Nounours est flic à Genève. Flic de quartier tout simple. Nounours n’est pas un génie, même selon les standards d’une catégorie socioprofessionnelle peu réputée pour le nombre de prix ... [+]
On reprend tout depuis le début
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— Allez, tu reprends tout depuis le début...
— Ça fait dix fois que je...
— Eh bien tu recommences !
— Comme vous voulez, comm...
— Je t'écoute...
— Voilà... Comme je vous l'ai déjà dit, mon père faisait déjà ce boulot depuis tout jeune. Il y a une quinzaine d'années, quand j'ai eu quinze ans, il m'a pris par l'épaule et m'a dit qu'il était temps que je reprenne ses activités, qu'on devait se dire des choses, entre hommes puisque j'en étais un désormais. Il se sentait vieux, disait-il, et voulait me céder « sa petite entreprise ». L'argent rentrait bien à la maison même si je ne l'avais jamais vu travailler. Je me doutais vaguement de ce qu'il allait me dire mais qu'il m'en parle comme ça, aujourd'hui, ouvertement, m'a drôlement surpris. Alors il m'a appris, jour après jour, le b.a.-ba de l'ouvrage, tous ses trucs, comment faire un travail impeccable et respecter scrupuleusement les commandes qu'on lui confiait. Commandes dont j'aurais bientôt la charge puisque ses clients, auxquels il en avait touché deux mots, me faisaient entièrement confiance.
Il m'a enseigné la beauté du geste, l'honneur du travail bien fait. Il m'a appris les bons mouvements, l'approche du sujet, son importance et surtout son respect.
Quelques mois après, un soir, il n'est pas rentré à la maison et nous n'avons plus eu, ma mère et moi, de nouvelles de lui. Nous avons remué ciel et terre pour le retrouver, mais en vain. Personne ne savait où il était, s'il était encore vivant ou bien mort. Ses clients me connaissaient bien et, en toute logique, ont continué à me donner du travail. Le même travail que faisait mon père.
Au début, je n'y prenais aucun plaisir, je dirais même que ça me dégoûtait. Mais il fallait bien que je gagne ma vie. En plus, il suffisait d'une commande par mois pour que je vive grassement. Alors, je m'y suis mis. Pas de gaîté de cœur quand même. Je me suis efforcé d'améliorer et de rénover ses méthodes. J'ai utilisé des outils plus modernes, plus subtils. J'ai suivi les progrès de la science pour que mon travail soit plus simple, plus propre, parfait en un mot.
Cette quête de la perfection m'a demandé des mois, des années mais, en contrepartie, m'a procuré beaucoup de satisfaction. Chaque contrat était exécuté nettement, idéalement, et devenait une œuvre d'art qui m'apportait une sorte de jubilation. Chaque nouveau travail était l'occasion de rechercher l'excellence. Et mes clients le savaient bien. Ils connaissaient mon goût pour l'ouvrage exécuté rapidement, sans aucune faute, sans aucune bavure. Ils me préféraient à tous mes concurrents qui faisaient souvent un travail bâclé, répugnant et sans aucun esprit, ce qui les mettait très rapidement hors jeu.
L'acharnement méthodique à atteindre le sommet de mon art faisait de chaque ouvrage beaucoup plus qu'une œuvre, un chef-d'œuvre !
J'ai beaucoup travaillé. Des années. J'en ai exécuté des chefs d'œuvres ! Trop sans doute car, ayant touché le summum, je commençais à m'ennuyer un peu.
Jusqu'au jour où je découvris que le sujet du contrat qu'on me confiait était une jeune fille, belle comme le jour, qui n'avait même pas mon âge.
Malgré ma détermination et mon expérience, il m'était impossible de l'exécuter. Je ne pouvais simplement pas le faire. Était-ce sa beauté et sa jeunesse qui me troublaient ? Était-ce la fatigue que j'éprouvais à ne plus progresser dans mon art, l'usure du temps ?
Mon père me parlait toujours du respect du sujet. Je prenais, dans ces circonstances très particulières, la pleine conscience de ce qu'il voulait dire.
J'en suis tombé amoureux, amoureux fou, tout bêtement.
Tout cela je vous l'ai déjà raconté dix fois. Je ne me répéterai plus. Maintenant, je vais vous dire pourquoi je me suis rendu dans votre bureau.
Vous voyez, j'ai voulu vous rencontrer pour vous proposer un arrangement, monsieur. Je vous offre la liste de tous mes clients et de leurs contrats contre un passeport et un départ sans retour vers une destination la plus lointaine possible.
Et aussi un autre passeport pour ma dernière œuvre. Je l'emmène avec moi. Nous nous marierons dans une île isolée et nous serons heureux tous les deux. Je n'aurai plus à travailler, le pécule amassé sera bien suffisant pour de très longues vacances.
Vous comprenez, commissaire, je laisse sans regret derrière moi mon ancienne vie de tueur à gages. Bien évidemment, votre nom et les contrats que vous m'avez confiés ne figureront pas sur la liste. Ah ! et aussi commissaire..., j'allais oublier, quand vous le verrez, vous donnerez bien le bonjour à mon père...
