Le crime parfait

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La citation qui explique mon envie de lire et d'écrire: "Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu'il peut à sa guise être lui-même et autrui" (Charles Baudelaire).

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Nouvelles :
  • Policier & thriller

Il va mourir. Tout est clair pour Lucie, à présent. Il faut qu'elle le tue, elle n'a pas d'autre option. Elle y pense depuis quelques jours déjà. Bien sûr, la police la suspectera d'emblée, elle a un mobile évident. Il lui faudra donc se fabriquer un alibi en béton.
Elle va commettre le crime parfait, celui qui demeure une légende pour tous les criminels peuplant les diverses prisons à travers le monde. Hors de question qu'elle aille en cellule.
Elle sait déjà où le meurtre aura lieu. Elle a prévu de l'emmener sur la plage où il lui a demandé de l'épouser, ce fameux soir d'été. Elle lui dira que c'est en souvenir des jours heureux : une soudaine nostalgie l'a saisie et elle a souhaité organiser ce dernier dîner sur le sable, avec le bruit des vagues en fond sonore, pour se dire « au revoir » là où elle lui a dit « oui » autrefois. Romantique comme il est, il gobera cette histoire tout rond, le pauvre idiot. Puis elle lui demandera une dernière promenade à deux, elle le conduira jusqu'aux rochers situés en amont de la plage et, arrivés à cette hauteur, elle l'assommera avec une pierre qu'elle aura gardée dans son sac à main. Ensuite, elle lui coincera les jambes avec les filets de pêcheur qui pullulent à cet endroit et la marée montante le noiera quelques heures plus tard. Il aura beau crier une fois réveillé, personne ne l'entendra, cette plage est toujours déserte en fin de semaine. La police découvrira son cadavre un ou deux jours plus tard et conclura à un accident : le malheureux se sera probablement retrouvé pris au piège en voulant se balader sur les rochers, il se sera pris les pieds dans les mailles d'un des filets de pêcheur qui pullulent à cet endroit, se sera heurté la tête sur un des rocs en tombant et sera resté allongé là, à la merci de la marée.
Lucie ricane tout bas : c'est le crime parfait. Tout ce qu'il faut espérer, c'est qu'il ne se réveille pas trop tôt. Par précaution, elle ajoutera quelques gouttes d'anesthésiant à la sauce mayonnaise de son sandwich. Certaines drogues sont indétectables à l'examen, Lucie qui est infirmière les connaît bien : elle en a tout un stock à disposition, à l'hôpital où elle travaille. Oui, Lucie a réussi à concevoir le crime parfait. À ceci près qu'il lui manque toujours un alibi.
Assise dans sa cuisine, Lucie cherche une solution à son problème. Comment justifier une absence de toute une soirée en fin de semaine ? Réfléchis, réfléchis, se dit-elle tout en épluchant ses légumes. Elle regarde par la fenêtre ouverte, il va bientôt faire nuit mais le repas devrait être prêt à temps ; le gigot est cuit et la tarte aux pommes dore lentement au four. Lucie s'accorde une petite minute d'auto-félicitations : elle est vraiment la femme parfaite, un cordon bleu, une couturière hors-pair, une sainte qui a dévoué sa vie au soin des autres, et modeste avec ça. Ah, si seulement l'autre idiot avait conscience de la chance qu'il a de l'avoir comme épouse ! Mais non, il ne le sait pas ; il a pensé trouver mieux ailleurs et a commencé à fréquenter quelqu'un, une certaine Betty, blonde, aux seins refaits et qui rigole comme une poule en train de s'asphyxier.
Lui faire ça à elle ! Après tous les sacrifices qu'elle a accomplis pour maintenir leur ménage à flots dans les moments durs, les boulots ingrats acceptés pour financer ses études de médecine pour lui permettre de devenir chirurgien. Et pas un merci, en plus, comme si tout ce qu'elle faisait allait de soi ! Elle aimerait bien voir l'autre dinde siliconée essayer de s'y coller, ne serait-ce que pour deux secondes... Elle déchanterait vite, surtout avec le caractère de cochon de Marc.
