Le cours d'anatomie paraît interminable ce matin. Nos lacunes contrecarrent les plans du professeur qui perd patience face à notre mutisme et nos airs de plus en plus léthargiques :
— Vous ne
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- Voilà, si vos boutons d’acné vous désolent, pensez aux serpents. Vous êtes seulement en train de changer de peau : après l’adolescence, ce sera fini.
La professeure de biologie ricane, persuadée d’avoir conquis son auditoire et d’être nominée au césar de la prof la plus cool du collège. L’imbécile ne se rend pas compte qu’elle vient de donner à mes camarades une nouvelle occasion de se moquer de mes boutons.
Nous avons quatorze ans. Tout le monde, à part Félix qui est encore un bébé, a parfois un bouton d’acné sur le menton et quelques points noirs sur le nez, mais moi j’ai une mercerie sur le visage. La métaphore est de ma sœur ainée, une athlète de dix-sept ans qui est passée de petite fille à sosie d’Ariana Grande en une nuit. Elle déplore de ne pas pouvoir me donner des conseils beauté car sa peau a toujours été parfaite.
Je suis au premier rang dans le laboratoire mais je sens tous les regards converger vers moi. Moqueurs, un brin dégoutés, mes camarades commencent à commenter à voix basse mes problèmes dermatologiques tout en me cherchant un nom de reptile.
Après la sonnerie, la professeure de biologie, comme si elle n’en avait pas assez fait, me retient. Elle veut me signaler que, si je suis impatiente de revêtir une nouvelle peau, il existe d’excellents traitements contre l’acné.
Sans blague ?
Je la remercie parce que je suis polie mais à l’intérieur je crie. Quelle IM-BÉ-CI-LE ! J’ai déjà dévalisé la pharmacie et tout essayé. Pour rien. Ma mère en vertu de son slogan « Adolescence, patience, renaissance » refuse de médicaliser un phénomène « parfaitement naturel ». Elle a vécu la même métamorphose que ma sœur, elle s’y connait donc en perfection mais n’a aucune idée de la cruauté de la nature.
Je dois donc me débrouiller seule sur Internet pour accélérer ma mue et me débarrasser de ma peau grasse et purulente. Affublée de mon nouveau pseudo, Salamandre, j’écluse les forums. La professeure de biologie m’a condamnée à un nom de reptile, j’ai donc pris les devants et choisi le plus cool ; quand j’aurais ma nouvelle peau, je me ferais tatouer une salamandre sur la cheville.
En attendant, je ne trouve rien que les mêmes vieux conseils inutiles : ne pas manger de chocolat, prendre la pilule, se badigeonner à l’huile essentielle de lavande, arrêter la pilule, boire des infusions à la bardane... Inutile de perdre mon temps à essayer. Je cherche quelque chose d’original et de radical, une recette oubliée depuis la nuit des temps mais parfois révélée à des élues au cœur pur...
Je m’endors au petit matin, mon téléphone glisse de mes mains. En me réveillant, je ne sais plus ni quel jour on est, ni quelle série j’ai regardé en dernier mais je me souviens d’avoir rêvé de la recette parfaite conte l’acné.
Secret du docteur Caïman :
Pour renaître régénérée
Dévorez la peau d’un serpent
Arrosée du sang d’une beauté.
Je la griffonne au dos de mon devoir d’espagnol pour ne pas l’oublier. La peau d’un serpent... le sang d’une beauté... Je me lève, réalise qu’on est samedi, me recouche et ne cesse de me répéter la recette. Je suis sûre qu’elle est vraie, qu’elle va me sauver de l’acné.
Le sang d’une beauté... Le sang de ma sœur... Je pourrais la piquer ou récupérer ses tampons... Mais la peau d’un serpent ? Dans la forêt peut-être... Et qui est le docteur Caïman ?
