Tu t’allonges ; pas faim, dis-tu
Le rideau vers dehors hoquète sur ses lanières de plastique
C’est comme une longue
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Chère, si chère Plaine,
Colline est là. Colline l’Iséroise.
Mon voyage, mon ascension, ma halte. C’est maintenant que tout commence. Sac à dos posé dans un creux du pré, chaussures sous ma tête en guise de coussin tout de cuir percé, je t’écris que c’est ma première fois, tu sais.
J’y reviendrai, c’est sûr.
Timidement, je pose mes mains, mes pieds sur ses seins voisins des aigles. Ils sont bien ronds, pleins. C’est tout chaud sur le galbe et ça sent la noisette, la châtaigne peut-être.
Trais-moi, murmure-t-elle dans la couleur de mon cou.
Trais-moi que je sache le doux de tes paumes, le pointu de tes ongles.
Donne-moi le chaud de ton souffle, le mouillé de ta sueur, Petit Voyageur.
Prends des branches, la ficelle dans ta poche. Fabrique-toi un tabouret de bois. Même branlant, même vert, tu verras, c’est solide, le fayard.
Sa peau, chère Plaine, c’est prairies, vallons, sentiers et gouttelettes. Il y a des crêtes toutes fines, roses le soir. C’est le soir, ma Plaine. Colline l’Iséroise gigote à peine dans son pyjama soyeux de brume pâle telle étoffe de lune. Les fibres d’épilobes font des miracles par ici. Quant à la digitale, elle vaut bien toutes les soies, tous les tweeds, tous les madras du monde.
Alors gicle le lait de son mamelon douillet. C’est la cascade. Me voici enfant de la transhumance et Colline, maman de paysage, berce ma bouche soudainement broutarde. Mes lèvres tètent, sauvageonnes si peu voraces au début. L’aréole exotique si loin du monde nourrit l’histoire, trace les traits de notre première rencontre.
Plaine, si chère Plaine, vois le bisonneau dans la rocaille quasi canadienne.
Il halète sur l’Oisans, mange le pré si vaste, en fait une grosse ventrée gloutonne.
Il sourit quand je parle de lui.
Plus loin, une ébréchure.
C’est le bouquetin, il reluque le plumeau bariolé.
L’œil-oiseau perce le Bugey aussi joufflu qu’une raviole de géant.
Le héron à la vareuse pourpre picote la chamoisine docile, étourdie par le bec encombrant.
Le voyage a déjà commencé.
Ici la pelouse, dieux, la pelouse montagnarde !
Moquette aux confins puis routes enlacées. Chemins fins comme cheveux. Chemins-cheveux et mèches de henné même pas tressées par l’osier trop sec que la rivière se retient d’abreuver parce que c’est trop tôt. On attendra l’automne. Les premiers froids. Les craquements du feu dans l’âtre en bas dans la vallée et le bruit de la pluie en sera témoin. Je serai là. Je le promets.
Puis, au détour : la corniche de Drac escalade le convoi des chamois. C’est ici le nouvel Himalaya, je crois.
Ma Plaine, ne te moque pas de moi, je viens de changer de pays, de planète même.
Ta terre est ce loin semé de pissenlits, soleils chapardés au ciel donneur. Ton ruisseau, c’est le Gange.
Mes pieds, pauvres brimborions, trempent dans le sacré à fleur d’ubac.
Alors, nous irons dans le Trou qui Souffle, nous enfoncerons dans son ventre profond, cacherons pognes et peurs dans le fond du calcaire.
Tu verras, Plaine, si chère Plaine.
De mon cœur randonné, je ferai des bouquets de villages pour offrir en partage le duvet d’un ailleurs saveur myrtilles et murmure de marmottes.
Tu verras Colline en épousailles qui fera sa fée au dos de mon dos telle redingote verte et sa voix de cailloux en crinoline fera hymne.
Puis de l’ortie, nous ferons des soupes puis chabrot si elle veut.