Monsieur Fratt

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« La fierté d’être gros et d’être un bon vivant. Un pâtissier maigrichon serait suspect. » - Monsieur Fratt

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M. Fratt, quarante-trois ans, cent kilos, un mètre soixante-cinq, habitant au 26, rue Köln à Berlin, maître pâtissier chez L'Ange Rouge, célèbre cabaret berlinois. Amoureux de Veronica, entraîneuse et danseuse de tango.

Plus céleste que terrestre malgré son poids, comme non enraciné. Dans le regard, la fierté d'un savoir-faire. Un visage œuf. Une petite moustache humble et sérieuse qui ne trempe jamais dans la soupe. Une cuisine parfaitement ordonnée et une masse en apesanteur qui se meut au milieu des casseroles.
La fierté d'être gros et d'être un bon vivant. Un pâtissier maigrichon serait suspect. Des chaussures tellement cirées qu'elles ruissellent de lumière, comme le tablier blanc. Court sur pattes, pas de cou. Le cocu d'une pièce de Feydeau ? Et pourtant non. Rien de risible, rien de ridicule, un charisme, une indéterminable présence. Pesant et léger, rugueux et rond, un regard paradoxe qui vient démentir toutes les courbes, se déplaçant comme un nuage de lait dans sa cuisine.
Le maître des lieux, le maître des choux, toujours impeccable. Flottant flotteur aux mains de boucher.

Des mains qui, un soir, avaient étranglé Veronica. Des mains qui avaient saisi le boa bleu de la danseuse et qui l'avaient serré autour du cou délicat.
Pourquoi ?
Parce que Veronica se refusait à lui ? Non.
Parce qu'elle se moquait de lui ? Non.
Parce qu'elle l'avait trompé ? Non.
Parce qu'elle ne souhaitait pas l'épouser ? Non plus.
Pourquoi ?
Parce qu'elle avait osé dire que la crème fouettée du lundi était moins réussie que d'habitude.

On pouvait tout dire, tout faire à M. Fratt, mais critiquer sa pâtisserie était quasiment un acte de bravoure. Il mettait autant de précision à réaliser ses gâteaux qu'à lustrer ses chaussures, qu'à laisser son tablier blanc immaculé, qu'à... étrangler Veronica. Derrière sa bonhomie se cachait un maniaque. Net et tranchant comme la lame de son couteau d'office.
Il ne supportait pas le moindre reproche sur ce qu'il était sûr de maîtriser le mieux au monde : la pâtisserie.

M. First, le patron de L'Ange Rouge, lui avait un jour fait part de sa déception lors de la dégustation d'un mille-feuille. M. Fratt avait alors attrapé une grosse louche en bois remplie de chocolat et, méthodiquement, avait enduit la tête du directeur médusé d'un cacao de première qualité.

M. First n'avait pas pu le renvoyer : M. Fratt était le meilleur pâtissier de Berlin.
Veronica n'avait pas pu le quitter : M. Fratt était le meilleur étrangleur de Berlin.

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