à préparer Edgar. Allez, on se motive.
— Oui. Je sors le prochain.
Le dialogue monotone donne le rythme de la fin de soirée. La routine installée ne déclenche rien de plus que des mécanismes précis, qui ne laissent aucune place à l'improvisation.
Edgar s'approche à pas pesants des tiroirs à macchabées, puis sort le corps à préparer.
— Henry, c'est bizarre, celui-là bouge encore.
— Comment ça, il bouge encore ? lui répond son collègue d'un ton dédaigneux. Ce matin il était tout raide, comme les autres.
Les deux hommes prirent le temps de se poster chacun d'un côté du brancard, puis Henry souleva le drap qui recouvrait le corps.
Une fois le drap remonté, il fallait ouvrir le sac contenant le cadavre. Edgar attendait, mais son chef le fixait de son regard vide. Il souffla de lassitude, puis se décida à dé-zipper le sac mortuaire.
À l'intérieur, il y avait un homme, les yeux écarquillés, la bouche scotchée. Il continuait de se débattre. Le sac et les liens censés empêcher le corps de tomber le retenaient toujours.
— Pourquoi vous n'êtes pas mort, monsieur ?
— Il ne peut pas te répondre Edgar, il a du scotch sur la bouche.
— Ah, oui.
L'assistant décolle un coin du ruban avec ses ongles, puis tire d'un coup sec, l'adhésif enlevant des poils de moustache au passage. L'ex-macchabée retient un cri de douleur, puis se met à brailler d'une voix bien vivante :
— VOUS SAVEZ DEPUIS QUAND J'ATTENDS LÀ-DEDANS !? SORTEZ-MOI DE LÀ !
— On se calme monsieur. Mon collègue vous a posé une question. Pourquoi vous n'êtes pas mort ?
— Mais je ne sais pas ! Ce n'est pas ça l'important, laissez-moi sortir, je n'ai rien à faire là !
— Mais vous devriez être mort. Bon, comment on fait ?
Avec un air de fonctionnaire blasé, Henry regardait son collègue, les bras ballants.
— Mais détachez-moi enfin ! Je ne suis pas mort, un point c'est tout.
— Non, ça ne va pas du tout, ce n'était pas prévu comme ça. J'ai un planning moi, monsieur.
— Mais ça n'a pas de sens !
— On m'a payé pour vous enterrer demain. Comment je fais moi, si les gens se réveillent comme vous ? Vous étiez déjà aussi ennuyeux de votre vivant ?
— C'est le principe, je suis vivant là. Je n'ai plus rien à faire ici. Vous n'allez pas me tuer quand même ? dit l'homme d'un ton ironique, mais avec une légère inquiétude.
Le croque-mort leva les yeux au ciel.
— Ne rendez pas les choses plus compliquées qu'elles ne le sont déjà. Je n'ai pas que ça à faire de m'occuper de vos tracas personnels. J'ai un planning à respecter. Vous pouvez comprendre ça, non ?
— MAIS JE SUIS VIVANT ! FICHEZ-MOI LA PAIX ! AU SECOURS !
— Edgar, remets le scotch et ferme le sac, ce mort est vraiment trop désobligeant, et je n'ai pas que ça à faire de débattre avec lui.
— Bien monsieur.
Le type se débat, mais l'acolyte lui tient fermement la tête. Il lui colle cette fois la bouche et le nez.
Une fois remballé, les deux hommes remettent le brancard au frigo, et décident de passer au client suivant.
— Ce boulot a le don de m'épuiser parfois.
— Les gens ne respectent vraiment plus les traditions de nos jours. Heureusement que nous sommes là pour faire le travail proprement.
— Si je raconte que j'ai parlé à un mort, on va me prendre pour un fou.
Des coups sourds résonnent. L'horloge indique sept heures du soir.
Les coups ont cessé. Le matériel est rangé. Voilà une bonne journée qui se termine.

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