Ma sorcière tant aimée

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Disons que j’ai tout juste 60 ans. Entre Alpes, Bretagne et Normandie, souvent en mouvement, le train est le lieu privilégié pour observer et écrire.

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Raoul
 
Elle s'appelle Pomme. Comme une pomme. Elle a sans doute des parents qui ont beaucoup de pommiers. Vous imaginez une fille belle ? Eh bien, Pomme est encore plus belle que ça. Elle a des fossettes merveilleuses, des cheveux merveilleux (roux, mais pas trop) et elle sourit tout le temps, même quand il fait gris ou qu'il pleut. En cours d'Histoire, je suis derrière elle et j'admire son dos. C'est dommage que l'épreuve du Bac ne tombe pas sur le dos de Pomme, j'aurais été incollable. J'essaie d'écouter l'Histoire, celle que l'on se doit de connaitre, la guerre froide, la chute du mur, la construction de l'Europe... Tout ça me ramène au dos de Pomme. Ses cheveux roux sur son pull vert. Cet après-midi : anglais ! je serai sur sa droite. Je vais donc travailler son profil droit, peut-être mon préféré. Il faudra que je sois discret, surtout pas lourd ! je m'en voudrais. 
 
 
Pomme
 
Il s'appelle Raoul. Toujours pas compris ce qui a poussé ses parents à l'appeler Raoul ! Ça racle au fond de la gorge, on ne peut pas être affectueux avec un nom pareil. « Mon petit Rara ! », ça ne peut pas marcher. Dommage, parce qu'il est drôle et plutôt mignon. Je vois déjà toutes mes copines qui commencent à lui tourner autour. Bizarrement il ne se rend compte de rien, en plus il a l'air timide. Les vacances de Noël approchent et je vais passer deux semaines sans le voir. Ça n'a pas l'air de l'émouvoir. Cet après-midi, pendant le cours d'anglais, il m'a semblé l'apercevoir en train de m'observer. Mais rien n'est sûr, il pouvait aussi bien observer Coline qui est assise à côté de moi. Coline est grande (je pourrais dire haute si j'étais méchante) et forcément elle me fait de l'ombre, on ne voit qu'elle, dans la classe, devant le lycée, dans le bus. C'est notre repère, alors forcément Raoul ne voit que Coline. C'est sûr.
 
 
Raoul
 
Objectif sorcellerie : j'ai bien étudié le problème, le seul moyen pour que Pomme s'intéresse à moi est d'utiliser des techniques éprouvées et sans risque. J'ai regardé des tutos, consulté des blogs, il existe beaucoup de procédés. Dans certains cas, il faut se procurer un extrait de la personne à ensorceler ; j'avais pas l'intention de découper Pomme en rondelle. 
 
Se procurer une photo récente en pied. Pas simple non plus. Elle n'est pas sur Instagram, ni Twitter, ni Facebook, il faudrait que je puisse la prendre en photo discrètement sans personne autour, qu'elle ne soit pas cachée par une Coline par exemple.
 
Non, le moyen le plus accessible est la technique dite de « l'encerclement ». Le principe est simple : il faut faire 33 fois le tour de l'habitation de l'être aimé. En plus des 33 tours, il faut réciter des sortes de phrases bizarres que j'ai imprimées pour les apprendre par cœur. Ça doit être du tibétain, j'en ai jamais vu mais ça y ressemble.
 
 
Pomme
 
J'ai peur. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai peur. Je suis sûre qu'elles sont toutes en train de draguer Raoul sur leur Instagram, Messenger et compagnie. Elles sont toutes fourrées la tête dans leur truc, et moi je suis une OVNI. Pas de réseaux sociaux, pas de mème (oui je sais ce que c'est !), pas de TikTok et de pouce qui passe à la vidéo suivante demi-seconde après demi-seconde. Alors je lis, je pense à Raoul, je mange du chocolat, je pense à Raoul. Je ne craquerai pas. Je me suis juré de ne pas aller fouiller dans sa vie à l'aide d'internet, et je tiendrai bon. Alors je m'invente des histoires, des histoires avec Raoul qui vient vers moi en souriant, ou qui cuisine ou qui se promène dans la forêt. À la fin de l'histoire, Raoul me prend la main, il me dit des mots gentils (je sais pas quoi en fait, c'est à lui de trouver les bons mots), et ensuite il s'approche de ma bouche et m'embrasse. Pfff... j'ai l'air maline à me faire des histoires de princesses et de princes charmants qui viennent m'embrasser. Le prince Raoul ! ça sonne pas très bien. Je sais pas ce qui sonne bien avec Raoul. Parfois j'imagine que c'est lui qui dort, sur la plage, et je profite qu'il a les yeux fermés pour l'embrasser.
 
