Renaissance

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Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Mais ne pas avoir sa place parmi ceux qui traînent sur un monticule de terre ne semble pas si terrible, quand on a toute la mer pour patrie...
Si je pouvais redéfinir moi-même proprement les termes, je dirais qu'ils étaient semblables entre eux ; pas que j'étais différente. Ce sont eux, qui ne me ressemblaient en rien ; qui n'avaient ni ma fougue, ni ma hardiesse.

Aux premiers rayons du soleil à travers la grande bleue, il fallait être déjà debout, réaliser les brasses salutaires du matin, afin de remercier le jour d'avoir mis un terme à une nuit de plus ; dans nos croyances cela signifiait que la fin du monde était encore loin.
Dans cet ordre précis, il fallait laisser passer d'abord les baleines, immenses et gracieuses. Puis venait le tour des tortues de mer, accompagnées des mollusques. Après, dans un torrent arc-en-ciel pleuvait tout un ban de poissons divers, multicolores, les uns plus gais que les autres. Et enfin, le défilé des sirènes, en rangs bien ordonnés, depuis notre grotte littorale jusqu'au récif de coraux, sans oublier de toujours lancer le premier coup de nageoire de gauche à droite. Toujours ! Ceci, s'orchestrant avec la plus parfaite harmonie dans le bleu azur et salé d'une mer qui s'éveille.
« Tiens-toi droit sur ta queue ! » Entendais-je ronchonner ma mère tous les matins. « Hauts les fronts ! » Tous, sans exception, se livraient avec grace et zèle à cette abominable mascarade matinale. Et pour clôturer le spectacle, il fallait des heures afin de récolter assez d'algues pour les repas de la journée. N'en n'avaient-ils pas marre ? Dès que j'ai atteint la puberté, je me suis soustraite à ces activités. Mon comportement rebelle avait fini par creuser un fossé d'abord entre ma mère et moi, puis entre les autres sirènes et moi. La différence, ça faisait peur. Ils ne me ressemblaient pas, alors ils m'avaient chassée
.
Je me plaisais mieux dans mon coin de mer, à onduler ma queue massive avec mollesse, ma belle brosse sertie de pierres précieuses en mains, coiffant langoureusement ma chevelure foisonnante. Je m'étais dégotté un espace retiré, profond, non loin du récif, où je pouvais me blottir dans la cale d'un vieux navire qui avait coulé. Il était massif. Magnifique. Il portait bien son nom ; « La Santa Ma...» imprimé sur son flanc. La Santa Madonna? Santa Marianna ? Santa Maria...? C'était tout ce qui était lisible ; « La Santa Ma »... Le reste avait été effacé, et détruit. Je me demande quelle aventure ébouriffante il a vécu ce bateau... A sa proue se dressait un magnifique tronc de femme ; elle avait le port altier, le bras fermement dressé, et les cheveux figés dans le sens du vent. Parfois, je tentais de lui parler, pour connaître son histoire, mais elle gardait pour elle le secret de son éternité, le regard perdu dans le lointain.
Le temps s'écrasait lourdement comme des vagues lorsque je me cachais dans ce havre. Je me contentais d'avaler ce qui me tombait sous les nageoires ; de petits crustacés, des vers, parfois même des crevettes cachées çà et là dans la cale du bateau. Mais pas d'algues. Je ne supportais plus ce goût végétal qui signait en lettres amères l'existence morne et monotone d'une sirène. Il devait y avoir autre chose que de simplement exister. Et une nuit, je l'ai découvert.
La grande bleue était entrée dans un profond sommeil ce soir-là. Nuit d'encre sur terre, et sous mer. Seule la lueur lointaine d'une lune timide glissait à la surface presqu'immobile de l'eau ; grain de clarté dans ma nuit salée.
Pas un seul petit poisson en vue. Tout dormait. Sauf, ceux d'en haut....
Je sentis tout à coup, un appel. D'en haut. Il était puissant. Comme un coup de poing sur le cœur. Il dominait presque ma propre volonté. Je perçus de plus, une senteur métallique, délicieuse, nouvelle, que je ne connaissais pas. Je partis en flèche vers cet appel, fendant la mer. Je sortis prudemment la tête de l'eau, éblouie par de mystérieux cantiques émis au son tribal du tambour, par une foule de terrestres agités vêtus de blanc. L'un d'entre eux m'aperçut et s'écria :
- La voilà...l'esprit de l'eau ! Elle nous a entendus !
Disant cela, il saisit une coquille de lambi vide et se mit à souffler de toutes ses forces. Un son envoûtant me fit frissonner et m'incita à me révéler alors en entier à eux, dressée sur ma grande queue émeraude scintillante, des guirlandes de perles à ma ceinture. Ils étaient nettement plus petits que dans mes souvenirs, ces terrestres. Silence de plomb. Ils s'agenouillèrent tous. Sauf, un, dans l'eau jusqu'à la taille, qui semblait m'implorer en geignant. Il était retenu par de lourdes chaînes. A le regarder je compris qu'il avait été battu. L'odeur métallique se fit plus forte, plus insistante, je m'approchai alors de lui, cherchant en humant, la source de ce fumet enivrant qui m'avait tirée hors de mon trou. Les yeux rivés sur son poignet dégoulinant, je découvris alors cet élixir rouge et palpitant qui me chatouillait les branchies depuis les profondeurs.
-Quel est ton nom, esprit ?! Me cria-t-on
-Je suis Simbi, répondis –je.
-Accepte notre sacrifice, maîtresse des eaux, et redonne-nous la pluie !
Comment ? Je n'étais qu'une simple sirène. Quel pouvoir avais-je sur la nature au point de lui extraire à moi seule la pluie ?
Je n'avais jamais touché à un cheveu d'un terrestre ; mais le temps de reprendre mes esprits, il ne restait plus rien que des chaînes rougies par le festin dont je venais de jouir. J'avais croqué à maintes reprises, tandis qu'une explosion de saveurs nouvelles me faisait vibrer de mes griffes jusqu'à la pointe de ma queue. Je léchai allègrement mes doigts, mes bras, mes lèvres. J'en voulais encore, j'en voulais plus...Je m'approchai du rivage, faisant signe aux autres terrestres de me rejoindre dans l'eau écarlate...
Un éclair parcourut le ciel à toute allure. Et les nuages se mirent à pleurer, la naissance d'un monstre marin...
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