Je fais une recherche... Il y a un docteur Caïman dans ma ville... enfin une docteure... ça s’écrit Kaymen mais c’est pareil... Docteur Anastasia Kaymen, dermatologue... Cela ne peut pas être un hasard. Que ma mère le veuille ou pas, je prends rendez-vous lundi pour renaître regénérée.
La professeure de biologie ricane, persuadée d’avoir conquis son auditoire et d’être nominée au césar de la prof la plus cool du collège. L’imbécile ne se rend pas compte qu’elle vient de donner à mes camarades une nouvelle occasion de se moquer de mes boutons.
Nous avons quatorze ans. Tout le monde, à part Félix qui est encore un bébé, a parfois un bouton d’acné sur le menton et quelques points noirs sur le nez, mais moi j’ai une mercerie sur le visage. La métaphore est de ma sœur ainée, une athlète de dix-sept ans qui est passée de petite fille à sosie d’Ariana Grande en une nuit. Elle déplore de ne pas pouvoir me donner des conseils beauté car sa peau a toujours été parfaite.
Je suis au premier rang dans le laboratoire mais je sens tous les regards converger vers moi. Moqueurs, un brin dégoutés, mes camarades commencent à commenter à voix basse mes problèmes dermatologiques tout en me cherchant un nom de reptile.
Après la sonnerie, la professeure de biologie, comme si elle n’en avait pas assez fait, me retient. Elle veut me signaler que, si je suis impatiente de revêtir une nouvelle peau, il existe d’excellents traitements contre l’acné.
Sans blague ?
Je la remercie parce que je suis polie mais à l’intérieur je crie. Quelle IM-BÉ-CI-LE ! J’ai déjà dévalisé la pharmacie et tout essayé. Pour rien. Ma mère en vertu de son slogan « Adolescence, patience, renaissance » refuse de médicaliser un phénomène « parfaitement naturel ». Elle a vécu la même métamorphose que ma sœur, elle s’y connait donc en perfection mais n’a aucune idée de la cruauté de la nature.
Je dois donc me débrouiller seule sur Internet pour accélérer ma mue et me débarrasser de ma peau grasse et purulente. Affublée de mon nouveau pseudo, Salamandre, j’écluse les forums. La professeure de biologie m’a condamnée à un nom de reptile, j’ai donc pris les devants et choisi le plus cool ; quand j’aurais ma nouvelle peau, je me ferais tatouer une salamandre sur la cheville.
En attendant, je ne trouve rien que les mêmes vieux conseils inutiles : ne pas manger de chocolat, prendre la pilule, se badigeonner à l’huile essentielle de lavande, arrêter la pilule, boire des infusions à la bardane... Inutile de perdre mon temps à essayer. Je cherche quelque chose d’original et de radical, une recette oubliée depuis la nuit des temps mais parfois révélée à des élues au cœur pur...
Je m’endors au petit matin, mon téléphone glisse de mes mains. En me réveillant, je ne sais plus ni quel jour on est, ni quelle série j’ai regardé en dernier mais je me souviens d’avoir rêvé de la recette parfaite conte l’acné.
Secret du docteur Caïman :
Pour renaître régénérée
Dévorez la peau d’un serpent
Arrosée du sang d’une beauté.
Je la griffonne au dos de mon devoir d’espagnol pour ne pas l’oublier. La peau d’un serpent... le sang d’une beauté... Je me lève, réalise qu’on est samedi, me recouche et ne cesse de me répéter la recette. Je suis sûre qu’elle est vraie, qu’elle va me sauver de l’acné.
Le sang d’une beauté... Le sang de ma sœur... Je pourrais la piquer ou récupérer ses tampons... Mais la peau d’un serpent ? Dans la forêt peut-être... Et qui est le docteur Caïman ?
Je fais une recherche... Il y a un docteur Caïman dans ma ville... enfin une docteure... ça s’écrit Kaymen mais c’est pareil... Docteur Anastasia Kaymen, dermatologue... Cela ne peut pas être un hasard. Que ma mère le veuille ou pas, je prends rendez-vous lundi pour renaître regénérée.