Lucie rage en silence. Il est hors de question qu'elle accepte le divorce : déjà qu'on lui pique son mari, pas question qu'en plus la vamp lui vole la moitié des biens qu'elle s'est battue pour acquérir ou conserver au cours de ses dix années de mariage – rien que d'imaginer cette cruche faire usage de la superbe argenterie de la grand-mère de Marc, le sang bout dans ses veines. Ah non, ça pas question ! Lucie compte bien récupérer la totalité de leurs biens.
Pour tenter de se calmer, elle saisit son lecteur de musique et enfonce ses écouteurs dans ses oreilles. Elle met le volume à fond, comme pour couvrir ses pensées. Elle en a gros sur le cœur, Lucie : Marc semble être aux petits soins pour sa nouvelle conquête, ses relevés bancaires dévoilent les sommes astronomiques qu'il a dépensées en fleurs et en parfums de luxe – si elle sent si mauvais que ça, pourquoi lui courir après, sérieusement ? –, alors qu'il ne lèverait pas le petit doigt pour Lucie. Tiens, par exemple, ça fait des semaines qu'elle lui demande de réparer l'armoire de leur chambre, au premier étage. Les fixations ne sont pas solides, cela l'inquiète beaucoup. Eh bien môssieur, qui est en ce moment même dans leur chambre, vautré sur leur lit, en train de regarder la télévision, n'a rien fait du tout. Lucie tente des exercices de respiration : il faut qu'elle se concentre et qu'elle trouve un alibi convaincant, son avenir en dépend. Elle se focalise sur les mouvements de sa râpe à légumes : un passage vers le haut, une inspiration, un passage vers le bas, une expiration, et ainsi de suite.
Soudain, Lucie a l'impression d'entendre un bruit sourd venant de la chambre à coucher. Elle ôte ses écouteurs et lève la tête, mais elle n'entend rien. Elle attend un peu, avant de remettre ses écouteurs en place en haussant les épaules. Soit elle a imaginé ce bruit, soit il s'est encore cogné le gros orteil contre la commode, et dans ce cas c'est bien fait pour lui. Lucie retourne à ses légumes, en continuant ses exercices de respiration.
Une demi-heure plus tard, elle a fini de les éplucher et les a mis à bouillir. Toute cette mise en scène est difficile à supporter, mais il le faut. Elle a réussi à lui faire croire qu'elle acceptait leur séparation prochaine sans rancœur, et ils continuent de vivre ensemble. Elle n'a rien changé à sa routine : elle cuisine toujours pour lui et, à ses yeux, elle demeure parfaitement inoffensive. Il ne faut surtout pas qu'il se doute qu'elle a prévu de l'assassiner bientôt.
Lucie retourne s'asseoir à la table de la cuisine, près de la porte. Elle entrebâille celle-ci, pour aérer un petit peu plus la cuisine, et perçoit alors une odeur étrange. Lucie dilate ses narines pour essayer de l'identifier... Cette odeur lui est plutôt familière, à elle qui travaille dans le milieu hospitalier. C'est comme une odeur de sang, qui provient du premier étage.
Cette fois, Lucie en a assez. Si ce maladroit a osé tâcher son beau tapis blanc avec du sang, il l'entendra parler. Elle sort de la cuisine, exaspérée, monte en trombe les marches de l'escalier, qui débouche sur leur chambre à coucher, et en ouvre la porte en grand, prête à lui faire passer un sale quart d'heure.
La première chose qu'elle remarque, c'est l'immense flaque de sang par terre, qui a définitivement teinté de rouge le tapis blanc. Au milieu de cette flaque, se trouve Marc, ou plutôt ce qu'il en reste, recouvert par l'armoire dont les fixations ont fini par lâcher, et qui lui est tombée dessus. Il a un tournevis et un marteau dans les mains : apparemment, il s'était enfin décidé à la réparer. Lucie savoure chaque seconde de cette ironie du sort. Elle prend le temps de contempler les débris de verre qui ont lacéré la gorge de Marc et lui ont fait vivre une lente agonie, avant de se diriger lentement vers le téléphone fixe et de composer le 17.
Tout s'arrange on ne peut mieux pour Lucie : son mari est mort, tout lui revient de droit. Il ne lui restera plus qu'à faire semblant d'être effondrée après la mort subite de son cher et tendre, lorsque la police arrivera sur les lieux. Oui, vraiment, tout se goupille pour le mieux.
Lucie n'a qu'un seul regret : elle n'aura pas eu l'occasion de mettre son plan de génie à exécution.

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