Pour un enfant adopté à qui l’on a caché la vérité, toute découverte est bonne à prendre. Celle que je fis il y a bien des années déjà dans un vide-grenier a changé ma vie.
Une ardente
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Depuis deux soirs, à la nuit tombée, les craquements et les frôlements reprenaient. Cela crissait, s'agitait, craquait à qui mieux mieux dans la vieille armoire normande aux paniers de fleurs sculptés qui ornait un pan de mur de mon ancienne chambre, depuis longtemps inoccupée.
Je venais d'arriver dans la maison, après la mort de mes parents. Mon mari aurait dû me rejoindre mais avait été retenu par son travail, il prendrait un train le lendemain. Dans ma solitude forcée, les souvenirs d'une enfance mouvementée remontaient, alors que je cherchais le sommeil dans ce lit froid.
Je me levai et j'ouvris l'armoire. Le parfum suranné des sachets de lavande disséminés entre les piles de draps de lin brodé me prit à la gorge et m'envahit d'émotions antagonistes. Aux prises avec mes sentiments envahissants, je me concentrai sur la recherche de l'origine du bruit singulier.
Et puis je la vis. La boîte où autrefois je serrais mes trouvailles d'enfant : insectes, cailloux, marrons d'Inde, au hasard de mes découvertes. Elle était toujours là, avec son tissu à fleurs tout simple, tendu sur du carton épais.
Elle n'avait rien perdu de la fraîcheur de ses coloris depuis toutes ces décennies. Elle était intacte, telle que je l'avais quittée à regret, un bien triste soir. Ma mère me l'avait confectionnée pour mes dix ans, et les trous dans le couvercle pour l'aération étaient encore visibles. C'était d'elle que provenaient les grattements, et pourtant il était impossible qu'après tant d'années, elle contînt encore un insecte vivant.
Soudain, une terrible appréhension ne laissa plus aucune place à d'autres sensations lorsque les souvenirs de la dernière fois où j'avais vu cette boîte me revinrent en masse, d'un seul coup d'un seul. Car j'en étais sûre, toutes ces années où j'avais vécu dans la maison après le drame, cette boîte n'était plus dans l'armoire. Je l'aurais vue. Et voilà qu'elle réapparaissait avec tout ce que sa présence impliquait pour moi de mauvaise conscience et de remords.
À l'ouverture de la boîte, mon lucane cerf-volant s'en échappa. Je le reconnus immédiatement. Lui, pas un autre, sans aucun doute possible. Je l'avais capturé sur un muret de pierres sèches longeant le pré, à quelque distance du bois de chênes, l'été de mes douze ans. Le plus bel insecte de ma collection, qui rendait mon frère si jaloux qu'il m'avait mené une vie infernale pour me faire accepter de le lui céder. Sa convoitise était telle, qu'il me harcelait jusque dans les couloirs du collège, prétendant que lui, l'avait vu avant moi, et qu'il lui appartenait de droit.
Le plus grand des coléoptères, avec ses élytres aux reflets rouges et ses grandes mandibules acérées qui rappelaient les bois d'un cerf, ce magnifique spécimen entomologique, ne pouvait décemment manquer à son tableau de chasse, alors que moi, sa sœur, je me vanterais de le posséder. Au bout de quelques jours de sa lutte sans merci pour conquérir le lucane, je lui posai un ultimatum. Je le lui céderais, à condition qu'il accepte de construire pour moi une fusée à l'aide de plusieurs pétards de feu d'artifice.
C'était un projet qui nous trottait dans la tête, à tous les deux, depuis quelques mois. Un défi courait dans le collège. À l'époque, point n'était besoin d'Internet pour se lancer les paris les plus stupides. Je savais qu'un copain était déjà à l'ouvrage, il fallait le prendre de court, être les premiers à pouvoir montrer nos compétences techniques et notre savoir-faire en matière de fusées artisanales.
Alors que je venais de le sortir de sa boîte, mon lucane s'envola, et alla se cogner aux murs de la chambre. Comment avait-il survécu toutes ces années. dans le noir, sans nourriture ? Je ne me posais même pas la question, il fallait que je lui fasse réintégrer sa boîte, ou sinon je ne jurais plus de rien.
Je réfléchissais toujours au moyen de venir à bout de l'animal, quand j'entendis les grelots du portail, et peu après, mon mari monta l'escalier et me rejoignit dans la chambre. Il avait pu se libérer plus tôt et se faire conduire en voiture jusqu'à la maison. Au moins ne serais-je pas seule pour affronter le lucane qui, pendant son séjour forcé dans la boîte, avait pris des proportions hors norme, même pour un lucane cerf-volant.
Mon mari me dit d'ouvrir la fenêtre, je n'y avais même pas pensé, obnubilée par le bourdonnement sourd du coléoptère géant. Le lucane se posa sur le dormant supérieur de cette haute fenêtre, et mon mari, ayant essayé en vain d'attraper l'insecte, décida de grimper sur le rebord en pierre de la maçonnerie.
Je lui criai de faire attention, en vain. Au bout de quelques secondes, horrifiée, je le vis basculer dans le vide. Il avait perdu l'équilibre.
