Vous êtes là. Vous êtes toutes là, sagement blotties dans vos écrins dont les parois brûlent depuis longtemps sous l'assaut de vos feux. Béryl, améthyste, perle, grenat, cristal... Ma ... [+]
Adrien avala d'un trait un dernier whisky. Il était minuit et il était bien décidé à en finir. L'obscurité était propice à ce dénouement déjà trop tardif.
En une semaine, il avait maigri, pâli, était devenu irritable au point que ses collègues de travail s'inquiétaient à son sujet. Aux questions qu'ils lui posaient avec sollicitude, il répondait assez sèchement que tout allait bien, levant les sourcils dans un mouvement de surprise. Le soir, il quittait sans s'attarder la grande surface où il gérait le rayon « viande et charcuterie », saluant brièvement ceux qu'il croisait en partant.
Depuis dimanche dernier, trop de temps avait passé. Il fallait mettre un terme au stress qui l'avait assailli et l'enserrait à présent comme un étau.
En effet, depuis plusieurs jours il avait échoué. Il en voulait terriblement à Charlène de l'avoir poussé à bout, de l'avoir obligé bien malgré lui à lui asséner ce mortel coup de pioche dans le dos. Depuis si longtemps elle le trompait, le narguant, osant le nier en plus ! Elle déambulait dans la rue, au bureau, dans les magasins, partout avec ses belles jambes découvertes jusqu'aux cuisses, offrant sans pudeur aux regards des mâles le creux de ses seins un peu lourds et le spectacle de sa bouche charnue ! Quand Adrien avait rencontré Charlène, il était tombé amoureux fou de cette belle femme à la fois simple et follement séduisante. L'élan avait été réciproque.
Cependant, bien vite il était devenu soupçonneux, l'avait épiée, en vain, persuadé néanmoins qu'elle jouait double jeu avec lui. Ses dénégations répétées, et finalement excédées n'avaient fait qu'enfler sa jalousie mortifère et les disputes, de plus en plus violentes, étaient devenues leur lot quotidien.
Dimanche passé, alors qu'Adrien s'affairait au jardin, elle s'était approchée de lui pour lui annoncer qu'elle passerait la soirée avec son amie Bérangère. Depuis quelque temps, elle usait de prétextes pour se soustraire à sa compagnie, cela irritait Adrien au plus haut point. Elle était moulée dans un legging bleu foncé et dans son décolleté s'arrondissait le collier de lapis-lazuli qu'il lui avait offert. Il se mit à crier, lui ordonnant de rester ici. Elle répondit calmement qu'elle n'en ferait rien. Alors la colère lui monta à la gorge, il se mit à hurler, rendu hystérique par le calme que lui opposait Charlène. Il se rua sur elle, leva sa pioche. La jeune femme fit volte-face et tenta de fuir ; pétrifiée de peur, elle hurla et, instantanément, devint bleue des pieds à la tête. Son cri s'acheva dans un râle inhumain. La pioche avait pénétré dans le dos de Charlène, y creusant une béance sanglante qui prit une forme de vitrail.
Adrien, cagoulé de sa brûlante folie, avait tiré le corps bleu sous le gros bouleau qui bordait le potager. Il sentait son cœur taper à grands coups dans sa poitrine. A la faveur de la nuit, il creuserait la tombe de cette ordure, cette diablesse qui l'humiliait depuis trop longtemps.
Lorsqu'il voulut tirer le cadavre de Charlène dans le trou qu'il avait ouvert sous le bosquet de sapins, de l'autre côté du jardin, il s'arrêta net. Le corps était maintenant en position assise, juste à côté du bouleau. Des végétaux colorés s'échappaient de son dos et, dans la main gauche levée vers le visage, un bouquet était serré. Les yeux étaient clos. Un parfum très fort s'échappait de cette scène hallucinante, à tel point qu'Adrien sentit sa tête tourner. Pétrifié, il voulut attraper Charlène et la tirer vers le bosquet de sapins. Mais les fleurs qui sourdaient de son dos pesaient très lourd et répandaient une odeur si forte qu'il tomba à la renverse. Adrien paniqua. Morte, cette sorcière bleue le tourmentait encore ! Elle allait voir ce qu'elle allait voir.