— Ça fait dix fois que je...
— Eh bien tu recommences !
— Comme vous voulez, comm...
— Je t'écoute...
— Voilà... Comme je vous l'ai déjà dit, mon père faisait déjà ce boulot depuis tout jeune. Il y a une quinzaine d'années, quand j'ai eu quinze ans, il m'a pris par l'épaule et m'a dit qu'il était temps que je reprenne ses activités, qu'on devait se dire des choses, entre hommes puisque j'en étais un désormais. Il se sentait vieux, disait-il, et voulait me céder « sa petite entreprise ». L'argent rentrait bien à la maison même si je ne l'avais jamais vu travailler. Je me doutais vaguement de ce qu'il allait me dire mais qu'il m'en parle comme ça, aujourd'hui, ouvertement, m'a drôlement surpris. Alors il m'a appris, jour après jour, le b.a.-ba de l'ouvrage, tous ses trucs, comment faire un travail impeccable et respecter scrupuleusement les commandes qu'on lui confiait. Commandes dont j'aurais bientôt la charge puisque ses clients, auxquels il en avait touché deux mots, me faisaient entièrement confiance.
Il m'a enseigné la beauté du geste, l'honneur du travail bien fait. Il m'a appris les bons mouvements, l'approche du sujet, son importance et surtout son respect.
Quelques mois après, un soir, il n'est pas rentré à la maison et nous n'avons plus eu, ma mère et moi, de nouvelles de lui. Nous avons remué ciel et terre pour le retrouver, mais en vain. Personne ne savait où il était, s'il était encore vivant ou bien mort. Ses clients me connaissaient bien et, en toute logique, ont continué à me donner du travail. Le même travail que faisait mon père.
Au début, je n'y prenais aucun plaisir, je dirais même que ça me dégoûtait. Mais il fallait bien que je gagne ma vie. En plus, il suffisait d'une commande par mois pour que je vive grassement. Alors, je m'y suis mis. Pas de gaîté de cœur quand même. Je me suis efforcé d'améliorer et de rénover ses méthodes. J'ai utilisé des outils plus modernes, plus subtils. J'ai suivi les progrès de la science pour que mon travail soit plus simple, plus propre, parfait en un mot.
Cette quête de la perfection m'a demandé des mois, des années mais, en contrepartie, m'a procuré beaucoup de satisfaction. Chaque contrat était exécuté nettement, idéalement, et devenait une œuvre d'art qui m'apportait une sorte de jubilation. Chaque nouveau travail était l'occasion de rechercher l'excellence. Et mes clients le savaient bien. Ils connaissaient mon goût pour l'ouvrage exécuté rapidement, sans aucune faute, sans aucune bavure. Ils me préféraient à tous mes concurrents qui faisaient souvent un travail bâclé, répugnant et sans aucun esprit, ce qui les mettait très rapidement hors jeu.
L'acharnement méthodique à atteindre le sommet de mon art faisait de chaque ouvrage beaucoup plus qu'une œuvre, un chef-d'œuvre !
J'ai beaucoup travaillé. Des années. J'en ai exécuté des chefs d'œuvres ! Trop sans doute car, ayant touché le summum, je commençais à m'ennuyer un peu.
Jusqu'au jour où je découvris que le sujet du contrat qu'on me confiait était une jeune fille, belle comme le jour, qui n'avait même pas mon âge.
Malgré ma détermination et mon expérience, il m'était impossible de l'exécuter. Je ne pouvais simplement pas le faire. Était-ce sa beauté et sa jeunesse qui me troublaient ? Était-ce la fatigue que j'éprouvais à ne plus progresser dans mon art, l'usure du temps ?
Mon père me parlait toujours du respect du sujet. Je prenais, dans ces circonstances très particulières, la pleine conscience de ce qu'il voulait dire.
J'en suis tombé amoureux, amoureux fou, tout bêtement.
Tout cela je vous l'ai déjà raconté dix fois. Je ne me répéterai plus. Maintenant, je vais vous dire pourquoi je me suis rendu dans votre bureau.
Vous voyez, j'ai voulu vous rencontrer pour vous proposer un arrangement, monsieur. Je vous offre la liste de tous mes clients et de leurs contrats contre un passeport et un départ sans retour vers une destination la plus lointaine possible.
Et aussi un autre passeport pour ma dernière œuvre. Je l'emmène avec moi. Nous nous marierons dans une île isolée et nous serons heureux tous les deux. Je n'aurai plus à travailler, le pécule amassé sera bien suffisant pour de très longues vacances.
Vous comprenez, commissaire, je laisse sans regret derrière moi mon ancienne vie de tueur à gages. Bien évidemment, votre nom et les contrats que vous m'avez confiés ne figureront pas sur la liste. Ah ! et aussi commissaire..., j'allais oublier, quand vous le verrez, vous donnerez bien le bonjour à mon père...
J'ai donc tout repris depuis le début, bien comme il faut. Et c'est pas mal !