Les Glutons

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— Il n'a pas bougé d'un cil. Il est un peu...
I'mill grimaçait en faisant tournoyer l'image sur l'écran, zoomant patiemment sur les aspérités qui couraient sur la peau de l'être étrange.
—... Tordu. C'est ça, il est tordu. Tu crois qu'il est coincé ?

Kov'in, étalé dans un coin de la cabine de pilotage, sirotait un sirop d'algues à l'écume couleur fuel. Il soignait son mal de planète en s'embrumant les neurones. Depuis le temps qu'il dérivait avec son partenaire sur les rives de l'Univers, sa mission, il n'y croyait plus vraiment. Il fit un bruit de succion écœurant, écrasa son gobelet en fibres végétales, visa la trappe dévoreuse de déchets, la rata.
I'mill, imperturbable, cadra l'image sur ce qui semblait être une tête.

— Ah, nous y voilà !

À demi intrigué, Kov'in tangua jusqu'à l'écran comme une éponge mal essorée. I'mill tenait les manettes du bout de ses cinq tentacules de couleurs et de longueurs variantes.

— I'mill, c'est quoi ce truc hideux ? Ça fout les jetons, dis donc !
— Mais non, il a l'air plutôt tranquille. On dirait bien qu'il dort.
— Eh ! regarde, il a ouvert un œil. Nom de Bweurk, il s'envole !
— C'est pas son œil Kov'in, juste une bestiole qui vient de décoller. Là ! tu vois ? Elle s'est posée sur... C'est étonnant tous ces petits bras qui ondulent sur sa tête.

L'unique œil globuleux de Kov'in fixa l'écran. L'un de ses tentacules couleur de bile se déploya et pointa ce qui ressemblait à un tournevis vers une zone de l'image.

— Ces bras-là, accrochés à sa tête ?
— Ouais, t'as vu, ça ondule dans tous les sens, et pourtant il ne se déplace pas, l'affreux.
— Il bouge immobile. Comme dans une forêt de kelp, mais sans la mer, poétisa Kov'in pas encore tout à fait dégrisé.
— Un spécimen intéressant. Regarde, il laisse la mousse coloniser sa tronche, et là, des bestioles dégoûtantes avec plein de minuscules pattes noires l'escaladent sans qu'il les écrase. C'est dingue !
— Il est paisible. On a donc une planète semi-aquatique, où flotte l'harmonie. D'accord, il est plutôt moche l'habitant, mais s'il est inoffensif, on pourra coloniser sa planète sans faire la guerre. Qu'en penses-tu I'mill, on le capture et on le ramène chez nous, sur Gluton ?

I'mill faisait clignoter les couleurs de son corps difforme, signe d'une réflexion intense. Il inspira un bon coup par sa fente ventrale, puis expira un nuage brumeux qui fit cliqueter ses écailles. Sa tête ovoïde s'immobilisa soudain en vert gluant.

— OK, Kov'in, on va tenter le coup. Pendant que l'intelligence de bord calcule les données de la trajectoire, tu vas vérifier les grosses pinces et l'aspirateur. T'as intérêt à bien faire ton boulot cette fois-ci !
— T'inquiètes, I'mill, j'ai pas bu une goutte d'algues au fuel depuis... depuis qu'il y'en a plus en fait. Je suis motivé comme t'as pas idée. Je veux rentrer à la maison I'mill. Tu crois que l'empereur Bweurk nous laissera rentrer ?
— Grouille-toi Kov'in !

***

La nuit était tombée sur Terre, le vaisseau à tête ovale et translucide, indétectable aux radars, descendit en piqué, rasa la colline, puis s'immobilisa juste au-dessus de l'être au visage noueux. Le piège extraterrestre, mal huilé, cliqueta. Il aspira, aspira et aspira encore jusqu'à un craquement sinistre.

Les racines de l'arbre soulevèrent la terre, mais elles résistèrent à la succion écœurante. L'un des bras du vaisseau s'emmêla aux branches du sylvestre centenaire. En furie, l'arbre pressa l'une des deux pinces extraterrestres contre son écorce, elle gicla comme une olive trop mûre. Il se pencha dans un raclement d'écorce, cueillit un gros caillou qu'un renard avait poussé là à cet effet, le lança tel un champion aux Jeux olympiques. Gagné ! L'intrus nauséabond boula jusqu'au-delà du système solaire, traînant derrière lui, dans un vacarme silencieux, l'un de ses bras désarticulés.

— Bon débarras !, gronda la Lune énervée par ces Glutons sans-gêne.
Un nuage la dévoila au regard de la Terre, elle vint alors bercer l'olivier de sa lueur cuivrée.

***

Le lendemain, en Andalousie, sur la crête de la colline redevenue paisible...

— Regarde grand-père, l'olivier, on dirait qu'il a un visage.
— Où ça, Paco ?
— Juste là !

Le vieux Miguel rabattit un peu sa casquette sur ses yeux, le soleil l'aveuglait. Il se pencha sur sa canne pour se mettre à la hauteur de l'enfant qui pointait son doigt vers le tronc torturé :

— Là... ses yeux... là... sa bouche... là... son nez... et... ici... sa barbe en mousse !, énuméra Paco avec un brin de merveille.
— Sapristi ! Je ne l'avais jamais observé sous cet angle. Sacré gamin, va !

Miguel claqua sa cuisse de sa paume sèche et calleuse. Quelque chose le turlupinait. Il se dévissa la tête, plissa les yeux, puis se redressant en faisant craquer ses genoux, il lança :

— Il a une tête de lion, ce gaillard-là !
— Eh ben moi, je trouve qu'il te ressemble, s'enhardit Paco tout en envolant la terre aride du bout de sa sandale.

Le vent fit frémir les feuilles de l'olivier, en reflets d'argent. La musique de ses feuilles se mêla au rire du vieux Miguel, déferla comme un torrent de roches jusqu'au vaisseau gluant qui dérivait encore et encore sur les rives de l'Univers.

__

Note de l'auteur : Le langage olfactif des Glutons a été traduit avec le plus de justesse possible.

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