Randonnée millénaire

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Pour moi écrire, c'est montrer aux autres ma réalité qui n'est pas forcément la leur. Cléa Barreyre

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Ça fait déjà plus de deux semaines que l'on marche.
Enfin... Je vous dis deux semaines, mais je ne compte même plus les jours. Ici, les journées semblent interminables, et les nuits brèves. Un pas devant l'autre, il faut réussir à lutter. Les premiers jours, ça semble simple. Les premières heures, ça semble simple. Mais les journées sont longues, la montée est raide, et la neige est épaisse. Rapidement on finit par traîner notre carcasse. On ne sent plus nos jambes, on ne sent plus le froid, mais on continue d'avancer. Encore et toujours avancer.
On est parti à quelques kilomètres au Nord de Valence, puis on a contourné Grenoble, avant de passer par Albertville. À vrai dire on est passé par de nombreux autres villages, mais je ne saurais pas vous dire lesquels. On en traverse tellement. Hier on a eu un petit contretemps, il a donc fallu s'arrêter à Villette pour la nuit. Enfin... la nuit...
Cette montée me semble interminable.
Ce matin j'ai demandé aux autres. Apparemment cela fait seize jours que l'on est parti. Dix jours d'approche, quatre jours de montée... Dieu seul sait combien de temps ce calvaire va encore durer. Un pas devant l'autre. Indéfiniment.
Les habitants ne voient pas d'un très bon œil notre arrivée. Ils sont hostiles, parfois même ils nous combattent. Nous ce n'est pas à eux qu'on en veut, alors ils feraient mieux de nous laisser passer sans trop s'opposer. De toute façon on finit toujours par passer. On y perd quelques hommes, soit, mais on finit toujours par passer. Et puis les attaques se font de plus en plus rares.
Au fil des jours nos vivres s'amenuisent, alors on prend aux villageois vaincus ce dont nous avons besoin, emportant avec nous les provisions nécessaires, ainsi que les animaux.
Mais on le sent arriver, on est bientôt au sommet, ça fait bien trop longtemps qu'on marche. On va y arriver.
Au neuvième jour, on atteint enfin le col enneigé des Alpes. On y restera deux jours. Deux jours de repos bien mérités, si vous voulez mon avis. Mais le repos dans notre métier, il ne faut pas trop compter dessus. Il faudra bientôt repartir.
La descente fut plus rapide que la montée... et heureusement. On a eu quelques problèmes, mais rien d'insurmontable pour une expédition comme la nôtre. Finalement, il nous aura fallu vingt-cinq jours pour atteindre la plaine du Pô : dix jours d'approche, quatre jours de montée, deux jours de regroupement au col, et quatre jours de descente. Nous avons franchi les cols en direction de l'Italie avec trente mille hommes, plus de quinze mille chevaux, et trente-sept éléphants.
C'est le début de la guerre.

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Note de l'éditeur : Le passage des Alpes est une étape majeure de la marche vers l'Italie de l'armée d'Hannibal Barca (218 av. J.-C.), au début de la deuxième guerre opposant Rome à Carthage. Outre son caractère épique, la présence d'éléphants dans ce périple a participé à sa célébrité.

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