Les soirs suivants, il usa de nombreux stratagèmes pour arriver à ses fins ; ses forces étaient décuplées par la terreur grandissante qui le dévorait, mais les végétaux qui sortaient de la béance en forme de vitrail étaient de plus en plus encombrants, de plus en plus lourds et leur odeur asphyxiait l'assassin sitôt qu'il tentait de s'en approcher. La main gauche serrait un bouquet de plus en plus gros, les fleurs pléthoriques filaient au sol et commençaient à s'amonceler de façon ostentatoire, sans faner le moins du monde. Adrien maintint le portail du jardin fermé à double tour, redoutant qu'un visiteur se manifeste. Quand il partait au travail, il était rongé par la peur et les whiskys qu'il absorbait dans la nuit lui donnaient des allures de zombie.
- M. Dubaquet, vous devriez consulter un médecin. Je pense que vous n'êtes plus en état de travailler, lui dit vendredi matin le directeur du magasin.
Adrien en convint et ne revint pas le samedi matin. Il était donc fermement décidé à clore cette histoire sordide ce soir même, dût-il y laisser sa peau.
Il ne croyait pas si bien dire.
A la nuit tombée, il se dirigea vers le corps de Charlène, muni d'un tire-fort capable de lever plus d'une tonne. Adrien était à bout. Ce putain de cadavre bleu allait avoir son compte ! Mais il ne put arriver jusqu'à lui. Une douleur aiguë irradia le long de ses bras, de son torse, de ses jambes tandis qu'un parfum délétère s'engouffrait dans ses narines. De longues lianes constellées de petites griffes latérales blanches s'étaient jetées sur lui et avaient planté d'un coup leurs petits sabres immaculés sur tout son corps. Il tenta de crier. Un hurlement silencieux lui brûla le thorax tandis que les lianes, après l'avoir cloué au sol, se resserraient autour de sa gorge. Le tire-fort gisait non loin du corps bleu, parfaitement inutile.
Le mercredi suivant, le service Ressources Humaines du grand magasin où était employé M. Dubaquet s'inquiéta de ne pas avoir reçu son arrêt de travail. Le téléphone de l'employé sonnait dans le vide. Nul n'en avait eu de nouvelles depuis vendredi. Un collègue, domicilié non loin de M. Dubaquet, fut prié d'aller aux nouvelles.
Le portail étant fermé à clé, on finit par requérir les services de la gendarmerie. Ce que découvrirent les hommes en uniforme les laissa sans voix. Au pied d'un gros bouleau, des monceaux de fleurs roses, blanches, vertes formaient une sorte de tumulus qui s'étirait jusqu'à la haie du grand jardin. Un délicieux parfum, à la fois délicat et sucré, émanait de cet énorme agrégat végétal.
Un peu plus loin, sous un bosquet de sapins, une fosse était creusée. Le corps de M. Dubaquet, étranglé de lianes blanches inextricables, y était recroquevillé.
En levant la tête, les gendarmes aperçurent, largement au-dessus de l'arbre, un grand nuage bleu pâle qui se mouvait avec délicatesse. Il semblait stagner mollement mais, soudain, un souffle inattendu s'en empara et il fila vers l'horizon.
Charlène ne reparut pas. Un avis de disparition inquiétante fut diffusé et donna lieu à des recherches qui, pour minutieuses qu'elles furent, demeurèrent sans résultat.
Quant à M. Dubaquet, l'enquête sur son assassinat, car il s'agissait manifestement d'un assassinat bien que l'arme fût totalement inconnue, n'aboutit jamais. Le meurtrier n'avait laissé aucun indice. La présence insolite, au sol, d'un tire-fort, n'éclaira en rien l'affaire, ne faisant au contraire qu'en épaissir le mystère.