 
Raoul 
 
Je n'en finis pas d'apprendre par cœur les phrases magiques. Il y en a une quinzaine en tout, chaque phrase est composée d'une dizaine de mots qui ressemblent à peu près à ça : KAFALOUMIKOLOPARA MIPOULARISOTOALAPOELE, etc. Cinquante fois que je relis ces damnées phrases, je n'y arriverai jamais ! Sans compter qu'il va falloir les réciter pendant que je fais 33 fois le tour de chez Pomme. 
À ce propos... Pomme habite à la campagne, dans une maison isolée, avec du terrain plat autour, et beaucoup de pommiers sans doute. Alors 33 fois le tour de la propriété, j'ai calculé, ça fait 66 kilomètres, à faire en une seule fois sinon ça ne marchera pas, le tuto est formel !
J'ai décidé de faire les 33 tours à vélo. En 4 heures, c'est possible. Je me lèverai très tôt, mes parents dormiront encore et, en tenant un bon rythme, j'aurai terminé avant d'aller en classe. On pensera que je suis parti très tôt pour le Lycée. Je suis presque au point sur les phrases en tibétain. Dernière soirée à répéter. J'aurais dû prendre tibétain en seconde langue pour le Bac. 
 
 
Chez Pomme
 
Le papa de Pomme finit de se raser, il fait encore nuit et il part travailler dans 30 minutes. De retour dans la cuisine, debout derrière la fenêtre, il boit son café, le regard perdu dans le vide. Il aperçoit au loin un jeune cycliste qui pédale à un rythme soutenu. Le jeune homme tient d'une main son guidon et de l'autre des feuilles de papier qui flottent dans le vent. L'image le fait sourire. Après s'être habillé, le papa de Pomme repasse par la cuisine, il repense amusé à ce cycliste qui est peut-être en train de réviser ses leçons sur son vélo. Il éteint la lumière et ne remarque pas que le même cycliste repasse au même endroit, toujours au même rythme.
 
Monsieur Pomme sort silencieusement de la maison qui dort encore, monte dans sa voiture, déclenche l'ouverture du portail automatique et se dit qu'il faudrait qu'il pense à changer le clignotant orange du portail, celui qui se met en route pendant la manœuvre des vantaux. Il franchit rapidement le portail sans prendre la peine de regarder la circulation, car il n'y a pas de circulation dans la rue de Pomme. 
Sauf ce matin-là, à 6 h 30, au moment précis où Raoul, le nez plongé dans ses papiers, pédale vigoureusement en articulant son vingt-quatrième MIPOULARISOTOALAPOELE. Le choc est terrible, le vélo devient pliant pour l'occasion, la voiture de monsieur Pomme est bien cabossée et Raoul gît sur la chaussée.
 
 
Pomme
 
Papa est dans l'entrée en train de hurler au téléphone, il engueule quelqu'un qui visiblement ne comprend pas qu'il y a un accident et qu'il faut rapidement envoyer des secours. Je me précipite en pyjama devant la maison. Là, dans la rue, je vois un vélo tout tordu et un garçon allongé sur le côté. Je reste figée par la scène que je découvre : Raoul, mon Raoul ! Il est là, allongé sur le macadam, les yeux clos. Je me précipite sur lui, lui prend sa tête entre mes mains et je ne sais pas ce qui me prend, je m'approche doucement de sa bouche, je l'embrasse. Alors doucement il ouvre les yeux, il m'embrasse à son tour et murmure quelque chose de bizarre, sans doute du Tibétain. Je m'en fous, c'est à lui de choisir les bons mots. 

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