L'esclave libertaire

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître. »
Avais-je crié en me projetant loin de lui.
Je haletais, mes poumons palpitaient comme un oiseau aux ailes brisées dans la mâchoire d'une bête chargée d'une ville cruauté. Apeurée, je sentais sa rage mortifère sur ma peau. Une odeur de mort débordait dans la pièce et je n'avais plus besoin d'une prophétie divine pour connaître le lendemain où mes restes seront exposés.
Il sortit des cordes de la poche de son pantalon, puis il a dit :
« -tu le paieras par ta vie. »
De l'autre côté de la pièce frémissait une voix qui m'était familière, c'était celle de Dahlia, ma sœur jumelle. Je l'entendais gémir de douleurs et une larme chaude et salée se dessina au coin de mon œil. Il y avait quelque chose de choquant dans sa voix, une sorte de lassitude, un appel à la mort que je parvenais à déceler. Je l'entendais succomber peu à peu sous le poids de son bourreau puis elle poussa un cri horrible, comme si un couteau lui transperçait lentement le cœur et par la suite, plus rien, pas même le moindre balbutiement. J'avais cru au pire et la larme que je retenais avec toutes les lacunes de ma force avait fini par couler sur ma joue et s'écrasa sur le sol sans faire de bruits.
Des souvenirs, comme si on avait ouvert la porte qui les retenait, refaisaient surface. Ils venaient de loin, je les ressassais tous à la fois comme une amnésique qui venait de retrouver sa mémoire longtemps oubliée et qui se hâtait de jouir de la bénédiction que s'est de pouvoir ressasser des vieux instants. Le souvenir du soir où Dahlia et moi avions été captivées par ces hommes a refait surface.
Nous étions les seules survivantes de l'attaque du camp de réfugiés à l'Ouest de Kangar par des terroristes fortement armés qui disaient luttés pour l'adoption d'une doctrine propre à un dieu inconnu des kangaréens, leur dieu à eux. En ces temps, le pays semblait si éloigné du ciel qu'on n'y voyait ni étoiles, ni lune sauf des fleurs mortes, des torses sans têtes, des mains et des jambes coupées, des traces de luttes, des balles éparses sur le sol avec leurs empreintes, des mares de sang et des gouffres hideux où reposent les restes des bébés et enfants violemment assassinés. C'était la guerre et beaucoup de Kangaréens s'étaient réfugiés non loin de la frontière ouest du pays, dans un vaste camp où une once de paix nous donnait le sentiment d'être à l'abri des bombardements. Quelques militaires assuraient la sécurité et les vivres nous étaient livrés par un hélicoptère.
Le soir du drame, il y avait une liesse inexplicable qui débordait dans le camp. Des patrouilles de militaires à la gâchette facile sillonnaient les quatre coins. Nous nous sentions en sécurité, nous avions bavardé, ignorants tous le mystère qui manœuvre le temps. Personne n'imaginait le drame qui allait se produire dans les prochaines heures.
Je m'étais éclipsée un instant pour contempler l'épaisseur de la nuit à travers la fenêtre. De là, je voyais des hommes cachés dans les arbres, sous les buissons, tenants des sacs et des armes. Effrayée, j'ai couru vers les autres pour les prévenir mais en même temps l'un des militaires a fait irruption. L'expression de son visage témoignait la présence d'un danger. Alors qu'il s'apprêtait à ouvrir la bouche, une bombe a explosée à l'arrière du bâtiment.
L'explosion était si violente que j'ignore comment j'ai fait pour survivre. À un instant j'ai cru que j'étais la seule survivante mais plus loin, j'apercevais Dahlia qui était retenue de force par un homme armé, l'un des terroristes, avais-je conclus. Un autre s'avançait rapidement vers moi et Dahlia s'était mise à crier « coure ! »
Je courais hagardement et rapidement dans l'obscurité mordante de la nuit. Les lampadaires montés côte à côte sur la route cahoteuse étaient éteints. La lune, comme si elle était aussi contre moi, se retira furtivement dans ses entrailles après une lutte inopinée avec le nuage de pluie planant. Des ténèbres sombres envahirent l'espace, rendant mes yeux inutiles.
