Je venais de prendre la plus grande claque de ma vie. Et sûrement la dernière. Cette méchante tarte, c'était un médecin qui me l'avait infligée. Je n'avais rien à lui reprocher. Il avait pris ... [+]
Un vagabond déguenillé, à l'haleine fortement avinée, avec une vilaine verrue sur le nez, sonna à la porte de madame Bavasse. Elle ne voulut pas ouvrir, car elle était au téléphone. Elle n'aimait pas être interrompue en pleine médisance. C'était à ses yeux comme être dérangée au sommet d'un orgasme.
Mais l'importun insistait tant qu'elle dut bien lui ouvrir. Dès qu'elle eut reconnu le visage de son visiteur, elle lui claqua la porte au nez en le gratifiant de paroles peu amènes. Il s'agissait du clochard pouilleux qui faisait habituellement la manche devant la poste. Il était toujours là, affalé sur les escaliers, puant le pinard et l'urine rance, à importuner tout le monde. Voilà maintenant qu'il quémandait jusque chez les honnêtes gens. C'était insupportable. Que faisait la police ?
Madame Bavasse allait s'en plaindre à son interlocutrice, mais elle ne fut pas capable de prononcer la moindre parole. Seul une sorte de mugissement sortit de sa gorge. C'était terriblement frustrant de ne pouvoir dire sa rage. Mais c'était comme si sa langue était empâtée.
A la vérité, elle se rendit bientôt compte que la situation était bien plus dramatique. Il ne s'agissait pas d'empâtement, mais de disparition. Oui, c'était cela, elle n'avait plus de langue.
Le clochard, visiblement peu affecté par ce premier refus particulièrement sec, sonna à la porte voisine. C'était celle de Laurent Goloso, présentement en extase devant son frigo ouvert. Les délices qui y étaient entreposés le ravissaient. C'était la choucroute garnie, située juste en face de ses yeux, qui l'attirait le plus. Il était sur le point de s'en emparer lorsque la sonnerie de la porte d'entrée avait retenti. Il était bien résolu lui aussi à faire la sourde oreille, car il avait grand faim et n'avait pas envie de mettre un bâillon, même provisoire, à sa gourmandise. Mais, la sonnette ne se taisait pas..
C'est avec grande colère qu'il se dirigea vers la porte. Quand il découvrit que c'était un inoffensif petit vieux qui l'empêchait de se remplir le ventre, il laissa son courroux s'échapper sans retenue. Le clochard ne put dire un mot et recula in extrémis pour éviter les poings du gros bonhomme qui, s'ils avaient heurté sa face déjà peu avenante, n'eussent pas manqué de le rendre véritablement hideux, voire de l'occire. C'était que, lorsque l'estomac de Goloso le tiraillait, il lui tenait lieu de cerveau.
Quand ce dernier revint dans sa cuisine, une vision d'horreur se présenta à lui. Son frigo était quasi vide. Surtout, la choucroute avait disparu. Il avait beau remuer en tous sens les rares produits qui restaient, la catastrophe se confirmait. Il ne lui restait plus rien à manger que les quelques légumes apportés par sa mère et qu'il n'avait jamais eu l'intention d'ingurgiter. Il eut envie de crier, mais il ne le put pas. C'était terrible, Sa mâchoire était bloquée. Impossible d'ouvrir la bouche.
Rester aphone n'était rien. Le plus grave était de ne plus pouvoir manger
Devant ce nouvel échec, le clochard ne se découragea pas et sonna à la dernière porte du palier. Celle de l'appartement de Lenny Bogosse. Enfin, c'était aussi celui de son épouse qu'il s'apprêtait à tromper une nouvelle fois. Pour l'instant, il en était aux préparatifs. Le hurlement frénétique et incessant de la sonnette le fit sortir de la douche dans un état d'exaspération prononcée. Celui qui se permettait une telle impudence allait passer un sale moment.
Le clochard se fit effectivement enguirlander de la plus verte des façons.
La porte refermée dans un grand fracas, Bogosse se dépêcha de se rhabiller. Il n'était pas question d'être en retard à son rendez-vous et de perdre une minute de plaisir, surtout pour un imbécile de vagabond.
Quand il eut ôté son peignoir, il crut mourir. Non, ce n'était pas possible. Pourtant, il avait beau tâter son entrejambe, il ne rencontrait pas la moindre protubérance. L'intégralité de son appareil génital avait disparu. Mais comment allait-il faire avec son amante ? Certes, il existait des moyens alternatifs de donner du plaisir à une femme. Mais tout de même, c'était un handicap indépassable. Par où passerait sa propre jouissance ? C'était affreux, il avait perdu l'objet de sa fierté, son plus beau joyau, le centre de son existence.