Le reste de la nuit et les jours qui suivirent sont d'un flou total dans ma mémoire. D'ailleurs, le cauchemar n'a pas encore pris fin. Mon mari était mort dans cet horrible accident, et je vivais dans la terreur qu'on me soupçonne de l'avoir poussé. Il y a tant de crimes domestiques impunis que j'aurais pu m'y attendre, mais tel ne fut pas le cas.
À l'enterrement de mon mari dans le cimetière du village, il s'est produit un phénomène étrange qui aujourd'hui encore quand j'y repense, me glace le sang. Un vol de plusieurs centaines de lucanes cerfs-volants est venu traverser le ciel au dessus de sa tombe encore ouverte. Ils ont empli l'air de leur bourdonnement obsédant, et au passage ont obscurci la lumière du soleil. Puis ils se sont posés, recouvrant les couronnes de fleurs de leur masse rougeâtre, comme du sang. Et sont repartis comme ils étaient venus.
Le lucane de mes douze ans s'est envolé et désormais, me laisse en paix la journée. Il n'y a que la nuit qu'il me visite. Mon frère, à l'époque de l'ultimatum que je lui avais lancé, n'avait pas réussi à construire la fusée. Il s'était trompé dans ses calculs de proportions des composants chimiques. L'engin lui avait explosé dans les mains, il avait perdu trois doigts de la main gauche, deux de la main droite, passé plusieurs mois à l'hôpital. C'était juste après le concours du Conservatoire où il venait d'obtenir un Premier Prix de piano. Il se destinait à une carrière de soliste.
Certains voisins m'ont dit qu'ils avaient vu s'arrêter la voiture de mon frère, la veille de mon arrivée dans la maison de nos parents. Bien sûr il en possédait aussi les clefs, rien d'étonnant à sa venue, sauf qu'il ne devait arriver que trois jours plus tard. Les voisins, étonnés de le voir, ont remarqué qu'il n'était resté que quelques minutes dans la maison, et qu'il était reparti sans aller leur dire bonjour comme à l'habitude. Ils n'ont rien noté de spécial, mon frère ne portait aucun bagage, il était venu, comme le dit si bien l'expression, les mains dans les poches. Lorsqu'il était ressorti, il ne portait rien de plus, ce qui a fait penser à ces voisins, observateurs en diable, que mon frère était plutôt venu déposer quelque chose dans la maison.
Quelque chose de peu encombrant, assurément.
Je venais d'arriver dans la maison, après la mort de mes parents. Mon mari aurait dû me rejoindre mais avait été retenu par son travail, il prendrait un train le lendemain. Dans ma solitude forcée, les souvenirs d'une enfance mouvementée remontaient, alors que je cherchais le sommeil dans ce lit froid.
Je me levai et j'ouvris l'armoire. Le parfum suranné des sachets de lavande disséminés entre les piles de draps de lin brodé me prit à la gorge et m'envahit d'émotions antagonistes. Aux prises avec mes sentiments envahissants, je me concentrai sur la recherche de l'origine du bruit singulier.
Et puis je la vis. La boîte où autrefois je serrais mes trouvailles d'enfant : insectes, cailloux, marrons d'Inde, au hasard de mes découvertes. Elle était toujours là, avec son tissu à fleurs tout simple, tendu sur du carton épais.
Elle n'avait rien perdu de la fraîcheur de ses coloris depuis toutes ces décennies. Elle était intacte, telle que je l'avais quittée à regret, un bien triste soir. Ma mère me l'avait confectionnée pour mes dix ans, et les trous dans le couvercle pour l'aération étaient encore visibles. C'était d'elle que provenaient les grattements, et pourtant il était impossible qu'après tant d'années, elle contînt encore un insecte vivant.
Soudain, une terrible appréhension ne laissa plus aucune place à d'autres sensations lorsque les souvenirs de la dernière fois où j'avais vu cette boîte me revinrent en masse, d'un seul coup d'un seul. Car j'en étais sûre, toutes ces années où j'avais vécu dans la maison après le drame, cette boîte n'était plus dans l'armoire. Je l'aurais vue. Et voilà qu'elle réapparaissait avec tout ce que sa présence impliquait pour moi de mauvaise conscience et de remords.
À l'ouverture de la boîte, mon lucane cerf-volant s'en échappa. Je le reconnus immédiatement. Lui, pas un autre, sans aucun doute possible. Je l'avais capturé sur un muret de pierres sèches longeant le pré, à quelque distance du bois de chênes, l'été de mes douze ans. Le plus bel insecte de ma collection, qui rendait mon frère si jaloux qu'il m'avait mené une vie infernale pour me faire accepter de le lui céder. Sa convoitise était telle, qu'il me harcelait jusque dans les couloirs du collège, prétendant que lui, l'avait vu avant moi, et qu'il lui appartenait de droit.