Tapie dans l'herbe, une perle de lapis-lazuli allait s'enfoncer petit à petit dans la terre.
En une semaine, il avait maigri, pâli, était devenu irritable au point que ses collègues de travail s'inquiétaient à son sujet. Aux questions qu'ils lui posaient avec sollicitude, il répondait assez sèchement que tout allait bien, levant les sourcils dans un mouvement de surprise. Le soir, il quittait sans s'attarder la grande surface où il gérait le rayon « viande et charcuterie », saluant brièvement ceux qu'il croisait en partant.
Depuis dimanche dernier, trop de temps avait passé. Il fallait mettre un terme au stress qui l'avait assailli et l'enserrait à présent comme un étau.
En effet, depuis plusieurs jours il avait échoué. Il en voulait terriblement à Charlène de l'avoir poussé à bout, de l'avoir obligé bien malgré lui à lui asséner ce mortel coup de pioche dans le dos. Depuis si longtemps elle le trompait, le narguant, osant le nier en plus ! Elle déambulait dans la rue, au bureau, dans les magasins, partout avec ses belles jambes découvertes jusqu'aux cuisses, offrant sans pudeur aux regards des mâles le creux de ses seins un peu lourds et le spectacle de sa bouche charnue ! Quand Adrien avait rencontré Charlène, il était tombé amoureux fou de cette belle femme à la fois simple et follement séduisante. L'élan avait été réciproque.
Cependant, bien vite il était devenu soupçonneux, l'avait épiée, en vain, persuadé néanmoins qu'elle jouait double jeu avec lui. Ses dénégations répétées, et finalement excédées n'avaient fait qu'enfler sa jalousie mortifère et les disputes, de plus en plus violentes, étaient devenues leur lot quotidien.
Dimanche passé, alors qu'Adrien s'affairait au jardin, elle s'était approchée de lui pour lui annoncer qu'elle passerait la soirée avec son amie Bérangère. Depuis quelque temps, elle usait de prétextes pour se soustraire à sa compagnie, cela irritait Adrien au plus haut point. Elle était moulée dans un legging bleu foncé et dans son décolleté s'arrondissait le collier de lapis-lazuli qu'il lui avait offert. Il se mit à crier, lui ordonnant de rester ici. Elle répondit calmement qu'elle n'en ferait rien. Alors la colère lui monta à la gorge, il se mit à hurler, rendu hystérique par le calme que lui opposait Charlène. Il se rua sur elle, leva sa pioche. La jeune femme fit volte-face et tenta de fuir ; pétrifiée de peur, elle hurla et, instantanément, devint bleue des pieds à la tête. Son cri s'acheva dans un râle inhumain. La pioche avait pénétré dans le dos de Charlène, y creusant une béance sanglante qui prit une forme de vitrail.
Adrien, cagoulé de sa brûlante folie, avait tiré le corps bleu sous le gros bouleau qui bordait le potager. Il sentait son cœur taper à grands coups dans sa poitrine. A la faveur de la nuit, il creuserait la tombe de cette ordure, cette diablesse qui l'humiliait depuis trop longtemps.
Lorsqu'il voulut tirer le cadavre de Charlène dans le trou qu'il avait ouvert sous le bosquet de sapins, de l'autre côté du jardin, il s'arrêta net. Le corps était maintenant en position assise, juste à côté du bouleau. Des végétaux colorés s'échappaient de son dos et, dans la main gauche levée vers le visage, un bouquet était serré. Les yeux étaient clos. Un parfum très fort s'échappait de cette scène hallucinante, à tel point qu'Adrien sentit sa tête tourner. Pétrifié, il voulut attraper Charlène et la tirer vers le bosquet de sapins. Mais les fleurs qui sourdaient de son dos pesaient très lourd et répandaient une odeur si forte qu'il tomba à la renverse. Adrien paniqua. Morte, cette sorcière bleue le tourmentait encore ! Elle allait voir ce qu'elle allait voir.