Mes pieds nus martelaient le chemin de gravier, cassant des pierres et les jetant derrière moi. L'homme me poursuivait, il me traquait comme un lion traque sa proie. Mes forces me lâchaient et je tombai impuissante sur le sol marécageux, ma tête tomba dans une flaque d'eau. L'homme s'est allongé sur moi, a glissé son phallus dans mon corps. C'était horrible de sentir son hymen déchiré sans la moindre douceur. Je haletais, car ma tête était dans l'eau boueuse. J'avalai une gorgée d'eau marécageuse, sursautai violemment, mais l'homme me tenait fermement et poussa énergiquement son phallus, faisant jaillir en moi, l'envie de mourir. J'ai voulu lui dire « s'il vous plaît ! Je n'ai que 15 ans ! » Mais je n'ai pas trouvé le passage entre mes lèvres.
Par la suite, il me traîna par les pieds jusqu'à un vieux camping-car où se trouvaient d'autres filles séquestrées et maltraitées.
Le trajet paraissait éternel, nous n'avions point le droit de nous parler. Je regardais Dahlia de loin sans faire le moindre geste. Ils gardaient leurs armes braquées sur nous. Un autre beaucoup plus musclé dévisageait chacune de nous d'un regard pervers. « À partir de maintenant, nous sommes vos maîtres, vous devez nous obéir et nous satisfaire » exigeait-il. Nous étions désormais leurs captives, leurs épouses, leurs esclaves. Puis chacune devait l'appeler maître tour à tour en regardant ses yeux masqués par la bavette de la cruauté. À mon tour, je lui ai craché dessus et il me roua de coups que je sentais ma force vitale devenir une chose si minuscule qu'une flamme d'allumette. Comme un réflexe, j'envoyai ma main sur la poche droite de ma robe. Il y avait une photo, un cliché flou de ces samedis où Dahlia et moi étions couvertes de rêves.
Nous aimions jouer les écrivaines célèbres dans notre chambre. Nous récupérions les livres de nos parents et tour à tour, nous incarnions les auteurs. Je retrouvais l'espoir, mais je perdais des forces et je m'évadais peu à peu de mon être.
D'abord le bruissement léger des feuillages. Le murmure distant d'une rivière. Le piaillement continu des oiseaux. Puis le craquement des branches. L'odeur de la terre humide, celle de la litière. J'ouvrais les yeux avec douleur dans une cabane au cœur d'une forêt. J'essayais de me souvenir de quelque chose mais une partie de ma tête me semblait interdite, inaccessible, mais je refusais d'abandonner, je continuais de fouiller, puis il a fait irruption dans la pièce, sortit son phallus et exigea de moi une fellation. J'ai refusé puis il m'a dit :
« Je suis ton maître, tu n'as pas le droit de me résister. »
Je lui ai crié que jamais je ne me soumettrai à lui. Il me ligota avec les cordes et me traîna hors de la cabane. Les autres réunissaient de force les autres filles, c'était comme un rassemblement général d'élèves qui devaient vivre la punition d'un de leurs camarades. Dahlia n'était pas parmi elles et j'ai tiré un point final à mes doutes. Elle est morte !
« Regardez là, elle a osé désobéir et maintenant je vais lui trancher la gorge. » avait-il dit sèchement. Il me promettait une mort douloureuse et répugnante Il voulait que les autres filles vivent ça pour comprendre ce qui leur arriverait si elles osaient leur dire non à leur tour.
Il dévoila son couteau, armait son coup et au moment de l'accomplir, des hallebardes ont retenti. C'était l'armée et je sentais que notre libération était proche. L'affront était infernal mais aucune fille n'a été blessée, nous avions toutes été libérées de cet enfer et conduit dans un hôpital de la capitale pour des soins et un suivi psychologique.
Voici donc l'histoire, je l'ai écrite avec l'encre de ma souffrance et le cœur unie à toutes les femmes retenues captives et soumises à l'esclavage sexuel par ces hommes cruels. Elles attendent comme un enfant qui attend Noël cette corde démenant à la jouissance pour tous les empêchés : la liberté !