Le plus grand des coléoptères, avec ses élytres aux reflets rouges et ses grandes mandibules acérées qui rappelaient les bois d'un cerf, ce magnifique spécimen entomologique, ne pouvait décemment manquer à son tableau de chasse, alors que moi, sa sœur, je me vanterais de le posséder. Au bout de quelques jours de sa lutte sans merci pour conquérir le lucane, je lui posai un ultimatum. Je le lui céderais, à condition qu'il accepte de construire pour moi une fusée à l'aide de plusieurs pétards de feu d'artifice.
C'était un projet qui nous trottait dans la tête, à tous les deux, depuis quelques mois. Un défi courait dans le collège. À l'époque, point n'était besoin d'Internet pour se lancer les paris les plus stupides. Je savais qu'un copain était déjà à l'ouvrage, il fallait le prendre de court, être les premiers à pouvoir montrer nos compétences techniques et notre savoir-faire en matière de fusées artisanales.
Alors que je venais de le sortir de sa boîte, mon lucane s'envola, et alla se cogner aux murs de la chambre. Comment avait-il survécu toutes ces années. dans le noir, sans nourriture ? Je ne me posais même pas la question, il fallait que je lui fasse réintégrer sa boîte, ou sinon je ne jurais plus de rien.
Je réfléchissais toujours au moyen de venir à bout de l'animal, quand j'entendis les grelots du portail, et peu après, mon mari monta l'escalier et me rejoignit dans la chambre. Il avait pu se libérer plus tôt et se faire conduire en voiture jusqu'à la maison. Au moins ne serais-je pas seule pour affronter le lucane qui, pendant son séjour forcé dans la boîte, avait pris des proportions hors norme, même pour un lucane cerf-volant.
Mon mari me dit d'ouvrir la fenêtre, je n'y avais même pas pensé, obnubilée par le bourdonnement sourd du coléoptère géant. Le lucane se posa sur le dormant supérieur de cette haute fenêtre, et mon mari, ayant essayé en vain d'attraper l'insecte, décida de grimper sur le rebord en pierre de la maçonnerie.
Je lui criai de faire attention, en vain. Au bout de quelques secondes, horrifiée, je le vis basculer dans le vide. Il avait perdu l'équilibre.
Le reste de la nuit et les jours qui suivirent sont d'un flou total dans ma mémoire. D'ailleurs, le cauchemar n'a pas encore pris fin. Mon mari était mort dans cet horrible accident, et je vivais dans la terreur qu'on me soupçonne de l'avoir poussé. Il y a tant de crimes domestiques impunis que j'aurais pu m'y attendre, mais tel ne fut pas le cas.
À l'enterrement de mon mari dans le cimetière du village, il s'est produit un phénomène étrange qui aujourd'hui encore quand j'y repense, me glace le sang. Un vol de plusieurs centaines de lucanes cerfs-volants est venu traverser le ciel au dessus de sa tombe encore ouverte. Ils ont empli l'air de leur bourdonnement obsédant, et au passage ont obscurci la lumière du soleil. Puis ils se sont posés, recouvrant les couronnes de fleurs de leur masse rougeâtre, comme du sang. Et sont repartis comme ils étaient venus.
Le lucane de mes douze ans s'est envolé et désormais, me laisse en paix la journée. Il n'y a que la nuit qu'il me visite. Mon frère, à l'époque de l'ultimatum que je lui avais lancé, n'avait pas réussi à construire la fusée. Il s'était trompé dans ses calculs de proportions des composants chimiques. L'engin lui avait explosé dans les mains, il avait perdu trois doigts de la main gauche, deux de la main droite, passé plusieurs mois à l'hôpital. C'était juste après le concours du Conservatoire où il venait d'obtenir un Premier Prix de piano. Il se destinait à une carrière de soliste.
Certains voisins m'ont dit qu'ils avaient vu s'arrêter la voiture de mon frère, la veille de mon arrivée dans la maison de nos parents. Bien sûr il en possédait aussi les clefs, rien d'étonnant à sa venue, sauf qu'il ne devait arriver que trois jours plus tard. Les voisins, étonnés de le voir, ont remarqué qu'il n'était resté que quelques minutes dans la maison, et qu'il était reparti sans aller leur dire bonjour comme à l'habitude. Ils n'ont rien noté de spécial, mon frère ne portait aucun bagage, il était venu, comme le dit si bien l'expression, les mains dans les poches. Lorsqu'il était ressorti, il ne portait rien de plus, ce qui a fait penser à ces voisins, observateurs en diable, que mon frère était plutôt venu déposer quelque chose dans la maison.
Quelque chose de peu encombrant, assurément.
Merci Guy 😉 😱 😉
Le personnage principal semble avoir oublié son passé ou s'en tenir prudemment à l'écart mais les victimes de drame n'oublient visiblement rien et se chargent même d'effectuer des rappels si c'est nécessaire, y compris au sein d'une même famille.
Bravo pour ce texte qu'on lit d'une traite.
Il y avait en effet quelques réminiscences, et pas mal d’imagination noire là-dedans.
J ai croisé un lucane hier sur mon chemin de promenade
Alors je suis venue relire ce texte avec plaisir et en profite pour me re abonner !
Bonne journée et à bientôt
C’est mon histoire qui s’est « crashée » auprès du jury, 🤭