Les soirs suivants, il usa de nombreux stratagèmes pour arriver à ses fins ; ses forces étaient décuplées par la terreur grandissante qui le dévorait, mais les végétaux qui sortaient de la béance en forme de vitrail étaient de plus en plus encombrants, de plus en plus lourds et leur odeur asphyxiait l'assassin sitôt qu'il tentait de s'en approcher. La main gauche serrait un bouquet de plus en plus gros, les fleurs pléthoriques filaient au sol et commençaient à s'amonceler de façon ostentatoire, sans faner le moins du monde. Adrien maintint le portail du jardin fermé à double tour, redoutant qu'un visiteur se manifeste. Quand il partait au travail, il était rongé par la peur et les whiskys qu'il absorbait dans la nuit lui donnaient des allures de zombie.
- M. Dubaquet, vous devriez consulter un médecin. Je pense que vous n'êtes plus en état de travailler, lui dit vendredi matin le directeur du magasin.
Adrien en convint et ne revint pas le samedi matin. Il était donc fermement décidé à clore cette histoire sordide ce soir même, dût-il y laisser sa peau.
Il ne croyait pas si bien dire.
A la nuit tombée, il se dirigea vers le corps de Charlène, muni d'un tire-fort capable de lever plus d'une tonne. Adrien était à bout. Ce putain de cadavre bleu allait avoir son compte ! Mais il ne put arriver jusqu'à lui. Une douleur aiguë irradia le long de ses bras, de son torse, de ses jambes tandis qu'un parfum délétère s'engouffrait dans ses narines. De longues lianes constellées de petites griffes latérales blanches s'étaient jetées sur lui et avaient planté d'un coup leurs petits sabres immaculés sur tout son corps. Il tenta de crier. Un hurlement silencieux lui brûla le thorax tandis que les lianes, après l'avoir cloué au sol, se resserraient autour de sa gorge. Le tire-fort gisait non loin du corps bleu, parfaitement inutile.
Le mercredi suivant, le service Ressources Humaines du grand magasin où était employé M. Dubaquet s'inquiéta de ne pas avoir reçu son arrêt de travail. Le téléphone de l'employé sonnait dans le vide. Nul n'en avait eu de nouvelles depuis vendredi. Un collègue, domicilié non loin de M. Dubaquet, fut prié d'aller aux nouvelles.
Le portail étant fermé à clé, on finit par requérir les services de la gendarmerie. Ce que découvrirent les hommes en uniforme les laissa sans voix. Au pied d'un gros bouleau, des monceaux de fleurs roses, blanches, vertes formaient une sorte de tumulus qui s'étirait jusqu'à la haie du grand jardin. Un délicieux parfum, à la fois délicat et sucré, émanait de cet énorme agrégat végétal.
Un peu plus loin, sous un bosquet de sapins, une fosse était creusée. Le corps de M. Dubaquet, étranglé de lianes blanches inextricables, y était recroquevillé.
En levant la tête, les gendarmes aperçurent, largement au-dessus de l'arbre, un grand nuage bleu pâle qui se mouvait avec délicatesse. Il semblait stagner mollement mais, soudain, un souffle inattendu s'en empara et il fila vers l'horizon.
Charlène ne reparut pas. Un avis de disparition inquiétante fut diffusé et donna lieu à des recherches qui, pour minutieuses qu'elles furent, demeurèrent sans résultat.
Quant à M. Dubaquet, l'enquête sur son assassinat, car il s'agissait manifestement d'un assassinat bien que l'arme fût totalement inconnue, n'aboutit jamais. Le meurtrier n'avait laissé aucun indice. La présence insolite, au sol, d'un tire-fort, n'éclaira en rien l'affaire, ne faisant au contraire qu'en épaissir le mystère.
Tapie dans l'herbe, une perle de lapis-lazuli allait s'enfoncer petit à petit dans la terre.
Si vous le souhaitez, je vous invite à une lecture : Le tableau (Cyrille Conte)
et un coeur pour Dubaquet et sa créatrice morbleu