C'est alors que le clochard vint à nouveau sonner aux portes de la vieille médisante, puis des obsédés alimentaires et sexuels, dans le même ordre que la première fois. A tous, il demanda s'ils n'avaient pas perdu quelque chose et leur annonça que s'ils voulaient retrouver leur bien, ils devraient lui accorder l'aumône qu'ils avaient eu la méchanceté et l'imprudence de lui refuser. Ils durent bien s'exécuter.
Le clochard ou sorcier, comme il se nommait lui-même, répéta à ses trois victimes le même discours.
Attendez un petit quart d'heure et tout va rentrer dans l'heure. S'il y a un problème, vous savez où je me trouve. Sur les escaliers de la poste. D'ailleurs, la prochaine fois, il serait bien de me donner une petite pièce si vous ne voulez pas qu'il vous arrive une nouvelle mésaventure.
Il ne faut jamais faire confiance à un sorcier, surtout quand il a trop bu. Nos trois rackettés en firent l'amère expérience. Le slip de Lenny Bogosse se remplit bien à nouveau, mais d'une saucisse et deux pommes de terre cuites, qui s'effritaient à chaque mouvement. Madame Bavasse manqua de s'étouffer lorsque sa bouche se remplit de chou. Laurent Goloso eut un cri d'effroi en ouvrant son frigo. A la place de la choucroute, sous un emballage de cellophane se trouvaient le sexe et les testicules de Lenny. Tout en hurlant, il recracha la langue de la vieille femme. L'appendice sauta sur le sol comme une truite sortie de l'eau.
Au bout d'une heure, les trois rackettés se dirigèrent chacun de leur côté vers la poste. Madame Bavasse arriva la première devant le clochard, effondré au milieu des escaliers, désormais proche du coma éthylique, car il avait utilisé l'argent soutiré pour se procurer quelques bouteilles de mauvais vin. La vieille médisante mugit en le frappant au visage avec son sac à main. Bogosse, arrivé sur les lieux, écarta la rombière et menaça le clochard du poing et de sa voix pleine de rancœur. Le gros Goloso arriva en dernier, en se traînant lamentablement, handicapé par sa masse graisseuse en tout point déraisonnable, et entreprit immédiatement d'étrangler le mage clochard, qui s'exclama avec le peu d'air qu'il lui restait :
Arrêtez, réfléchissez, si vous me tuez, vous resterez toujours comme ça. Moi, je vous dis que vous feriez bien d'attendre que je décuve parce que dans cet état, je suis capable de faire pire. C'est vrai quoi, la saucisse pourrait atterrir dans une cavité encore moins indiquée chez Madame ou chez un de vous, messieurs.
Après avoir lancé cette galéjade, il se mit à rire aussi bruyamment que bêtement.
Après avoir lancé cette galéjade, il se mit à rire aussi bruyamment que bêtement.
Révoltés par son impudence, les trois se mettent à le cogner dans un même mouvement.
C'est bon, c'est bon, je vais essayer, gémit le vieux.
Il murmura une sourde imprécation et le prodige réussit. La vieille retrouva sa langue, le gros put ouvrir la bouche, le libidineux, encouragé par ces heureux présages, passa une main dans son slip et constata que tout était rentré en ordre.
Il murmura une sourde imprécation et le prodige réussit. La vieille retrouva sa langue, le gros put ouvrir la bouche, le libidineux, encouragé par ces heureux présages, passa une main dans son slip et constata que tout était rentré en ordre.
Les trois s'acharnèrent tout de même sur le sorcier et le tuèrent. Leur forfait accompli, ils voulurent rentrer au plus vite chez eux, mais se firent écraser par un camion, qui portait l'inscription "déménagements du sorcier" sur ses côtés. C'est ce qu'affirma en tout cas un témoin aux policiers. Un petit homme avec une verrue sur le nez, qui ressemblait en tout point au clochard de la poste, serait sorti du véhicule pour uriner sur les cadavres avant de reprendre la route. Mais les enquêteurs ne prirent pas ce témoignage au sérieux. On ne trouva jamais de société à ce nom. Et il ne pouvait pas s'agir du clochard puisqu'on avait trouvé son cadavre sur les escaliers de la poste.
Un mort ne peut conduire un camion et encore moins tuer des gens, voyons.